ANALYSE. Comment faire évoluer la réglementation incendie afin de réduire le risque de connaître un "Grenfell français" ? C'est notamment sur ce sujet que plusieurs experts du sujet ont échangé lors d'une table ronde au "Zak world of façades", le 28 juin 2018 à Paris.
Si la tour Grenfell avait été construite en France, elle aurait été classée en immeuble de grande hauteur (IGH) du fait qu'elle faisait plus de 50 mètres. Elle aurait été ainsi protégée du risque de rapide propagation du feu en façade. Mais si elle avait mesuré 40 mètres, elle aurait été classée en immeuble de quatrième famille : le même dangereux système de façade qu'à Grenfell aurait alors pu y être posé, et les mêmes conséquences dramatiques auraient pu être à déplorer - pour rappel, l'incendie de Londres a fait plus de soixante-dix morts. C'est sur la base de ce constat que plusieurs experts de la sécurité incendie des bâtiments ont échangé sur le sujet, le 28 juin 2018, à l'occasion de l'édition parisienne du "Zak world of façades".
Libérer l'innovation, mais sans diminuer la sécurité des personnes
"J'étais à Londres quand c'est arrivé, et cela a été un choc pour tout le monde", a indiqué Yann Parigot, responsable façades chez Bouygues bâtiment international. Pour lui qui a notamment travaillé outre-Manche, il faut trouver à l'origine de cette catastrophe un laisser-aller réglementaire. "Là-bas, les textes décrivent les grandes lignes, sans entrer dans les détails. Il n'y a pas comme en France un cahier technique qui indique comment il faut faire. En Angleterre, on joue avec les règles." Des textes qui "décrivent les grandes lignes" sans "entrer dans les détails" ? C'est précisément ce que compte mettre en place le Gouvernement français actuel, via le permis d'expérimenter, dont la raison d'être est de substituer l'obligation de résultat à l'obligation de moyens pour libérer l'innovation.
"Les textes en vigueur actuellement datent pour l'essentiel des années 80-90", Stéphane Hameury (CSTB)
Mais les spécialistes ne sont pas nécessairement inquiétés par l'arrivée de ce permis d'expérimenter, qui englobera notamment les règles feu : car tout l'enjeu consistera à trouver le bon équilibre entre trop de prescriptif et pas assez. "Le rapport que nous avons rendu en juillet 2017 [lire notre article ici], dans la foulée de Grenfell, pointait la nécessité de créer un schéma réglementaire qui puisse suivre en continu l'évolution rapide des innovations dans le domaine de la façade", a pour sa part rappelé Stéphane Hameury, directeur adjoint aux Partenariats et développement à la direction Sécurité, structures, feu du CSTB. "L'idée ne serait pas de passer par des contraintes prescriptives, mais d'ouvrir la voie à plus d'ingénierie et à plus d'intelligence." Pour le spécialiste, le rythme des nouveautés est tel en ce qui concerne les façades qu'une réglementation trop rigide ne serait pas adéquate. Or, "les textes en vigueur actuellement datent pour l'essentiel des années 80-90", remarque-t-il également.
En réhabilitation, pas de contrôle pour la sécurité incendie
Les pouvoirs publics sont visiblement en train de suivre les recommandations du CSTB, qui pointait le problème des immeubles de quatrième famille, en introduisant dans la loi Elan des immeubles de moyenne hauteur (IMH, 28-50 mètres). Stéphane Hameury (CSTB) nous en dit plus : "Nous pouvons imaginer demain une réglementation incendie spécifique pour ces IMH, avec un accent mis sur certains points particuliers pour les façades. Et, parallèlement, une détente des exigences sur des ERP ou bureaux, aujourd'hui considérés comme IGH dès 28 mètres. Bien sûr, il revient aujourd'hui à l'État de faire ses choix. Mais c'est en tout cas dans ce sens qu'allaient nos préconisations."
Mais soigner une réglementation, c'est une chose. Contrôler son application en est une autre. Et c'est d'ailleurs l'un des autres thèmes qui ont été abordés lors de la table ronde du 28 juin. Eric Guillaume, directeur général du laboratoire Efectis, note d'emblée qu'en réhabilitation, "on peut échapper à tout contrôle". Ce qui n'est pas le cas en construction neuve. "Sur des IGH ou des ERP, vous avez des visites périodiques qui permettent de s'assurer que les dispositifs de sécurité sont en place", précise Stéphane Hameury. "On doit pouvoir s'attendre à ce que ce niveau d'exigence soit suffisant. Mais il est vrai qu'il y a moins de contrôles pour certains bâtiments d'habitation. Ils sont réalisés sur la base de dossiers au moment du dépôt du permis de construire. On peut aussi s'appuyer sur des bureaux de contrôle, mais faire appel à eux n'est par exemple pas obligatoire pour les immeubles de troisième famille."
"Certains préfèrent poser des matériaux moins résistants et moins chers, on voit le résultat..."
Un sujet d'autant plus central qu'il faut s'assurer, et ce sur le long terme, de la résistance de la façade. "Nous devons nous pencher là-dessus", assure d'ailleurs Stéphane Hameury. "Comment maintenir la performance durant toute la vie de l'ouvrage ? Nous devons rester très humbles face à la problématique incendie." Bruce Le Madec (Rockwool), insiste pour sa part, dans le même ordre d'idées, sur le maintien de l'exigence tout au long d'un projet. "Il y a énormément de phases dans la conception d'un ouvrage, durant lesquelles il faut maîtriser ce risque."
"Grenfell doit être la sonnette d'alarme qui permet à tout le monde, à tous les niveaux, de se demander s'il est bien couvert par la réglementation", a conclu Yann Parigot (Bouygues bâtiment). "Est-ce que le bâtiment que l'on livre au client est sûr, sécurisé ? C'est l'essentiel, et les coûts que cela peut impliquer ne rentrent pas en ligne de compte." Une observation qui résonne avec celle formulée un peu plus tôt par Xavier Tourtchine, directeur général d'Elval colour ibérica, société produisant des panneaux "sandwich" en aluminium appartenant à la même famille de produits que ceux posés sur Grenfell. "Dans le bâtiment, 80% de ce type de panneaux devraient avoir une résistance renforcée à l'incendie [fire retardant], et 20% devraient être A2 [avec un cœur incombustible]. Malheureusement, certains clients utilisent la version avec une âme en polyéthylène [le produit posé sur Grenfell], parce que c'est moins cher, alors même que c'est parfois illégal. Et on voit le résultat..."