Les interventions sur les têtes de fondations profondes (pieux ou barrettes) nécessitent le recours à des méthodes destructives, pénibles et non qualitatives. Une société française, Recépieux, a développé une solution de pré-recépage qui permet de gagner un temps précieux tout en améliorant la qualité de la découpe du béton. Explications avec Dominique Fonfrède, le créateur du procédé.
Les fondations profondes, supérieures à 8 mètres de hauteur, doivent supporter la descente de charge d'un ouvrage ou d'un édifice sur des sols peu porteurs. Lors du creusement des trous destinés à recevoir les pieux (de section circulaire) ou barrettes (de section carrée), le fond se remplit d'une eau boueuse, mélangée à du sable ou à l'argile. Lors de l'étape de remplissage, le premier béton coulé se pollue au contact de ce fond. Coulé en continu, il est ensuite chassé vers le haut de la colonne où il forme une tête dont il est nécessaire de se débarrasser, avant de pouvoir construire. Cette étape, dite de "recépage" - un terme emprunté à la viticulture où les ceps de vigne sont taillés avant de repartir l'année suivante - requiert l'emploi de méthodes destructives, comme le marteau-piqueur ou l'emploi de vérins hydrauliques couplés à des foreuses. Problème, ces techniques sont pénibles, potentiellement accidentogènes, et peu qualitatives.
Eliminer la tête de pieu polluée par les boues
"Le recépage est censé être obligatoire", nous explique Dominique Fonfrède, le fondateur de Recépieux. "Mais bien souvent il n'est fait que dans les ouvrages d'art, rarement dans les bâtiments où l'aspect des murs est plus privilégié que le travail invisible sur les fondations", poursuit-il. "J'ai inventé le procédé de pré-recépage en 1999, afin de remplacer des travaux pénibles. Il s'agit simplement d'un pré-découpage de la tête du pieu", nous détaille le gérant de la société. La méthode consiste, en fait, à éliminer le béton pollué sans abîmer les aciers afin de pouvoir bâtir en toute sécurité, "sans bruit, sans choc, sans vibrations, sans pollution ni poussière", assure-t-il. Concrètement, Recépieux commercialise des kits complets pour réaliser le pré-recépage. "Ils contiennent des gaines en mousse, pour protéger les aciers, et des éclateurs en plastique, qui ont une forme de toupie, et qui sont reliés à l'extérieur par un tube PVC", précise l'inventeur. Ce sont sur ces éclateurs que repose toute l'innovation : pré-positionnés dans la colonne avant le coulage du béton ou descendus lorsqu'il est encore frais, ils sont maintenus en place à la profondeur désirée, le temps que le béton durcisse.Un plan de découpe net
"Il est nécessaire de connaître la hauteur précise de découpe souhaitée", avertit Dominique Fonfrède. Cette information, délivrée par le bureau d'études, peut également être empiriquement calculée : "Il faut toujours au moins 50 à 70 cm de découpe, et cette hauteur correspond généralement au diamètre de la colonne. Mais pour des gros diamètres, ce n'est plus valable, la relation n'étant pas strictement linéaire". Au bout de trois jours, minimum, les éclateurs sont remplis d'un agent expansif via le tube PVC. Environ 20 centilitres suffisent par unité. "Ce produit gonfle lentement et, comme une bouteille d'eau au congélateur, fait éclater le contenant. Mais contrairement à un récipient qui explose dans toutes les directions, la forme de soucoupe entraîne la formation d'un angle de découpe dans le béton", raconte-t-il. Le béton, qui résiste moins à la traction qu'à la compression, cède donc, suivant un plan de découpe horizontal qui rejoint également les autres points de faiblesse, à savoir les mousses qui gainent les aciers. "Le phénomène prend quelques heures", annonce l'inventeur. La pièce obtenue offre une surface lisse, dont le dégagement est facilité par le glissement des gaines le long des aciers. Ces derniers restent propres et sont intacts.Gain de temps, gain d'argent
La méthode présente plusieurs intérêts : le temps de recépage additionnel est ramené à zéro, permettant d'économiser sur les frais fixes du chantier. Le gain serait de l'ordre d'une semaine sur un "petit" chantier (collège ou EPADH) et de plusieurs mois sur un chantier d'envergure (terminal d'aéroport ou ouvrage d'art). "Sur le plan de la sécurité, le pré-recépage utilisé correctement n'entraîne pas de risque d'accident. Et c'est une solution écologique, sans émission de CO2, qui remplit les normes de construction HQE. Le produit expansif est naturel, puisque c'est de la chaux, et que sa manipulation se fait à l'aide de simples équipements de protection individuels", annonce Dominique Fonfrède. En plus de quinze ans, la technique a fait ses preuves en France, mais également à l'étranger. Le pré-recépage a été employé pour les usines Thalès à Marignane et Airbus à Saint-Nazaire, pour la centrale EDF de Carling, ou encore pour l'hôpital de Strasbourg. Il s'est également exporté, en Pologne (centre commercial à Poznań) ou au Canada (raffinerie dans le Saskatchewan). "Cette solution est unique au monde", assure son créateur qui regarde l'avenir avec confiance : plusieurs entreprises de BTP se renseignent auprès de lui chaque semaine afin d'appliquer la méthode sur leurs chantiers.Découvrez la technique en images dans les pages suivantes.
Recépage classique
La méthode classique consiste à ôter, par des moyens mécaniques destructifs, la tête souillée du pieu de fondation. La découpe est fastidieuse et peu précise.
Pré-recépage
L'utilisation d'un éclateur horizontal permet de fissurer le béton durci et d'obtenir un plan de découpe net. Les aciers, qui servent de guide pour ôter la tête de pieu souillée, ne sont pas endommagées lors de l'enlèvement de celle-ci.
Chantier avant levage
Les têtes de pieux souillées sont ici bien visibles. On distingue également les mousses de protection des aciers et le tube de PVC qui sert à remplir chaque éclateur. Afin d'éviter tout phénomène de remontée dans ce tube, chaque module est équipé d'un goulot anti-refoulement (boule de bois qui flotte à la surface et vient obturer le conduit).
Levage
La tête de pieu souillée est levée par grutage (ou au moyen d'un engin de chantier), en une seule opération, quelques heures après l'introduction de la solution expansive dans l'éclateur.
Recépage terminé
Le travail sur les fondations est terminé : seuls les aciers émergent.