INNOVATION. Travaux sur les procédés, adoption de combustibles alternatifs, captage du CO2, nouvelles formulations... Les professionnels du ciment activent tous les leviers afin de réduire l'empreinte environnementale de leur industrie. Bénédicte de Bonnechose, présidente du Sfic, et Laurent Izoret, directeur délégué de l'Atilh, lèvent le voile sur toutes les pistes d'amélioration.

A l'échelle mondiale, l'industrie cimentière représente, à elle-seule, 5 % de toutes les émissions de CO2 anthropiques. En France, où elle est plus vertueuse, grâce à des efforts entrepris depuis une trentaine d'années, cette proportion est de 2,9 % des émissions nationales. Une empreinte qui reste importante pour une filière qui ne compte finalement qu'une quarantaine de sites industriels et 5.000 emplois directs. Bénédicte de Bonnechose, présidente du Syndicat français des industries cimentières (Sfic), détaille : "Il y a eu un engagement de réduction des émissions de carbone voilà 30 ans et elles ont été réduites de 40 % depuis". Mais avec un marché de 18 millions de tonnes de ciment par an qui est appelé à grossir, du fait de l'accroissement démographique et de l'urbanisation continue - il y a aura 74 millions de Français en 2050 - comment faire pour que ces émissions n'explosent pas et ruinent la Stratégie nationale bas carbone ?

 

 

Le premier levier utilisé sera la substitution des combustibles fossiles. "Le taux de substitution moyen est de 44 % à l'heure actuelle. Mais des travaux sont faits sur l'efficacité de la combustion pour valoriser des sous-produits d'autres industries", annonce la responsable du Sfic. Certaines unités de production de Lafarge-Holcim fonctionneraient déjà avec des taux de 80-85 %, preuve que ce premier objectif est réaliste. Combustibles de substitution (déchets industriels, huiles) et biomasse pourraient ainsi permettre d'économiser 77 kg de CO2 par tonne de ciment produite. A l'avenir, les cimenteries deviendront des "recycleries" capables de brûler tout un panel de combustibles et de valoriser des matières de substitution comme les gravats issus de déconstructions. Différents programmes en ce sens ont été lancés comme Recybéton (incorporation de granulats et sables recyclés dans le béton) ou Fastcarb (carbonatation rapide des bétons par CO2 industriel). La récupération des fumées de cimenteries pourrait même participer à cette régénération du calcaire et contribuer à créer une véritable circularité de l'industrie. Le projet Oxyfuel par exemple, consistera à concentrer le CO2 en utilisant la combustion à l'oxygène optimisée. Leilac pour sa part, visera à séparer ce CO2 lors de la pré-calcination tandis que Calcium looping cleanker utilisera de la chaux afin de le piéger et le transporter.

 

Travaux sur les formulations pauvres en clinker

 

 

Mais les plus gros progrès viendront d'ailleurs, car le très ambitieux objectif sera de passer de 656 kg CO2/tonne aujourd'hui en moyenne (et même 850 kg/t pour les ciments Portland de type CEM I, les plus riches en clinker) à seulement 130 kg/t. La formulation de nouveaux ciments (-127 kg CO2/t) et le stockage de carbone plus l'adoption de technologies de rupture (-312 kg CO2/t) porteront l'essentiel des progrès à réaliser. C'est Laurent Izoret, directeur délégué de l'Association technique des liants hydrauliques (Atilh), qui expose les différentes pistes considérées : "D'ici 18 mois, les travaux de normalisation en cours permettront une mise sur le marché des CEM II/C-M et CEM VI à teneur réduite en clinker". Son taux sera de 60 % dans les CEM II, grâce à l'incorporation de calcaire, cendres volantes et laitiers, et il sera même inférieur à 50 % dans les CEM VI. Puis la filière ira encore plus loin : "D'ici quatre ans, les LC3 pour 'Limestone calcined clay cement', ou ciment d'argile calcinée, permettront de réduire de 40 % les émissions de CO2 grâce à la diminution de la teneur en principe actif et à l'effet coopératif entre le métakaolin et le clinker". Le spécialiste évoque également les ciments alternatifs, non Portland, comme les sulfo-aluminates de calcium, qui permettent de réduire de 30 % les besoins de chauffage. "Toutes ces technologies sont, globalement, classiques avec quelques ajustements. Les coûts sont donc comparables aux ciments actuels", analyse-t-il.

 

Le Sfic estime toutefois que, pour parvenir à mener de front toutes ces évolutions, des investissements conséquents seront nécessaires sur les sites industriels, de l'ordre de 30 à 50 M€ par cimenterie. Bénédicte de Bonnechose conclut : "C'est une ambition réaliste que nous présentons. Nous avançons et les industriels sont mobilisés. La France peut compter sur des leaders mondiaux comme Vinci, Bouygues et Eiffage, elle occupe donc une position de tout premier plan et il existe une véritable excellence française. Une vraie économie du recyclage est possible". Des travaux seront donc menés avec les acteurs des déchets afin de mettre sur pied des partenariats. Et les travaux de R&D se poursuivront, à la fois dans les laboratoires des majors et dans de petites startups. Les technologies de rupture n'arriveront toutefois pas avant une dizaine d'années.

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