COUP DE FREIN. Les effets du recentrage des aides à la construction n'ont visiblement pas tardé à se faire sentir. Plusieurs organisations du secteur de l'immobilier alertent d'ores et déjà le Gouvernement sur les conséquences de sa stratégie pour le Logement, qui fait la part belle aux économies budgétaires.
Quelques jours après la présentation aux professionnels de l'immobilier du projet de loi Élan, certains d'entre eux font part de leur inquiétude. En cause, les résultats concrets du recentrage des aides financières (PTZ, Pinel, APL...) en ce début d'année 2018. Du côté du courtier Cafpi, on fait état, au premier trimestre, d'une diminution de 15 points des dossiers de demandes de prêt immobilier issus des primo-accédants (de 60 à 45%). "Si l'on brise l'élan chez eux, qui constituent le premier maillon du marché, c'est toute la chaîne qui risque d'en pâtir", explique Philippe Taboret, directeur général adjoint de la Cafpi, contacté par Batiactu.
Un recul sur le segment des primo-accédants ressort également des statistiques de LCA-FFB, concernant la vente de maisons individuelles en secteur diffus. "Nous vivons une période paradoxale", nous explique Dominique Duperret, délégué général de LCA-FFB. "D'un côté, l'activité bâtiment se porte bien. Mais, plus en amont, au niveau des commandes, il y a un ralentissement. Sur le trimestre allant de novembre 2017 à janvier 2018, nous enregistrons -18% dans les prises de commandes." Un phénomène que le professionnel n'attribue pas uniquement au recentrage des aides. "L'effet de base est défavorable, puisque le début de l'année 2017 était excellent. Et il y a également un effet d'atterrissage du marché, après trois années de croissance, parfois à deux chiffres." Pour autant, la stratégie logement du Gouvernement, et les mesures fiscales déjà actées dans la loi de finances pour 2018 pèsent forcément sur la conjoncture.
"Il faut rétablir l'APL accession dans le neuf"
Plane aussi sur la reprise le spectre d'une hausse des taux. Une évolution qui serait bien problématique alors que, a calculé la Cafpi, "aux taux actuel, il faut une vie entière d'épargne pour devenir propriétaire". Pour Philippe Taboret, "il faut rétablir rapidement l'APL accession dans le neuf, et revoir la copie en matière de PTZ". D'après lui, en effet, maintenir le PTZ neuf uniquement dans les zones tendues est une "aberration", puisque ce ne sont pas dans ces endroits que les gens construisent, faute de foncier. Quant au maintien du PTZ ancien en zones détendues, le DGA de la Cafpi rappelle que "des centaines de milliers de logements sont à rénover en zones tendues". Et n'hésite pas à affirmer que la stratégie logement lancée par le Gouvernement a, pour le moment, des effets "catastrophiques". "Notre pays cherche la croissance et le plein-emploi. L'immobilier pourrait être moteur de cela. Mais, pour économiser des bouts de chandelle, on prend le risque de briser la dynamique. C'est incompréhensible !"
Les promoteurs immobiliers volent au secours du Pinel
En effet, pour de nombreux professionnels de l'immobilier, si les pouvoirs publics mettent en avant le coût des aides à la pierre, ils ne parlent pas assez des gains. Nouvelle preuve avec le récent référé de la Cour des comptes sur le dispositif Pinel, jugé trop cher et pas assez efficace.
La Fédération des promoteurs immobiliers a tenu à répondre à cette étude, par un communiqué de presse du 12 avril. "La FPI considère que le dispositif Pinel remplit les objectifs qui lui sont assignés : produire des volumes importants de logements intermédiaires neufs de qualité dans les zones tendues (60.000 logements vendus sous ce régime en 2017, à plus de 80% en Île-de-France et dans les métropoles régionales les plus dynamiques)", peut-on ainsi lire dans un communiqué de presse du 12 avril 2018. "Leur efficacité et leur efficience ont d'ailleurs été continuellement renforcées au cours des années (forte baisse des plafonds de loyer, recentrage sur les zones tendues, baisse de la réduction d'impôt, renforcement de la protection des investisseurs etc.)."
Enfin, si la FPI partage les observations de l'institution en ce qui concerne l'absence de contrôles, elle assure que les calculs de la Cour des comptes ne tiennent pas compte des entrées fiscales dégagées par le Pinel en matière de TVA et d'impôt sur les sociétés.
La loi Elan pourrait mettre trois-quatre ans à produire ses effets
Mais peut-être faut-il laisser du temps au temps, afin que ce plan logement porte ses fruits. "Les pouvoirs publics ont une stratégie lisible : arrêter la course à l'échalote des aides financières et produire un choc d'offre", décrypte Dominique Duperret. "Il s'agit donc de libérer du foncier et lever les contraintes pour faire diminuer les coûts. Le défaut de ce plan d'attaque, c'est qu'il peut mettre trois, quatre ans à produire ses effets. Et nous subirons forcément un tassement douloureux d'activité."
Un rapport, qui devrait être remis en septembre 2018, fera quoi qu'il en soit l'objet de toute l'attention des acteurs du secteur : il concernera la modification du zonage du territoire, et pourrait à nouveau réduire (ou non) l'effet géographique de certaines aides à la pierre.
Le projet de loi Elan prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, notamment sur le sujet de la réforme de la copropriété et la création du bail numérique. Un point qui fait tiquer Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim, contacté par Batiactu. "Le chantier de la copropriété concerne 10 millions de logements en France", explique-t-il. "Nous pensons que le Gouvernement aborde ce sujet de manière trop technique. Ne nous pressons pas pour réformer sur un sujet aussi important. Nous souhaitons que cela fasse l'objet d'un débat et que nous soyons impliqués dans les échanges." Sur le bail numérique, la Fnaim se pose plusieurs questions sur les ambitions des pouvoirs publics. "Cette question mérite aussi un débat parlementaire !", assure-t-il. La Fnaim craint en effet que le bail numérique "ne permette l'émergence d'une plateforme publique éditant les baux pour collecter l'ensemble des données liées aux loyers".