CONJONCTURE. En présentant le bilan 2018 et les perspectives 2019 de son secteur, la Fédération française du bâtiment (FFB) a souligné que l'activité a augmenté de 2,3%, permettant la création de 30.000 postes. Son président, Jacques Chanut, attire cependant l'attention sur "la fin d'un cycle de croissance" qui présagerait de nouvelles difficultés pour les professionnels.
"Il y a aujourd'hui une alerte : nous avons connu jusqu'à présent trois années de croissance, ce qui constitue la reprise la plus courte qu'on ait enregistré depuis des années. Et nos entreprises risquent de ne pas être préparées à affronter une nouvelle crise." Jacques Chanut, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), a ainsi résumé le bilan 2018 et les perspectives 2019 du secteur, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue ce mercredi 19 décembre 2018. Au niveau des chiffres, l'organisation affirme que l'activité a progressé de 2,3% en volume cette année, après avoir enregistré +4,9% en 2017. Dans le détail des segments, le neuf a augmenté de 4,3%, dont le logement +2,8% et le non-résidentiel +7,4% (25.800 mises en chantiers). Les carnets de commande affichent également une très bonne forme, s'étalant sur à peu près 6 mois de production, tous métiers et toutes tailles d'entreprises confondues.
"Il y a aujourd'hui une alerte : nous avons connu jusqu'à présent trois années de croissance, ce qui constitue la reprise la plus courte qu'on ait enregistré depuis des années. Et nos entreprises risquent de ne pas être préparées à affronter une nouvelle crise."
Un tel contexte a aussi eu des conséquences positives sur l'emploi de la profession : en 2018, 30.000 postes ont été créés, avec une grande majorité de CDI (24.000, contre 6.000 en intérim) à la clé, soit une hausse de 2,6% de l'emploi. Pour autant, des difficultés structurelles persistent : "Il y a certains endroits où les recrutements sont confrontés à un goulot d'étranglement", note Jacques Chanut. "Pour répondre à cette problématique de main-d'œuvre endogène, il y a une tendance à l'extension de la zone d'intervention des entreprises."
Une batterie de mesures gouvernementales qui a déstabilisé le secteur
Quelques indicateurs viennent toutefois obscurcir le tableau. Les mises en chantiers de logements ont reculé d'environ 6%, pour passer de 428.000 à 404.000 unités. C'est pourquoi la fédération parle d'un début de "retournement sur le marché du logement", regrettant une nouvelle fois une batterie de mesures gouvernementales : la réduction des APL, la mise en place de la RLS (Réduction du loyer de solidarité), la hausse de la TVA dans le locatif social à un niveau de 10%, l'abolition de l'APL-accession, la suppression de l'éligibilité au Pinel en zones B2 et C, l'instauration de l'IFI (Impôt sur la fortune immobilière), la sortie progressive des fenêtres et chaudières au fioul du champ du CITE (Crédit d'impôt pour la transition énergétique)... Autant de décisions perçues comme des "attaques concertées sur tous les segments du marché", et qui ont fini par déstabiliser celui-ci.
Partant de ce constat, les entreprises de bâtiment spécialisées en logements neufs ont vu leur activité augmenter de 2,8% en 2018. Et quid du segment de l'entretien-rénovation ? Ayant souffert des "hésitations du marché de la rénovation énergétique", celui-ci a enregistré une hausse timide de 0,8% en 2018. "Le marché de la rénovation est impacté par le coût du logement en général et par des dispositifs fiscaux moins incitatifs pour la rénovation énergétique", précise Jacques Chanut. Ce dernier salue d'ailleurs "la mobilisation de toute la profession, de certains parlementaires, d'Alain Maugard, de Thierry Repentin et de la Capeb [Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment, NDLR]" qui aurait permis la réintroduction des menuiseries extérieures dans le CITE.
Le GNR, une victoire rendue possible grâce aux Gilets jaunes
Plusieurs sujets d'actualité ont par ailleurs impacté, positivement ou négativement, la conjoncture du bâtiment : "Sur le GNR [Gazole non-routier, NDLR], l'ambiance globale des Gilets jaunes a beaucoup aidé à faire bouger les choses", reconnaît Jacques Chanut. "Cet épisode doit d'ailleurs nous préparer à affronter ce sujet chaque année. Pour l'instant, c'est derrière nous et c'est tant mieux, mais il faut mettre en place des mesures pour accompagner le changement du parc matériel." Autre sujet d'inquiétude : les finances locales. "Les collectivités territoriales sont des clients importants pour nous, donc des mesures budgétaires impactant leurs dépenses d'investissements ne seraient pas une bonne nouvelle pour nous. Si elles ne connaissent pas le mode d'emploi de leur fiscalité de demain, cela va impacter notre activité." Une activité déjà tendue en raison de difficultés de trésorerie et de dégradation des marges persistantes, d'après la fédération.
