INTERVIEW. Clé de voûte de l'artisanat, le maître d'apprentissage joue un rôle essentiel au coeur de l'entreprise. Transmission de valeurs, d'expertise, de savoir-faire… Qui sont ces hommes et femmes de l'ombre qui oeuvrent à former les artisans de demain ? Portrait de Romain Pascal, jeune maître d'apprentissage fraîchement récompensé.

Stratège, pédagogue, porteur de valeurs, passionné, expert, humain… La liste n'est pas exhaustive des qualités à posséder pour bien tenir son rôle de maître d'apprentissage au sein d'une entreprise.

 

Il est en effet un acteur clé, voire « la clé de voûte », selon les mots d'Alain Griset, président de l'APCMA, au cœur de l'entreprise artisanale. Il est le lien entre le jeune, l'entreprise et le centre de formation (CFA) du jeune. Son rôle, outre de transmettre son expertise et son savoir-faire, est d'ordre « stratégique », car il « doit faire preuve de qualités pédagogiques et joue un rôle essentiel dans la politique de lutte contre les ruptures de contrat », ajoute Alain Griset.

 

Accompagnement au long cours

 

Il assure bien entendu le suivi du parcours scolaire de l'apprenti, le soutien et la supervision du jeune au sein de l'entreprise. Et son accompagnement va au-delà du cercle de l'entreprise : une fois la formation achevée, si le jeune ne reste pas dans l'entreprise, le maître d'apprentissage est là pour l'accompagner afin de faciliter son insertion professionnelle. « C'est pour l'apprenti une rencontre déterminante avec un professionnel (…). C'est pour l'artisan un véritable investissement sur l'avenir car l'apprenti bien souvent restera dans son entreprise », insiste Alain Griset.

 

Et c'est à ce titre, et pour valoriser les actions de celles et ceux qui oeuvrent, au quotidien, auprès des apprentis, que le Prix du maître d'apprentissage a été initié par l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) et la Mutuelle des artisans et du commerce de proximité (MNRA). L'occasion pour Batiactu de recueillir le témoignage de Romain Pascal, plombier-chauffagiste et gérant de l'entreprise éponyme à Poisvilliers (Eure-et-Loire), distingué dans la catégorie 'Jeune maître d'apprentissage'.

 


Batiactu : Pourquoi avoir concouru au Prix du maître d'apprentissage ?
Romain Pascal :
En fait, je forme deux à trois apprentis chaque année, depuis une dizaine d'années, et comme cela se passe bien, la chambre des métiers m'a sollicité pour participer à ce Prix. Un challenge que j'ai aussitôt souhaité relever.

 

Batiactu : Comment se structure votre entreprise ?
Romain Pascal :
En 2005, j'ai repris la société dans laquelle j'avais été formé pendant dix ans en tant qu'apprenti. A l'époque, j'ai commencé avec deux ouvriers compagnons et une secrétaire à temps partiel. Aujourd'hui, les compagnons sont au nombre de six, la secrétaire est à temps plein et j'ai 4 apprentis. A noter aussi que nous sommes tous issus de l'apprentissage.

 

"Quand je prends un apprenti, c'est pour en faire le meilleur !"

 

Batiactu : Quelles sont, selon vous, les missions d'un maître d'apprentissage ?
Romain Pascal :
Quand je prends un apprenti, c'est pour en faire le meilleur ! L'apprentissage est comme une passerelle entre l'enfance/adolescence et le monde adulte. Mon objectif est de prendre le jeune à ce moment charnière pour le mener vers la vie d'adulte. Cela demande de la persévérance, de la patience, d'aimer les jeunes, d'aimer enseigner, d'accompagner…

 

Batiactu : Comment arrivez-vous à motiver vos apprentis pour en faire les meilleurs ?
Romain Pascal :
Je leur donne des objectifs élevés. En clair, ils doivent être les premiers de leur classe ! Au quotidien, il faut savoir, à la fois, corriger quand ce n'est pas bien fait, et récompenser et féliciter quand il le faut. Il faut pouvoir régler la mire entre l'exigence et la récompense, c'est le secret pour motiver. S'il n'y a pas de récompense, il n'y a pas de motivation ; s'il y a trop de réprimande, il y a de la démotivation.

 

Batiactu : Justement, quel est votre rôle au quotidien ?
Romain Pascal :
Ce sont surtout mes compagnons qui forment et accompagnent les apprentis. Je leur ai transmis ma vision de l'apprentissage, ils l'appliquent avec les jeunes. Bien sûr, cela demande aussi de pouvoir s'adapter à chaque personnalité. D'où la nécessité d'être patient et persévérant. L'apprentissage est un véritable atout pour une entreprise, car bien former un jeune, lui inculquer la culture de l'entreprise, c'est aussi assurer la pérennité de l'entreprise. Sur les dix dernières années, j'ai formé une douzaine d'apprentis, quatre sont restés et travaillent dans l'entreprise.

 


Romain Pascal, maître d\'apprentissage
Romain Pascal, maître d'apprentissage © Romain Pascal - APCMA

 


Batiactu : Assurer l'avenir de l'apprenti fait-il partie aussi de vos missions de maître d'apprentissage ?
Romain Pascal :
Oui, bien sûr. Quand on forme un jeune, on l'aide ensuite à trouver un emploi à la sortie de l'école, on le recommande à des confrères. Cela fait partie du deal. Mais c'est aussi une façon de le motiver et de le mener à l'excellence, car s'il ne remplit pas son contrat, il sait aussi que ça peut le desservir au moment de sa recherche d'emploi. Nous sommes là pour lui apprendre aussi la réalité du terrain, comment affronter le monde professionnel et ses codes. Un jeune bien dans sa vie professionnelle sera aussi armé pour mener une vie personnelle épanoui. C'est cela l'apprentissage, l'école de la vie.

 

Batiactu : Y a-t-il une formation spécifique pour être maître d'apprentissage, au-delà les qualités humaines que nous avons évoquées ?
Romain Pascal :
Avant de reprendre l'entreprise, j'ai passé un brevet de maîtrise qui contenait un module consacré au maître d'apprentissage. Il sensibilisait sur l'accueil du jeune, sur les règles et la façon d'aborder les jeunes. Après, c'est une question de personnalité, comme on l'a dit, il faut aimer enseigner et aimer les jeunes.

 

"Former les jeunes nous aide à ne pas oublier d'où l'on vient"

 

Batiactu : Quels conseils donneriez-vous aux chefs d'entreprise qui ont ou souhaitent avoir des apprentis ?
Romain Pascal :
Je mettrais en avant l'aspect gratifiant d'être maître d'apprentissage. Surtout, je leur dirais de ne pas s'arrêter à une mauvaise expérience !

 

Batiactu : Que vous apportera ce prix ?
Romain Pascal :
De la reconnaissance, pour moi, mais surtout pour mes compagnons qui passent beaucoup de temps à former nos apprentis. Comme je vous le disais au début, nous sommes tous issus de l'apprentissage, donc former les jeunes nous aide à ne pas oublier d'où l'on vient, et cela aide aussi à relativiser l'approche que l'on a avec eux. Cela permet aussi de se remettre en question régulièrement, à sortir de notre zone de confort pour se mettre en difficulté. J'aime à dire que l'on n'apprend pas de sa réussite mais de ses échecs.

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