Démographie, emploi, pouvoir d'achat, prix et rareté du foncier sont les principales causes des fractures territoriales en matière de logement en France. Si la dynamique est enclenchée pour pouvoir construire plus, il faudra cependant veiller à construire mieux, a averti Emmanuelle Cosse, ministre du Logement, à l'occasion du Sommet de la Construction de la FFB. Détails.
« La crise du logement en France n'est pas l'apanage des métropoles », a déclaré, dans un message vidéo lors du 5e Sommet de la Construction de la Fédération française du bâtiment, Emmanuelle Cosse, ministre du Logement. Car en effet, le rappelle Jacques Chanut, président de la FFB, « la pression des besoins et le tropisme des prix font que l'attention se focalise trop souvent sur les zones tendues, en général, et la région parisienne, en particulier. (…) Mais nous allons parler aujourd'hui d'une autre France, qui connaît des situations de marchés très différenciées, qui appellent des solutions tout aussi différenciées ».
Pour cela, il faudra « surmonter les fractures territoriales », souligne la ministre, et s'attacher à ces zones détendues souvent oubliées. « Le logement est un bien commun, a-t-elle insisté, et nous devons fournir à chacun l'offre de logement qui lui correspond ». Des mesures élaborées avec la Caisse des Dépôts seront bientôt annoncées, a-t-elle indiqué, concernant la construction et la démolition dans ces zones détendues, où il faut « intervenir d'abord sur l'existant ».
Aux collectivités d'anticiper la nature des logements à construire
Quelles sont les causes de ces fractures territoriales, et pourquoi ne cessent-elles de s'accroître en France ? Selon Jean-Claude Driant, économiste à l'Ecole d'urbanisme de Paris, une des caractéristiques de ces 15 dernières années est l'inégalité entre les propriétaires et les locataires. En effet, l'augmentation des prix des logements est telle qu'elle a créé un facteur d'inégalité au sein de la population et de fait au sein des territoires.
Pour Thierry Repentin, délégué interministériel à la mixité sociale dans l'habitat, la réponse se trouve dans les politiques menées par les collectivités. « Certains élus n'ont pas anticipé le choix de logements à construire, créant ces fractures. Les collectivités doivent impérativement agir sur la destination des terrains pour produire des logements en adéquation avec les besoins. En cela, la loi NOTRe devrait aider les élus », commente-t-il. Son rôle aussi est de veiller à la mobilisation du foncier public. « Dans la future loi Egalité et Citoyenneté, je vais demander à ce que les Plans locaux de l'habitat (PLH) aient un volet foncier », a-t-il ajouté.
Besoin d'une politique du logement adaptée aux territoires
Dans les zones dites intermédiaires, les fractures sont également visibles et les enjeux de taille. Là, les experts sont plus divisés. Si Jean-Claude Driant estime que ce sont des zones où les habitants ont davantage le choix pour se loger, « y compris dans le péri-urbain », le président de la FFB Landes, Jean-Louis Broitman, y voit un discours « trop optimiste » et rappelle qu'il y a « des inadéquations partielles entre l'offre et la demande ». Les élus, quant à eux, jugent que la question du foncier est primordiale et qu'il faut des outils ad hoc pour intervenir. « Le Scot ou le PLUi sont des outils de contrainte », se lamente Julien Polat, maire de Voiron (Isère).
Enfin, le sujet des zones en difficulté, nombreuses en France, a été abordé. L'ancien ministre du Logement du gouvernement Fillon et maire de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu, s'est exclamé : « A Châlons, les bailleurs sociaux cherchent des annonces sur seloger.com pour trouver des locataires pour ses logements ! Quand on pense qu'à Paris, il y a au moins huit ans d'attente ! ». Une réalité qui montre les décalages qu'il peut exister entre les zones… Pour l'ancien ministre, « l'Etat doit reprendre en main une vraie politique d'aménagement du territoire. Tant que l'on aura la même politique partout, ça ne marchera pas ! Il faut une politique du logement adaptée aux territoires », a-t-il martelé.
Assumer la décroissance et mener des politiques de rénovation coûteuses
Autre problématique soulevée par le maire de Châlons, la construction excessive dans le neuf. « Il faut mettre un coup de frein sur le neuf et reconquérir l'ancien ». De son côté, Olivier Dussopt, maire d'Annonay (Ardèche) et président de l'Association des petites villes de France estime plutôt qu'il « faut rénover et construire, car nous avons besoin de logements neufs, de qualité et spacieux ». Surtout, plaide-t-il, « il manque dans les petites villes d'outils qui globalisent pour intervenir partout ! ». Et Benoist Apparu de conclure : « On a focalisé sur l'objectif de 500.000 logements sans dire où il faut les construire… ».
En fin de débat, Jacques Chanut, président de la FFB, a repris la parole : « On constate une grande diversité de situations et de perspectives, et l'on voit bien que les réponses n'ont pas été à la hauteur des enjeux. Aussi, à quelques mois des élections présidentielles, notre propos aujourd'hui était de poser les problèmes et apporter nos propositions pour agir demain, soit après 2017». Une des solutions : l'emploi. « En effet, c'est la non-création d'emplois qui a conduit à ces fractures », affirme Laurent Davezies, économiste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Mais il faudra bien « admettre que certains territoires vont dépérir et d'autres être plus dynamiques », souligne Hervé Le Bras, socio-démographe, directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED). Et enfin, conclut Jean-Claude Driant : « Assumer la décroissance et mener des politiques urbaines coûteuses pour transformer plutôt que construire ». Les futurs candidats ne manqueront pas d'être interpellés par ces thématiques…