"Sur le GNR, l'ambiance globale des Gilets jaunes a beaucoup aidé à faire bouger les choses. Cet épisode doit d'ailleurs nous préparer à affronter ce sujet chaque année. Pour l'instant, c'est derrière nous et c'est tant mieux, mais il faut mettre en place des mesures pour accompagner le changement du parc matériel."
Une année 2019 en recul, sauf pour l'emploi et le non-résidentiel neuf
Bref, pour la profession, c'est une fin de cycle qui commence à s'esquisser. "La responsabilité de notre fédération, c'est de dire la vérité", poursuit le président de la FFB. "On a le sentiment d'être déjà à la fin d'un cycle de croissance. Ce n'est pas inédit. Mais malheureusement, il peut y avoir des destructions d'emploi dans ces cas-là, car nos entreprises doivent adapter leur outil de production. Dans de telles conditions, notre objectif est donc de limiter la baisse en 2019, et d'éviter la chute en 2020. Quand on est chef d'entreprise, on cherche à réduire les coûts." La première moitié de l'année prochaine pourrait ainsi bénéficier de la dynamique amorcée en 2018 ; a contrario, la seconde moitié de 2019 risquerait de souffrir de la chute du logement neuf.
"On a le sentiment d'être déjà à la fin d'un cycle de croissance. Ce n'est pas inédit. Mais malheureusement, il peut y avoir des destructions d'emploi dans ces cas-là, car nos entreprises doivent adapter leur outil de production. Dans de telles conditions, notre objectif est donc de limiter la baisse en 2019, et d'éviter la chute en 2020. Quand on est chef d'entreprise, on cherche à réduire les coûts."
Selon les prévisions de la FFB, l'activité du bâtiment reculerait de 0,5% ; dans le détail, le neuf se contracterait de 2%, avec -4,5% pour le logement (377.000 mises en chantiers). Un chiffre qui ne serait que très peu compensé par la bonne santé du non-résidentiel neuf (+3%, soit 25.400 mises en chantiers) et par l'entretien-rénovation. Tant et si bien que l'activité globale devrait se rétracter de 0,5% sur l'année, sans pour autant impacter l'emploi, puisqu'environ 5.000 postes pourraient être créés. La FFB espère que la réintégration des fenêtres dans le dispositif du CITE assurera une croissance de l'entretien-rénovation de 0,5% en 2019.
Globalement, pour le bâtiment, l'avenir serait donc loin d'être radieux, avec la crainte de revivre une situation de récession : "Rien n'est pire que l'incertitude dans nos métiers. Il faut vite faire les arbitrages. Mais c'est loin d'être foutu. Ce qui m'agace, en fait, c'est que cette situation est évitable, et qu'on est en train de refaire les mêmes conneries [sic] qu'en 2012, celles qui nous ont plombé le marché jusqu'en 2015", assène Jacques Chanut.
"Rien n'est pire que l'incertitude dans nos métiers. Il faut vite faire les arbitrages. Mais c'est loin d'être foutu. Ce qui m'agace, en fait, c'est que cette situation est évitable, et qu'on est en train de refaire les mêmes conneries [sic] qu'en 2012, celles qui nous ont plombé le marché jusqu'en 2015."
Attente forte sur la réouverture du PTZ en zones B2 et C
Au-delà de 2019, le marché pourrait connaître une certaine stabilisation. La FFB table notamment sur trois facteurs pour limiter la casse : d'abord, elle espère une réouverture du dossier PTZ en zones B2 et C pour endiguer la baisse du logement. "Nous souhaitons que l'on débouche rapidement, avant la fin juin 2019, sur la pérennisation du dispositif, à l'horizon du quinquennat, avec une quotité de 40%, soit un alignement sur ce qui existe déjà pour les zones A et B1", souligne la fédération dans un communiqué. Ensuite, la profession mise beaucoup sur les projets validés par l'Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), la mise en place du programme Action Cœur de ville, et le nouveau dispositif fiscal du "Denormandie dans l'ancien". Jacques Chanut apprécie d'ailleurs la mobilisation du ministre chargé de la Ville et du Logement sur plusieurs dossiers : "Julien Denormandie est conscient de la situation, et à ce titre il faudrait l'écouter un peu plus". Dernier espoir : les lois Elan et Essoc, toutes deux ratifiées courant 2018, devraient permettre de simplifier les normes et les procédures, et ainsi faciliter les constructions.