INTERVIEW EXCLUSIVE. Myriam El Khomri vient de défendre, à Bruxelles, la position tricolore auprès des autorités de la Commission européenne, qui "maintiendra en l'état la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés". L'occasion pour la ministre du Travail de nous annoncer que les "décrets d'application de la Loi Travail, relatifs aux dispositions sur le travail détaché, alourdiront dans quelques semaines les sanctions et étendront encore les responsabilités des donneurs d'ordres."
Batiactu : La Commission européenne a rappelé, vendredi 9 septembre 2016, à Bruxelles, qu'elle maintiendra en l'état la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Elle prévoit aussi d'aligner les régimes des travailleurs détachés sur ceux de la main d'œuvre locale et de limiter leur mission à deux ans. Est-ce que cela vous satisfait à l'heure actuelle ?
Myriam El Khomri : C'est un premier pas encourageant et nous nous félicitons que la Commission se soit engagée dans cette direction en mars dernier en proposant de réviser la directive de 1996. Malheureusement, face à l'ampleur des comportements illicites, cela ne sera pas suffisant. Il faut aller plus loin pour lutter plus efficacement contre les fraudes et notamment les sociétés "boîtes aux lettres", c'est-à-dire des structures qui sont créées sans véritable activité dans leur pays d'origine et qui entraînent une concurrence déloyale.
Myriam El Khomri : C'est un premier pas encourageant et nous nous félicitons que la Commission se soit engagée dans cette direction en mars dernier en proposant de réviser la directive de 1996. Malheureusement, face à l'ampleur des comportements illicites, cela ne sera pas suffisant. Il faut aller plus loin pour lutter plus efficacement contre les fraudes et notamment les sociétés "boîtes aux lettres", c'est-à-dire des structures qui sont créées sans véritable activité dans leur pays d'origine et qui entraînent une concurrence déloyale.
Notre priorité est donc de renforcer le "noyau dur" des droits reconnus aux travailleurs détachés. Je pense notamment, au-delà de la question du salaire, à celle du logement. C'est une question de dignité. On ne peut pas tolérer que des travailleurs détachés soient logés dans des hébergements totalement insalubres, au mépris des valeurs humanistes qu'incarne l'esprit européen. Et il faudra également que nous nous penchions sur les moyens de lutter contre le détournement des règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale, les montages qui permettent d'exploiter les différences de cotisations sociales qui existent entre les pays. Le dumping social n'a pas sa place dans la construction européenne.
Batiactu : Qu'est-ce qui ressort de vos dernières rencontres avec, notamment, Gilles Savary (PS), le 1er septembre dernier, l'auteur de la loi française qui a tout déclenché ?
Myriam El Khomri Nous partageons l'intime conviction qu'il est aujourd'hui absolument indispensable de réformer la directive de 1996 ! Le contexte dans lequel cette directive a été adoptée a évolué : le recours au détachement a fortement augmenté et les techniques de fraude se sont sophistiquées. C'est pourquoi, nous avons en France fortement renforcé les contrôles de chantiers. Cela représente, entre 1.500 et 2.000 contrôles chaque mois, soit trois fois plus que l'année dernière. Mais, seule une réponse au niveau européen permettra d'encadrer efficacement ces pratiques.
"La France est le troisième pays de l'Union européenne à "détacher" des salariés chez ses voisins."
C'est indispensable pour nos entreprises, c'est une exigence de nos concitoyens, mais c'est aussi vital pour le maintien du principe de libre circulation sur laquelle repose la construction européenne. Il faut être lucide : la multiplication des fraudes en matière de détachement alimente un sentiment d'exaspération de la part de nos concitoyens. Mais ne nous trompons pas de cible ! Attaquons-nous à ces fraudes. Car la circulation des travailleurs est en soi une bonne chose, dont profite notre économie. Et n'oublions pas que les travailleurs français eux-mêmes sont très nombreux à circuler dans d'autres pays de l'Union européenne. La France est d'ailleurs le troisième pays de l'Union européenne à "détacher" des salariés chez ses voisins.