ENTRETIEN. Au lendemain de la publication du texte du projet de loi Elan après la commission mixte paritaire (CMP), le président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), Denis Dessus, exprime à Batiactu le ressenti des architectes.

Le projet de loi Elan est passé en commission mixte paritaire, et ne devrait plus évoluer. Le Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), par la voix de son président Denis Dessus, en prend acte. Mais n'exclue pas un possible recours devant le Conseil constitutionnel (qui nécessite l'approbation de 60 députés ou 60 sénateurs), et invite les acteurs du Logement à se réunir pour mettre la notion de qualité de l'habitat au premier plan.

Batiactu : Que pensez-vous de la version post-CMP du projet de loi Elan ?

Denis Dessus : La commission mixte paritaire (CMP) n'a pas apporté les améliorations du texte que nous espérions, bien au contraire. Cette loi sera donc dénuée d'objectifs environnementaux, sociaux, urbanistiques et architecturaux : nous y voyons une erreur fondamentale.

Batiactu : L'obligation d'avoir recours aux concours d'architecture pour les organismes de logements sociaux est supprimée...

Denis Dessus : Effectivement, cette suppression de l'obligation de concours d'architecture pour les bailleurs sociaux est entérinée, et elle est même étendue aux Crous. La loi Mop est démantelée puisque les décideurs sont revenus à la version votée par l'Assemblée nationale en première lecture. Or cette loi est une démarche qualité pour construire des bâtiments publics. La conception réalisation devient de libre utilisation pour les bailleurs et, pour les Crous jusqu'en 2021. Elle est également étendue à tous les bâtiments publics, si tant est que le bâtiment dépasse les normes environnementales en vigueur. Ce qui pourrait laisser entendre que la conception-réalisation est le meilleur modèle permettant de dépasser ces normes, et que le recours aux PME et à des missions Mop ne le permettent pas !

 

Batiactu : Sur l'accessibilité, les parlementaires sont passés à 20% de logements accessibles pour le neuf. Vous félicitez-vous de cette évolution ?

Denis Dessus : De 10% de logements accessibles à l'Assemblée nationale, en passant par 30% au Sénat, on finit donc par 20%. C'est un marchandage un peu insupportable et contraire au principe européen de l'accessibilité universelle.

 

"La loi Elan va favoriser la captation des marchés publics par les grands groupes, au détriment des PME et TPE"

Batiactu : A la lecture du texte qui devrait être final, maintenez-vous vos propos sur le fait que cette loi favoriserait les grands groupes ?

Denis Dessus : La loi Elan va favoriser la captation des marchés publics par les grands groupes, au détriment des PME et TPE qui bénéficiaient de la loi Mop et de l'allotissement. C'est le principe de l'achat public qui est remis en cause. Les plus importants bailleurs sociaux vont pouvoir devenir des opérateurs aux champs de compétence élargis, créer des filiales qui pourront intervenir dans le champ concurrentiel, et cela pour tous types de projets.

 

"Le Gouvernement veut exploiter la valeur marchande des logements sociaux déjà construits"

 

Le Gouvernement veut faire de ces grands bailleurs sociaux des opérateurs multitâches, et, en cherchant à augmenter le nombre de ventes de HLM, exploiter la valeur marchande des logements sociaux déjà construits. Cela représente en effet une masse financière considérable. Ainsi, on change l'objet social des acteurs des HLM. Nulle part ne se préoccupe-t-on de la qualité des logements, et il est significatif de constater les atteintes à la loi littoral ou au rôle de préservation du patrimoine des ABF.

 

Batiactu : Que comptez-vous faire à présent ?

 

Denis Dessus : Le Cnoa a fait ce qui était en son pouvoir pour alerter l'opinion sur les impacts de cette loi Elan. A présent que tout est détricoté, nous en appelons à une concertation et une collaboration des acteurs du logement afin de parvenir à construire, et rénover, malgré tout, des logements de qualité dans ce nouveau cadre qui nous est imposé. Rappelons-nous également du fait que si la loi Elan a déstructuré le paysage, il reste toutefois des garde-fous comme la loi sur l'architecture de 77 qui impose au maître d'ouvrage de donner à l'architecte la capacité de contrôler les études d'exécution et la conformité des travaux réalisés avec le projet qu'il a conçu.

 

Batiactu : Envisagez-vous de tenter de faire saisir le Conseil constitutionnel contre ce texte ?

 

Denis Dessus : Cela est du ressort des parlementaires, mais certains membres du "Collectif ambition logement" soulignent les points d'achoppement : est-ce que la loi Elan a la capacité de démanteler des lois qui lui sont hiérarchiquement supérieures ? Le libre accès de tous à la commande publique n'est-il pas mis à mal ? Les dispositions sur le handicap sont-elles compatibles avec les directives européennes ? Ce sont de vraies questions constitutionnelles.

 


Les Assises du Logement : un nouveau rendez-vous pour faire avancer le logement au XXIe siècle
15 novembre 2018, Conseil économique social et environnemental, Palais d'Iéna, Paris

 

Pour en savoir plus sur le programme et s'inscrire : www.assisesdulogement.com

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