La crise économique et immobilière a creusé les inégalités liées au logement. C'est l'amer constat de la Fondation Abbé Pierre, qui vient de publier son rapport annuel sur le logement. Plus de dix millions de personnes sont mal-logées en France. La fondation propose quatre grands axes pour sortir de ce «grave problème de société». Explications et réactions.
Dix millions : c'est le nombre de personnes vivant en France en situation de mal-logement, d'après le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre publié lundi. Derrière ce nombre ahurissant, se cachent des situations très diverses mais aussi le constat que la crise du logement s'est aggravée en 2009, et qu'en fragilisant les ménages, elle est devenue une nouvelle source d'inégalité. «Deux mouvements nous inquiètent particulièrement : la crise du logement s'aggrave dans la durée, et la crise économique fragilise énormément de ménages», a indiqué Christophe Robert, directeur des études de la fondation. Et la crise économique a amplifié des phénomènes nouveaux : la précarité énergétique, qui touche désormais 13% des ménages, et la «zone grise», qui comprend toutes les personnes logées chez un tiers, faute d'être en mesure de payer un loyer.
600.000 enfants mal logés
Les chiffres, qui résultent d'un calcul entre les données de la Fondation Abbé Pierre, du CNRS, de l'Insee et de la Cour des comptes, montrent que parmi les 10,1 millions de mal-logés, se trouvent des situations très variées : SDF, personnes privées de domicile personnel et vivant en camping, à l'hôtel, dans des centres d'hébergement, ceux vivant dans des «conditions très difficiles», notamment dans des logements suroccupés ou inconfortables (sans eau courante ou installation électrique aux normes, ou encore ceux vivant en «situation précaire», c'est-à-dire qui sous-louent ou occupent un logement malgré un avis d'expulsion. Ce chiffre prend aussi en compte les personnes «fragilisées» : elles vivent dans des copropriétés dégradées, sont en situation d'impayés ou hébergées chez des tiers.
Pire, on dénombre parmi ces mal-logés quelque 600.000 enfants, pour qui ce phénomène a des conséquences plus lourdes encore : problèmes de santé liés au logement lui-même (troubles respiratoires, saturnisme), trouble du sommeil, de la scolarité, peu d'intégration sociale. «Souvent, ces enfants ne reçoivent pas leurs copains chez eux. Sans réciprocité, ils ne sont plus invités chez leurs amis», souligne dans le quotidien Métro, Patrick Doutreligne, directeur général de la Fondation Abbé Pierre.
L'organisation a fait état de quatre grandes propositions pour enrayer au plus vite cette situation. Produire et capter des logements à loyer accessible, notamment en favorisant l'intervention des pouvoirs publics sur la régulation des prix locatifs ; Rendre le coût du logement acceptable, en portant également attention à la précarité énergétique. La fondation propose pour cela la mise en place de «chèques énergie pour les plus pauvres» et l'interdiction progressive de louer des «passoires thermiques». La troisième proposition vise à «permettre au secteur de l'hébergement de jouer pleinement son rôle», en lui donnant plus de moyens et en assurant la continuité de l'hébergement. La dernière proposition veut traiter le problème en amont, en tarissant les sources d'exclusion social. Cela passe, selon la Fondation, par un renforcement des sanctions aux réfractaires de la loi SRU, une suspension temporaire des expulsions pour les personnes de bonne foi, et un objectif de traitement de 100.000 logements indignes par an (en dotant l'Anah de moyens supplémentaires).
«Nous avons tous échoué sur le logement»
Intervenant devant la Fondation Abbé Pierre, le secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu, a plaidé pour une «une refonte du système». «Je trouve scandaleux la rétention de logements vacants dans des villes où sévit la crise du logement», a-t-il dit, rappelant qu'il s'était engagé à mettre à l'étude l'extension du champ de la taxe sur les logements vacants. Pour autant, il a estimé que la réquisition de logements vacants était une mesure «inefficace» et «contreproductive». Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste, a affirmé pour sa part «que notre pays fasse une priorité nationale du logement et qu'on aide ceux qui le font. (…) Quand va-t-on en faire une priorité ? On a besoin de 8 à 900.000 logements sociaux en France. On sait bien qu'on ne le fera pas comme cela». L'ancienne ministre du gouvernement Jospin a également concédé que «nous avons tous échoué sur le logement, la droite comme la gauche».
Pas de prise en considération
Un discours que la Fondation Abbé Pierre rappelle dans son rapport, regrettant le manque d'actes. «La politique du logement et de l'habitat souffre d'un manque de considération. Elle reste souvent confinée à quelques spécialistes parlementaires, administratifs ou se voit déléguée à des acteurs publics ou privés. Mais en général, elle manque de souffle, elle manque de prise de position forte et énergique au plus haut niveau de responsabilité, que ce soit dans les partis politiques ou à l'échelle gouvernementale». La fondation déplore d'ailleurs que les responsables politiques soient apparus «plus soucieux en 2009 de traiter la crise immobilière qui s'est développée dans le sillage de la crise financière que d'apporter des réponses à la crise du logement».
Mais pour l'heure, même s'il estime que «nous devons à la Fondation Abbé Pierre d'avoir inventé ce concept de mal-logement pour décrire les difficultés aiguës auxquelles sont confrontés certains de nos concitoyens», Benoist Apparu a jugé que les statistiques étaient insuffisantes pour mesurer ce phénomène. Il a donc décidé de confier une mission à ce sujet au Conseil national pour l'information et la statistique (CNIS). «Sur cette base sera confié à l'Observatoire national de la pauvreté (ONPES), que nous allons reconfigurer, le suivi annuel de ces indicateurs», a-t-il déclaré.