Au terme de son enquête interne, le groupe cimentier admet que sa filiale syrienne a "trouvé des arrangements" avec des groupes armés afin de maintenir l'activité de son usine de Jalabiya entre 2013 et 2014. LafargeHolcim estime que les décisions des dirigeants locaux, qui pensaient agir dans l'intérêt des employés et de l'entreprise, sont inacceptables, et que des mesures ont été prises. Détails.
LafargeHolcim fait son mea culpa dans l'affaire du financement présumé de l'Etat islamique en Syrie. Bien qu'un rapport parlementaire ait expliqué, en juillet 2016, que le groupe n'avait pas participé, "directement ou indirectement, ni même de façon passive, au financement de Daesh", une enquête préliminaire avait été ouverte à la demande du ministère de l'Economie. Le cimentier expliquait alors à Batiactu qu'il avait "lancé une enquête interne approfondie" afin "d'établir la réalité des faits sur ses activités en Syrie". Et les conclusions de cette audit indépendant, mené sous la supervision d'un comité du Conseil d'administration sont claires : "(…) la filiale locale a remis des fonds à des tierces parties afin de trouver des arrangements avec un certain nombre de groupes armés" qui contrôlaient (ou tentaient de le faire) "les zones autour de l'usine".
Ces versements avaient pour but "de maintenir l'activité et d'assurer un passage sûr des employés et des approvisionnements vers, et depuis l'usine". LafargeHolcim précise également que l'emploi précis de ces fonds n'est pas connu, et se refuse à citer l'Etat islamique, le Front al-Nosra ou d'autres factions armées : "L'enquête n'a pas pu établir avec certitude quels étaient les destinataires ultimes des fonds au-delà des tierces parties concernées". Mais les conclusions de l'enquête viennent démentir les déclarations de LafargeHolcim, au cours de l'été 2016, qui réfutait "tout arrangement". Dans le même temps, le groupe précisait avoir toujours donné la priorité à "la sécurité et la sûreté de son personnel, tandis que la fermeture de l'usine était étudiée", au moment où le conflit se rapprochait du site.
Une décision en contradiction avec le code de conduite
Face à ces révélations, le groupe franco-suisse regrette des mesures "inacceptables", des "erreurs de jugement significatives" de la part des responsables des opérations en Syrie, "en contradiction avec le code de conduite" de l'entreprise. Il estime également que ses dirigeants locaux "semblent avoir agi d'une façon dont ils pensaient qu'elle était dans le meilleur intérêt de l'entreprise et de ses employés". Économiquement, l'usine de Jalabiya avait été rénovée en 2010 et disposait d'une capacité de production annuelle de 3 millions de tonnes de ciment. Mais le groupe minimise cet aspect : "Les activités de Lafarge en Syrie ont fonctionné à perte durant la période en question (courant 2013 jusqu'à l'évacuation du site en septembre 2014, Ndlr) et représentaient moins de 1 % du chiffre d'affaires du groupe à cette époque".
Le groupe entend tirer les conséquences de ces erreurs, en créant un nouveau "Comité d'Ethique, intégrité et risques" supervisé par un membre du comité exécutif, et en adoptant de nouveaux processus d'évaluation des risques, "plus rigoureux" sur les tiers et partenaires de co-entreprises. Et il déclare avec fermeté : "Il ressort clairement qu'il ne peut pas y avoir de compromis sur les sujets de compliance et sur l'adhésion du Code de conduite de l'entreprise, quelles que soient les difficultés opérationnelles". Reste à savoir quel impact ces révélations auront sur une autre action en justice, lancée cette fois par l'ONG Sherpa, qui dénonçait "l'obsession d'une entreprise de maintenir une activité profitable, au risque de devoir rendre des comptes et que soient mis au jour des liaisons dangereuses avec ceux qui sont perçus comme les pires ennemis de l'humanité".