INTERVIEW. A l'issue d'une assemblée générale digitalisée, ce 18 juin 2020, Bruno Cavagné a été réélu à la tête de la Fédération nationale des Travaux publics pour un troisième mandat. Trois années supplémentaires qui seront placées sous le signe de la transformation et de l'accélération, comme il l'explique à Batiactu. Il revient également sur les dernières nouvelles concernant le gazole non-routier.

Président de la FNTP depuis 2013, Bruno Cavagné vient d'être réélu ce 18 juin 2020. Il pensait que ce dernier mandat serait "plus calme". Mais la crise sanitaire est passée par là, a lourdement frappé le secteur, et a quelque peu changé le programme des trois années à venir. A y regarder de plus près, les combats à mener restent peu ou prou les mêmes : relance des investissements et leur financement, transition écologique, formation et attractivité. Mais au lieu de "dérouler ce que nous avions commencé à mettre en place, nous allons devoir nous retrousser les manches et accélérer", indique-t-il à Batiactu.

 

Batiactu. Vous venez d'être réélu à la tête de la FNTP pour un troisième et dernier mandat de trois ans. Quel impact la crise sanitaire a sur votre programme de travail ?

 

Bruno Cavagné :
Je pensais que nous pourrions dérouler ce que nous avons commencé à mettre en place ces dernières années, calmement. Tous nos sujets d'attention restent d'actualité. Sauf qu'avec la crise, nous allons devoir nous retrousser encore plus les manches et accélérer. Car 2020 ne sera pas une bonne année. Nous nous attendons à une chute de 20% de notre activité, alors que nous imaginions une année à 0 ou +2%. Et l'automne nous inquiète particulièrement.

 

Batiactu : Pourquoi êtes-vous si inquiet pour cet automne ?

 

B.C. :
Nous avons un problème de temporalité. Les appels d'offres manquent toujours, et nous craignons un trou d'air à la rentrée. De plus, pour le moment, le BTP ne bénéficie d'aucun plan de relance contrairement à d'autres secteurs. Ce qui est incompréhensible lorsque l'on connaît le poids économique, la présence sur l'ensemble du territoire, le nombre de salariés qu'emploie le BTP, et la capacité qu'il a démontrée à redémarrer très vite son activité.

 

"Le BTP ne bénéficie d'aucun plan de relance. C'est incompréhensible."

 

L'État tente de nous rassurer en nous expliquant qu'un plan de relance global arrivera cet automne, ainsi que des programmes au niveau européen. Mais ces plans ne s'appliqueront qu'à partir de 2021. Par ailleurs, l'allocution du président de la République le 14 juin n'était pas de nature à nous rassurer puisqu'il n'a pas mentionné notre secteur, si ce n'est pour évoquer la rénovation énergétique des bâtiments. Et il n'a jamais été question de mobilité ou d'entretien. Nous devons continuer à chercher à convaincre de la nécessité des investissements dans les infrastructures.

 

Batiactu : Quels sont les arguments que vous comptez mettre en avant pour tenter de convaincre les pouvoirs publics ?

 

B.C. :
Les collectivités, au fond, le savent déjà. Alors certes, elles perdent beaucoup de recettes et en perdront encore plus en 2021 du fait de la crise sanitaire. Mais elles ont des trésoreries solides, et sont peu endettées, elles ont donc la capacité d'investir. L'État, lui, doit réenclencher tous les projets qui étaient un peu à l'arrêt. Ce n'est pas si compliqué, il suffit d'avoir la volonté politique et l'envie de les concrétiser.

 

"Enclencher les projets n'est pas si compliqué : il suffit d'avoir la volonté politique et l'envie de les concrétiser."

 

Nous devons accélérer sur les mobilités, en passant au scénario 3 du conseil d'orientation des infrastructures, le 2e étant désormais insuffisant, et en réalisant les programmes des contrats de plan Etat-régions, incroyablement en retard. Il faut aussi accélérer sur le numérique, ou encore sur les réseaux d'eau, en donnant aux agences de l'eau un peu plus de libertés pour irriguer les projets sur l'ensemble des territoires et de nos entreprises. La transition écologique est souvent citée et doit évidemment faire partie du plan de relance, qui doit intervenir une fois que nous aurons assuré l'activité des prochains mois.

 

 

Batiactu : Quel est votre axe de travail principal en matière de transition écologique ?

 

B.C. :
Je souhaite que nous nous engagions dans la transformation de nos infrastructures, et que nous prévoyions un plan à moyen et à long terme. Pour cela, il faut d'abord procéder au constat et fixer une trajectoire de décarbonation. Et ne pas oublier que cela coûtera de l'argent, la question du financement est donc, comme souvent, cruciale. Sans financement pérenne, nous ne ferons rien. Il faut passer des paroles aux actes, il ne s'agirait pas simplement d'annoncer de bonnes intentions. Pour nous aider dans cette transformation, nous pensons faire appel à l'OFCE ou Carbone 4 par exemple dont c'est le métier.

 

Batiactu : Comment pouvez-vous accompagner l'ensemble des entreprises vers plus de transition écologique ?

 

B.C. :
Les grands groupes sont souvent en avance par rapport aux PME, notamment en termes d'innovation et de R&D. Parfois, il est cependant difficile d'appliquer les nouvelles solutions, car les clients sont frileux. Malgré tout, le mouvement est enclenché dans la société, et les maîtres d'ouvrage seront obligés à un moment de demander aux entreprises des variantes, des solutions innovantes ou plus écologiques. Les entreprises devront et sauront s'adapter, la demande les amènera à la transition écologique, quitte à aller chercher les compétences ailleurs et à se faire aider.

 

Batiactu : La FNTP avait beaucoup insisté sur la formation et l'attractivité des métiers des travaux publics ces dernières années, face à la difficulté à recruter. Avec la crise sanitaire, les objectifs initialement affichés sont-ils remis en cause ?

 

B.C. :
Ces questions restent elles aussi d'actualité et nous avons toujours besoin de trouver 200.000 personnes dans les prochaines années, du fait de la pyramide des âges. Avec la transition écologique, créatrice de business, il s'agit d'un autre axe majeur sur lequel nous devons accélérer.

 

"Avec la transition écologique, créatrice de business, la formation et l'attractivité constituent un autre axe majeur sur lequel nous devons accélérer."

 

Nous allons continuer à travailler sur la formation et réfléchir à une feuille de route en la matière. Les entreprises feront l'effort de conserver leurs effectifs et de les former sur 2020, même si les recrutements seront moins importants que prévus et que le recours à l'intérim recule. Mais si rien n'est fait pour relancer l'activité en 2021, nous connaîtrons une véritable hécatombe.

 

Batiactu : Revenons sur une actualité de très court terme. Le 1er juillet 2020, la première phase de la suppression de l'avantage fiscal sur le gazole non-routier (GNR) doit être mise en place. Alors que les entreprises font aussi face à des surcoûts liés à l'épidémie de covid-19, comment se préparent-elles à cette hausse de la taxation ?

 

B.C. :
Je vous annonce que nous venons de nous faire confirmer un report d'un an de la mesure. Elle ne s'appliquera donc qu'à partir du 1er juillet 2021. Pourtant, jusqu'à récemment, le gouvernement se refusait à un nouveau report. C'est une très bonne nouvelle pour nos entreprises, qui connaissent des difficultés de trésorerie et doivent déjà gérer les surcoûts liés à l'épidémie de covid-19.

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