L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié un rapport pointant le risque sanitaire engendré par une exposition aux fumées du bitume. Des milliers de salariés seraient concernés en France, principalement dans les secteurs de la construction et de l'entretien des routes, ainsi que de l'étanchéité des toitures. L'organisme de santé publique recommande diverses mesures de prévention collective et individuelle.
L'Anses vient de publier un volumineux rapport d'expertise collective portant sur "L'évaluation des risques sanitaires liés à l'utilisation professionnelle des produits bitumineux et de leurs additifs". Le document de 312 pages pointe la difficulté d'appréhender précisément l'exposition des travailleurs à ces produits, qui sont de composition complexe et variée. Les bitumes, qui sont des résidus de la distillation du pétrole, présentent des propriétés d'adhésivité, de cohésion et d'hydrophobicité qui sont utiles dans la construction (étanchéité) et les revêtements routiers. Afin d'obtenir des caractéristiques physico-chimiques ou mécaniques requises (stabilité, durabilité, facilité d'emploi, etc.) les bitumes reçoivent même des additifs (fluxants, agents oxydants, polymères). Mais, malgré cette grande variété, l'agence sanitaire souligne "l'importance de la mise en place d'une surveillance étroite des émissions potentiellement dangereuses pour les travailleurs". En France, pas moins de 16.500 employés seraient concernés : 8.500 ouvriers du secteur de la construction des routes et 8.000 autres travaillant à l'étanchéité des toitures.
Des effets respiratoires et cutanés
Différents postes de travail seraient particulièrement exposés : pour la pose d'enrobés et d'asphalte coulé, les conducteurs de finisseurs, les tireurs au râteau, les asphalteurs et les régleurs ; pour l'application d'enduits superficiels d'usure, les postes de gravillonneur et d'opérateur-lance ; pour les travaux d'entretien et de réfection, les brouetteurs, les ratisseurs et les préparateurs de fissure, ainsi que les étancheurs utilisant la méthode de collage au bitume oxydé fondu. L'étude souligne les effets sanitaires à l'exposition aux liants bitumineux et à leurs émissions : elle évoque les effets respiratoires (irritations laryngées, pharyngées, toux) et l'accroissement du risque de développer un asthme ou une broncho-pneumopathie chronique obstructive… Les effets cutanés d'un contact avec le bitume seraient de l'ordre de l'agression chimique, non-immunologique, pouvant faire apparaître des réactions allergiques. L'Anses rappelle qu'il n'est pas possible, en l'état actuel des connaissances, de démontrer l'existence d'un risque cancérogène cutané.
"Il est également à souligner que les travailleurs sont exposés à d'autres facteurs de risque non étudiés dans le cadre de la saisine et potentiellement responsables d'effets sanitaires, parmi lesquels les rayonnements UV, la co-exposition avec des particules (notamment d'émissions de moteur Diesel), le contact avec des matériaux ou pièces chaudes pouvant occasionner des brûlures, la manutention de charges, la répétitivité des gestes, les postures pénibles, l'exposition aux vibrations, le lavage des mains avec des solvants dangereux (gasoil ou autres), le bruit, etc.", précise le document. Les auteurs appellent notamment à la réalisation d'études épidémiologiques complémentaires et d'actions de recherche sur la composition et la toxicité des liants bitumineux.
Mettre en œuvre une stratégie préventive
Concernant les mesures à prendre en termes de prévention en santé au travail, l'Anses émet de nombreuses recommandations dont la mise en place de systèmes d'aspiration/captage des fumées ou de ventilation sur les chantiers, la sélection de produits moins exposants (émulsions travaillées à basse température, 60 °C au lieu de 200 °C), la substitution de produits de nettoyage ou l'utilisation de membranes auto-adhésives collées à froid. L'organisation du travail pourrait également être revue, notamment afin de minimiser la co-exposition au soleil et favoriser l'alternance entre les postes. Le port des équipements de protection individuels (visière, casque, gants, protection respiratoire) est évidemment recommandé. Enfin, l'agence sanitaire préconise un suivi médical approprié des travailleurs concernés.