Dans son rapport sur l'économie du Nouveau Monde, commandité par Ségolène Royal, Corinne Lepage fustige le blocage de certaines technologies à cause d'un Etat encore rétrograde ou d'une action de lobbies industriels. Notamment auprès du CSTB. L'ancienne ministre de l'Ecologie énumère 100 propositions pour réussir la transition de l'économie française. Détails.

La transition écologique est en marche et bouscule tous les modèles établis au cours du 20e siècle. La France cherche à s'y engager pleinement, en tant qu'hôte de la COP21, conférence environnementale mondiale qui se tiendra en décembre à Paris. Ségolène Royal a mandaté Corinne Lepage, qui a également été ministre de l'Ecologie, afin de superviser un groupe de travail et produire un rapport sur l'économie de demain. Selon cette dernière, la France n'a pas encore basculé dans le 21e siècle.

Une charge contre le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment

"Pourquoi ce blocage ? Certaines causes sont diffuses : méfiance, crainte du progrès, modèle entrepreneurial figé, frilosité face à l'innovation et dysfonctionnement de la recherche. D'autres sont plus spécifiques : emplois en mutation, comptabilité publique inadaptée, blocages au niveau du financement des petites entreprises innovantes et des startup, normes obsolètes et favorisant les rentes, refus de l'Etat de passer aux énergies renouvelables". Dans le secteur de la construction, le document cite plusieurs exemples concrets, afin d'illustrer les difficultés rencontrées par les innovateurs : "(…) alors que la France est aujourd'hui leader dans le domaine du béton de chanvre, qui est un matériau simple, durable et économe, son développement reste extrêmement faible, en raison de l'opposition massive du CSTB". En région cependant, un plan bâtisseur et bio ressources a été acté par le conseil général de la Manche, qui le finance. "Ce plan repose sur une modélisation économique qui permet de définir les spécialistes à former à chaque niveau de développement d'outils. C'est donc une véritable filière qui pourrait créer 12.000 emplois directs", relate le rapport.

Les matériaux d'origine naturelle pénalisés

Sur la possibilité d'utiliser des matériaux innovants, le groupe de travail enfonce le clou : il estime que les matériaux d'isolation d'origine naturelle pâtissent de "la réglementation du CSTB qui vise à les exclure du marché". Les rédacteurs citent l'exemple du sel de bore, dont la présence n'est plus tolérée dans les isolants naturels "alors que le niveau mesuré était très inférieur à la norme communautaire de 5 % et alors même que ce taux de 5 % est très largement dépassé dans la laine de verre qui, elle, est autorisée". Pour les membres du groupe, les normes techniques seraient utilisées afin de bloquer l'accès au marché de certaines solutions ou de perturber la concurrence. "Dans le domaine de l'isolation des bâtiments, les normes fixées par le CSTB n'ont cessé de rendre quasi impossible l'accès au marché de produits naturels pour préserver le marché des produits industriels artificiels", résument-ils. Ils évoquent les normes sanitaires - certes indispensables - mais souvent inappropriées et "plus régulées par les intérêts économiques que par les intérêts de la santé publique". Le document relate l'interdiction d'utilisation des eaux de pluies pour alimenter les chasses d'eau ou pour l'arrosage des plantes, afin de protéger les marchés de l'eau potable. "Et très récemment, une réglementation est venue rendre quasi impossible l'utilisation des eaux grises pour les toilettes !", s'insurgent les membres du groupe de travail.

L'évaluation de l'innovation en question

Ils s'interrogent également sur la problématique de l'évaluation des innovations. Là encore, le secteur du bâtiment est cité : "Tests, évaluations ou contrôles des évaluations ont des coûts extrêmement importants que des PME ne peuvent pas supporter, et, du reste, un certain nombre d'organismes comme le CSTB jouent de cette situation en faisant évoluer les normes rendant ainsi indispensables, de manière fréquente, de nouvelles évaluations". De quoi décourager l'immense majorité des petites et moyennes entreprises. Contacté, le CSTB déclare n'avoir pas encore pris connaissance du document et ne formule, pour l'heure, aucune réaction.

 

Le rapport de 140 pages avance plusieurs solutions, notamment dans le secteur de la rénovation énergétique, tels que la mise en place d'un certificat de garantie ou la suppression des obstacles à l'utilisation de matériaux innovants. Il propose également de faire de la construction un acteur majeur de l'économie circulaire. Le document dresse un bilan et une liste de 100 propositions de mesures afin de tirer tout le bénéfice des changements en cours. Le rapport précise qu'il n'y a pas une, mais cinq révolutions à mener (voir encadré). Afin d'y répondre, le groupe de travail envisage notamment la mise en place d'une marque fédératrice "France Terre d'Avenir", la création d'un Institut de la Transition, le développement des synergies entre les entreprises ou la mise en place d'un fonds de remédiation.

 

Les cinq révolutions à mener :
• Mettre l'économie au service du bien-être et de l'environnement ;
• Mieux intégrer les externalités ;
• Donner la priorité au local et au citoyen ;
• Construire un nouveau modèle entrepreneurial ;
• Faire le choix en acte du passage aux EnR ;

 

Les cinq mesures structurelles à appliquer :
• Créer une marque pour fédérer "France Terre d'Avenir" ;
• Développer un accélérateur numérique de mise en synergies ;
• Construire ensemble le Mouvement des Entreprises pour la Nouvelle Economie ;
• Créer l'Institut de la Transition ;
• Mettre en place un fonds de remédiation.

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