ENTRETIEN. Pour la présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), Alexandra François-Cuxac, la crise des assureurs en libre prestation de services (LPS) doit être l'occasion pour la filière de repenser en partie son dispositif assurantiel.
Batiactu : Vous estimez, dans une tribune parue récemment dans la presse, que notre système d'assurance-construction est une spécificité française "excellente". Pour autant, vous en appelez tout de même à un "aggiornamento" dans ce domaine. Quels sont les éléments, selon vous, qu'il faut garder dans le dispositif Spinetta, et ceux qu'il faudrait remettre en question ?
Alexandra François-Cuxac : Le principe même d'une assurance obligatoire est vertueux, dès lors qu'elle est suffisamment régulée et que n'interviennent sur ce marché complexe que des assureurs compétents et en capacité d'assumer le risque par une capitalisation adéquate sur la durée. Nombre de promoteurs ont des accords-cadres avec des assureurs dont la compétence est reconnue, avec lesquels ils travaillent sur la prévention des sinistres et les bonnes pratiques, dans une vraie logique de partenariat et d'accompagnement. La clé est là, dans une relation où les promoteurs ne voient pas uniquement l'assurance comme une ligne de coût dans un bilan, et où les assureurs savent prendre en compte nos besoins et nous accompagnent.Batiactu : Quelles sont les propositions de la FPI pour améliorer le contexte lié à l'assurance-construction ? Comment les promoteurs pourraient-ils participer à cet effort ?
Alexandra François-Cuxac : La meilleure assurance, et la moins chère, c'est celle qu'on ne met pas en œuvre. La priorité, pour moi, réside dans la prévention, la diffusion des bonnes pratiques, la connaissance des principaux risques de sinistres et les meilleurs moyens de les prévenir etc. Notre commission "construction" y travaille, en lien avec l'AQC et le GIP.Batiactu : Êtes-vous de l'avis de dire que les assureurs 'historiques' ont joué un rôle dans la montée en puissance de la LPS, notamment parce qu'ils proposaient des solutions trop onéreuses ?
Alexandra François-Cuxac : Lorsque des acteurs émergents captent aussi vite une part de marché aussi significative, c'est que l'offre de marché existante frustre une partie des professionnels. Le coût de l'assurance construction est aujourd'hui globalement faible par rapport aux risques couverts, et l'écart de coût entre assureurs classiques et assureurs en LPS probablement pas suffisant pour justifier à lui seul le choix des offres "exotiques". En revanche, il est probable que la réactivité des assureurs en LPS et la rapidité avec laquelle ils instruisent les dossiers a pu peser, pour des promoteurs toujours pris par le temps. Il y a de bonnes raisons aux délais des assureurs plus classiques, qui tiennent à la nécessité de bien mesurer les risques dans un domaine aussi complexe que l'assurance-construction, mais il y a là probablement des marges d'amélioration.
"Le français, une quasi-langue morte sur les chantiers"
Batiactu : La sinistralité a fortement augmenté depuis 2008 dans le BTP. De par votre expérience de terrain, en tant que promoteur, quelles sont selon vous les raisons de cette hausse ?
Alexandra François-Cuxac : Indiscutablement, le secteur de la construction s'est retrouvé en tension, après avoir été profondément fragilisé par la crise de 2008 : il a fallu près de 10 ans pour recommencer à y créer de l'emploi stable. Cela signifie que pendant plusieurs années, les entreprises du BTP ont dû faire face à une demande croissante avec des équipes peu nombreuses, mal formées pour certaines, avec une part croissante du travail détaché qui fait du français une quasi-langue morte sur les chantiers. Rien de tout cela ne va dans le sens de la qualité. La pression des délais et des coûts a aussi joué, et toute la chaîne de production y a sa part de responsabilité, y compris les promoteurs. Dans le même temps, l'amélioration des objectifs de performance a amené sur les chantiers une complexité nouvelle dans la conception et la mise en œuvre. Les métiers impliqués dans la chaîne de production voient donc leur marge de tolérance se réduire dans un contexte ou l'information n'est pas toujours disponible au bon moment pour le bon intervenant. Ceci doit aussi nous amener à reconsidérer les périmètres de responsabilité de chacun.Batiactu : Certains analystes estiment que le régime très protecteur instauré par Spinetta conduit à une forme de déresponsabilisation des acteurs sur le mode : 'S'il y a un problème, l'assureur prendra en charge.' Cette philosophie conduirait à augmenter le nombre de sinistres, et, logiquement, augmenter les primes d'assurances (ce qui ouvrirait un boulevard aux LPS). Partagez-vous, au moins en partie, cette analyse ? Est-ce dans cet ordre d'idées que vous en appelez à revoir la réglementation ?
