La proposition formulée par le groupe de travail sur la simplification normative et l'élaboration des règles de la construction, codée "Q10", viserait à faire remonter le coefficient linéaire des ponts thermiques dans les immeubles collectifs. Un non-sens pour certains spécialistes qui jugent cette mesure, destinée à réaliser des économies sur le bâti, contreproductive. Explications.

"Ne pas traiter les ponts thermiques, c'est comme vouloir étancher une baignoire sans avoir fermé la bonde !", déclare André Pouget, charismatique dirigeant de Pouget Consultants (BET). Car ces discontinuités dans l'isolation d'une façade ont un impact non négligeable, en canalisant les déperditions de chaleur et en faisant chuter la performance thermique d'un mur. Selon le spécialiste, "le traitement des ponts thermiques divise par deux les déperditions globales".

Un surcoût énergétique quantifié

Or, l'une des propositions formulées par le groupe de travail n° 1, chargé de simplifier la réglementation et l'élaboration des normes de construction et de rénovation, souhaite "assouplir l'exigence de moyens concernant le coefficient linéique des ponts thermiques à la jonction plancher intermédiaire-mur extérieur des immeubles collectifs". En d'autres termes faire remonter ce coefficient de 0,6 à 1 W/ml.K, "ce qui revient à ne plus traiter les ponts thermiques", dénonce Raphaël Kieffer, le directeur général de Schöck France (spécialiste de l'isolation et techniques d'armatures). Des calculs quantifient pourtant les pertes : 1 mètre linéaire de pont non traité en zone climatique H1 induirait une consommation supplémentaire d'énergie de 77 kWh par an (soit 10 litres de fioul et 5 kg de CO2 rejetés dans l'atmosphère). A l'échelle d'un immeuble d'habitation R+3 neuf, offrant potentiellement plusieurs centaines de mètres de ponts thermiques non traités, la surconsommation atteindrait les 42.000 kWh de plus (soit 6.000 litres de fioul ou 6.000 m3 de gaz et des émissions de 3,4 tonnes de CO2). Et multiplié par des dizaines de milliers de logements à bâtir, le gaspillage prendrait une proportion inquiétante : "l'adoption de la proposition Q10 représenterait, dans l'optique de l'atteinte de l'objectif des 500.000 logements, 210 GWh de consommation d'énergie par an", précise Raphaël Kieffer. Une énergie qu'il faudrait donc produire, transporter et payer… Car ces 210 GWh entraîneraient une dépense supplémentaire de 18 M€ en gaz ou de 27 M€ en électricité.

 

"Economiser sur le coût de construction, qui ne représente que 28 % du coût total d'un bâtiment, c'est faire exploser le coût de maintenance (entretien courant et gros travaux) et celui des charges, supportées par les propriétaires ou locataires. On endette ainsi les bailleurs sociaux et les occupants des logements ! C'est une ineptie", déclare le directeur général de Schöck France. André Pouget, combattant de la "non énergie", renchérit : "Il faut éviter de créer un gisement de rénovation énergétique pour nos enfants, en construisant des bâtiments mal isolés. Il faut au contraire penser pour le futur et bien construire du premier coup". Le spécialiste estime qu'il n'est pas normal de compenser les déperditions injustifiées par des équipements toujours plus performants. D'autant que le non traitement des ponts thermiques aurait d'autres conséquences, notamment sanitaires. "Sans traitement des ponts, on constate un abaissement des températures des parois", explique Claire-Sophie Coeudevez, co-gérante de Medieco (conseil en stratégie de santé pour la construction).

Un impact socio-économique

Selon la spécialiste, au-delà d'un simple inconfort pour les occupants, c'est le développement de moisissures qui serait inquiétant. Car les spores et toxines qu'elles émettent seraient causes d'irritations (yeux, gorge, muqueuses, peau) et de réactions immuno-allergiques. Elles pourraient même présenter un risque infectieux et toxinique, voire être cancérigènes… "La présence de moisissures dans les bâtiments est une préoccupation sanitaire, comme mentionné en 2009 par l'OMS qui recommande que les enveloppes des bâtiments soient correctement conçues, construites et entretenues afin de contrôler la croissance microbienne à l'intérieur", précise Claire-Sophie Coeudevez.

 

Les professionnels du mur manteau et de l'isolation par l'extérieur s'inquiètent donc de ce possible retour en arrière, destiné à produire le moins cher possible. Si le traitement des ponts thermiques a bien un coût, ils mettent en perspective celui de la rénovation ultérieure qui serait nécessaire en cas de mauvaise isolation, estimé à 25 M€ par an. Ils estiment également que l'adoption de la proposition aurait un effet sur leur activité, impactant le chiffre d'affaires et donc l'emploi, la stabilité des entreprises du secteur et leur capacité à financer la R&D, y compris dans d'autres domaines comme l'acoustique ou la sécurité incendie. La Q10 est donc loin de dérider le secteur des isolants.

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