Chaque année, en dépit d'un soutien massif des pouvoirs public, estimé à près d'un milliard d'euros, la filière forêt-bois présente un déficit commercial six fois plus élevé. Il existe un déséquilibre entre l'exportation de bois brut et l'importation de produits transformés qui déplace toute la valeur ajoutée à l'étranger. Un rapport sénatorial pointe l'absence de stratégie coordonnée entre les différents acteurs. Le SER réagit.
Les sénateurs Alain Houpert (Côte-d'Or) et Yannick Botrel (Côtes-d'Armor), co-rapporteurs d'un rapport sur la filière bois, sont catégoriques : "La politique forestière française est sans stratégie, sans pilote, sans résultats". Leur travail, basé sur une enquête réalisée à la fin de 2013 par la Cour des Comptes, dresse un constat sévère : la France, dont le tiers du territoire est composé de forêts, n'est pas la puissance forestière qu'elle devrait être. Son modèle de développement économique correspond même à celui d'un pays du Tiers-monde dont les ressources naturelles brutes (grumes) sont exportées pour être transformées à l'étranger en papier ou en mobilier, et réimportées à un coût beaucoup plus élevé. Résultat : la valeur ajoutée est captée par d'autres pays et l'ensemble de la filière française présente un déficit commercial de 6 milliards d'euros par an, soit 10 % du déficit global de la balance commerciale.
Pas assez de concertation entre les multiples acteurs
Les deux rapporteurs spéciaux de la mission "Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales" estiment que les dispositifs de soutien qui représentent annuellement 910 M€, sont nombreux mais peu cohérents. Avec cinq ministères concernés par le sujet (Agriculture-Forêt, Industrie, Ecologie-Energie, Logement, Budget-Finances), "chacun met sa politique en œuvre, de son côté" sans concertation, déclarent Alain Houpert et Yannick Botrel. Chaque ministère adopterait une vision des enjeux et objectifs prioritaires selon ses propres compétences : "Mobiliser davantage de bois en forêt, préserver la biodiversité, mieux approvisionner les industries, augmenter la part du bois dans les constructions, développer l'usage du bois en tant qu'énergie renouvelable, etc.". Le rapport précise : "L'existence de rencontres entre ministères sur des sujets ciblés ne suffit pas à pallier l'absence de lieu de concertation et de décision interministérielle sur ces sujets, ni même d'un dialogue construit entre les ministères sur la filière". La signature du contrat de filière par quatre ministres, au mois de décembre 2014, ne représente, selon les deux sénateurs, qu'une "avancée très timide". Ils fustigent une "mosaïque décisionnelle" comprenant "pléthore de structures publiques" et d'organisations professionnelles nombreuses résultant "d'un maquis institutionnel dense et peu cohérent". Comme bien souvent, l'Allemagne est citée comme exemple de "concertation opérationnelle réussie entre les acteurs publics et privés, de l'amont comme de l'aval de la filière".Une ressource trop précieuse pour être brûlée
Concernant les usages de la ressource, les rapporteurs spéciaux jugent que le soutien au bois-énergie, qui bénéficie de près de 36 % des allocations totales, est disproportionné et que son développement crée des conflits dans certaines régions où des industries ont du mal à obtenir de la matière première pour faire du charbon ou de la papeterie. A l'inverse, "les soutiens à l'usage du bois dans la construction sont modestes, alors qu'il s'agit du principal débouché en France pour le bois matériau et ses dérivés", notent les sénateurs. Yannick Botrel souligne : "Cela ne signifie pas qu'il ne faut plus installer de chaudière à bois. Mais il faut veiller à bien dimensionner les installations par rapport au contexte régional". Le rapport suggère plusieurs mesures, notamment l'accroissement de la production de bois par l'Office National des Forêts (ONF) dans une logique de résultats, en mettant en avant des essences résineuses, plus demandées par l'industrie. Le document propose l'instauration d'un dispositif de limitation des exportations de bois brut, afin de relocaliser la valeur ajoutée en France. Enfin, les élus se déclarent attachés à la désignation des responsabilités : "Nous souhaitons une clarification et un chef de file", précise le sénateur des Côtes-d'Armor, souhaitant que le ministère de l'Agriculture et de la Forêt endosse pleinement ce rôle. Avec Alain Houpert, ils recommandent de construire le pilotage stratégique de la filière et de l'axer sur un objectif de valorisation économique, de rapprocher les interprofessions, de recomposer et renouveler la forêt française, "de réformer prudemment la fiscalité applicable à l'amont forestier", et de réorienter les aides à l'aval, en soutenant davantage le bois œuvre plutôt que le bois-énergie.La forêt nationale représente environ 16,3 millions d'hectares, ce qui place la France au 3e ou 4e rang européen (selon si c'est la surface ou le volume de bois qui est pris en compte). Chaque année, elle produit 85 millions de mètres cubes de bois, dont la moitié est récoltée. A lui seul, l'ONF assure la gestion de 11 millions d'hectares de forêts publiques (d'Etat ou de collectivités), qui produisent 40 % du bois commercialisé en France. La filière professionnelle des activités liées au bois et à la forêt emploie 440.000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 60 Mrds € par an, soit environ 3 % du PIB. Selon les rapporteurs du Sénat, cette filière pourrait constituer un véritable atout économique pour le pays.
Batiactu : Le soutien au bois-énergie est-il réellement trop important ?
D.M. : C'est dommage de présenter les choses comme ça. Car, de quoi parle-t-on ? D'une énergie qui doit représenter, avec l'éolien, le gros des énergies renouvelables dans la transition énergétique et l'atteinte des objectifs de 2020. Et cette énergie vient en substitution de produits fossiles. Elle a donc un impact positif sur la balance commerciale et permet un gain net en réduisant le déficit. De plus, l'exploitation et la fabrication des équipements type chaudières est quasiment exclusivement française.
D.M. : le soutien moyen, via le Fonds chaleur de l'Ademe, s'élève à 40 €/tonne équivalent pétrole, ce qui est faible et qui met le coût de la tonne de CO2 évitée à seulement 16 €. Le bois-énergie présente des avantages en termes de décarbonation du mix énergétique, à un coût compétitif.
D.M. : La question fondamentale est celle du stock disponible. Or il croît, d'année en année. Le problème est celui de la mobilisation, en raison d'un morcellement en de trop nombreuses petites propriétés, et des conflits d'usage locaux. Mais sur les fondamentaux économiques, le bois énergie présente de bons indicateurs de performance. Au SER nous sommes réservés sur l'objectif de 2.400 MWe de puissance installée pour des chaudières à biomasse solide en 2020. Nous proposons, à la place, de mettre l'accent sur la production d'énergie thermique.