Alexandra François-Cuxac : C'est ce qu'on appelle 'l'aléa moral', quand l'assurance crée elle-même le risque. Un peu comme dans l'assurance maladie : je sais que je suis bien couvert, ma conduite devient plus à risque. C'est discutable et j'y crois modérément pour le bâtiment : pour un promoteur, un sinistre dans un bâtiment neuf, c'est une réputation ternie, surtout avec le poids croissant des réseaux sociaux - or notre réputation est l'un de nos principaux actifs.
"Si les assureurs ne suivent pas, la démarche Essoc ne prospérera pas"
Batiactu : Le permis d'expérimenter introduit par la loi Essoc, et à terme la réécriture du livre 1 du Code de la construction et de l'habitat, vous semble-t-il aller dans le bon sens, du point de vue de la sinistralité et du rôle des assureurs ?
Alexandra François-Cuxac : C'est censé permettre de libérer l'innovation, mais pose des questions sur le plan assurantiel puisqu'il faudra bien que les dérogations à la réglementation soit validées, donc assurées. C'est un débat qui a traversé les réflexions du CSCEE sur le permis d'expérimenter : si les assureurs ne suivent pas, la démarche ne prospérera pas. Or leurs représentants ont pesé positivement sur le contenu du texte, et affirmé leur adhésion au point d'arrivée, donc on peut être confiant sur le fait que les obstacles ne viendront pas prioritairement de là. Le principal enjeu, c'est l'adhésion des maîtres d'ouvrage, et leur volonté de prendre des risques quand leurs clients - en immobilier d'entreprise en particulier - vont parfois jusqu'à le leur interdire. N'oublions pas que peu de pays se sont engagés dans cette logique d'obligation de résultat plutôt que de moyens. Nous sommes donc innovants y compris sur la méthode : c'est positif pour notre secteur, il faut l'encourager.Batiactu : Enfin, cette dernière question n'en est pas vraiment une : je vous soumets le témoignage d'une lectrice (voir en encadré ci-dessous), que nous avons reçu, sur les conséquences chez elle de la liquidation d'un assureur construction. Auriez-vous peut-être un commentaire à en faire ou un conseil à lui donner ?
Alexandra François-Cuxac : C'est une situation emblématique des problèmes soulevés par l'assurance en LPS, et je comprends toutes les difficultés que cela soulève pour cette personne. Je serais tentée de lui dire que l'assurance dommage-ouvrage n'a pour objet que le pré-financement de la réparation des dommages, et qu'elle conserve la possibilité de mettre en jeu la responsabilité décennale de tous les acteurs de la chaîne de production. C'est une action à engager collectivement, directement auprès du juge : elle est plus longue et plus complexe qu'avec la DO, mais la responsabilité des professionnels demeure. Il nous semble indispensable de préserver un système de protection pour le consommateur mais on voit bien dans ce cas qu'il est indispensable de reconsidérer la chaîne de responsabilité depuis les industriels jusqu'à l'achèvement de l'ouvrage afin d'accélérer les procédures d'analyses et d'expertises.
"L'immeuble dans lequel j'ai acheté un appartement sur plan en 2014 auprès d'un promoteur familial se trouve sans assurances dommages-ouvrage depuis cet été, suite à la liquidation judiciaire d'un assureur. Début juillet 2018, j'ai appris que cette assurance, souscrite par notre promoteur via leur courtier (aussi en liquidation) était une assurance en libre prestations de services (LPS). Aucune information sur ce genre d'assurance, ni leur contrat ne m'ont été communiqués lors de l'achat, ni à la signature de l'acte de vente en 2015. Si cela avait été le cas, peut-être aurais-je eu l'idée d'aller regarder sur Internet et d'apprendre que l'ACPR mettait en garde les professionnels du bâtiment du risque à souscrire de tels contrats depuis 2012 (d'après ce que j'ai pu lire). Il y a eu un sinistre dans les parties communes de notre immeuble, dont un qui est apparu trois mois après la livraison de mon appartement et qui l'affecte au point de l'avoir rendu inhabitable fin octobre 2017.
"Cet appartement représente le travail d'une vie"
Pour ce sinistre, j'ai dû envoyer une déclaration au gestionnaire sinistres de la DO, puis à lui écrire à nouveau, le plombier de l'immeuble n'ayant pas réussi à réparer et la fuite de condensats dans la colonne d'évacuation de la chaudière condensation à gaz n'ayant pas été trouvée. C'est alors que le gestionnaire a répondu que les garanties n'étaient pas mobilisables pour ce sinistre, m'obligeant à consulter une avocate avec laquelle nous avons entrepris une procédure en référé expertise en juin 2018, avant d'apprendre la liquidation judiciaire de l'assureur LPS un mois plus tard.