Comment évolue l'habitat collectif et ses usages en fonction de la culture et des événements historiques ? L'exposition «Vu de l'intérieur : habiter un immeuble en Ile-de-France de 1945 à 2010», actuellement visible à Paris, retrace 65 ans d'architecture dans la manière dont elle est consommée par les usagers, et sa relation avec l'évolution des modes de vie. Visite.
Ceci n'est pas une exposition sur l'architecture. «Vu de l'intérieur : habiter un immeuble en Ile-de-France de 1945 à 2010», qui vient de s'ouvrir à la Maison de l'architecture de Paris, ne montre pas seulement l'évolution des immeubles à travers les décennies mais surtout la manière dont leurs habitants se les approprient, pour les faire évoluer au gré des changements de modes de vie. D'ailleurs, les photos montrent tout autant l'extérieur des bâtiments que leur intérieur. «L'idée de l'exposition était de créer un lien entre l'espace que les gens habitent et la réflexion architecturale, car bien souvent ce lien n'existe pas dans la tête des gens», indique la psychologue et docteur en sociologie Monique Eleb, qui a réalisé l'exposition avec l'architecte Sabri Bendimérad.
Des évolutions menées par l'Histoire
Le logement francilien est présenté en cinq grandes périodes lors desquelles les événements politiques, culturels et sociaux ont influencé l'habitat collectif (social et privé). Dans les années 1950 et 1960, les maitres d'œuvre donnent la part belle aux grandes ouvertures ; mais après le choc pétrolier de 1973, les petites fenêtres sont privilégiées pour éviter les déperditions thermiques. Le travail sur la lumière refait cependant surface à la fin des années 1970, pour apparaître en compensation du manque d'espace notamment dans les logements sociaux. La disposition des pièces dans l'appartement change aussi. Alors que le cellier a aujourd'hui disparu, la cuisine s'est déplacée à mesure que la femme s'est émancipée et que la notion de famille a évolué. «D'abord au fond de l'appartement, la cuisine est arrivée en face du séjour, puis accolée au séjour pour devenir l'espace principal, devant la fenêtre», explique Monique Eleb. L'exposition offre également une perspective intéressante sur l'évolution de la salle de bains, et rappelle que si cette pièce a très peu changé (seul le bidet a disparu), elle a désormais sa place dans 99% des appartements, contre seulement 6% en 1945.
Le logement social vecteur de progrès
L'un des principaux progrès du logement collectif ? «Le rapport à l'extérieur est aujourd'hui beaucoup mieux maîtrisé et mis en valeur, avec la multiplication de brise-soleil, de grandes fenêtres et de loggias», explique Sabri Bendimérad.
Autre conclusion tirée des travaux de l'architecte et de la sociologue, les bailleurs sociaux ont souvent tiré la qualité du logement en général vers le haut, en engendrant de nouveaux standards de qualité. Les opérations mixtes contribuent aussi à ce phénomène. «Les projets de promoteurs contenant une part de social tirent le privé vers le haut, car les bailleurs sociaux ont certaines exigences, et le promoteur n'a pas d'autre choix que de faire les mêmes choses dans les parties privées, sinon les acheteurs de ces appartements ne comprendraient pas pourquoi ils n'ont pas la même qualité d'habitat que leurs voisins», explique Sabri Bendimérad. «Le manque de logements en France fait qu'il y a peu de recherche dans le privé, le social est donc souvent de meilleure qualité».
Scénographie
L'exposition est découpée en cinq périodes : de 1945 à 1960, de 1960 à 1975, de 1975 à 19858, de 1985 à 2000 et de 2000 à 2010.
Cuisine
Quartier de l'Eglise, avenue Jean Lolive à Pantin (93) Denis Honegger et André Rémondet, architectes - 1953-1957 795 logements HLM et ILM, du 3 au 6 pièces dans des tours de 12 étages, des barres et des plots de 5 étages.
La grande cuisine et la loggia-buanderie, rêve de toute "ménagère". Les cuisines ont de grandes surfaces, on peut y donc y manger mais elles ne sont pas encore équipées alors qu'elles l'ont été dès 1905 dans les logements des Fondations philanthropiques. Les meubles sont posés côte à côte et le plan de travail reste la table. Certaines sont éclairées en second jour par la loggia-buanderie.
Salle a manger depuis le séjour
Résidence de la Muette, 19, rue du Dr Blanche, Paris (16e) - 1950-1953 Georges Massé et Jean Ginsberg, architectes, André Ilinski, assistant Groupe de 3 bâtiments, appartements du studio au 5 pièces avec duplex à terrasse dans les bâtiments latéraux.
Coin repas
Ensemble du 64, quai de la Loire et rue Eugène Dehaynin, Paris (19e) - 1982-1984 Edith Girard avec Brigitte Oyon et Dominique Tirard, architectes 111 logements PLA, du F1 au F6 et duplex. Bâtiment sur le quai : 7 étages, 66 logements autour de 3 cages d'escaliers. Bâtiment sur la rue latérale : 43 logements sur 6 niveaux, trois cages d'escaliers et deux coursives aux niveaux 2 et 5.
Vue du coin repas du séjour avec la suite des fenêtres en longueur.
Terrasses
Les Pyramides d'Evry 1 (91) - 1973-1980 Michel Andrault et Pierre Parat, avec Pierre Sirvin et la SCAU (Société de Conception d'Architecture et d'Urbanisme) : Thierry Gruber, Michel Macary, Aymeric Zublena Programme Epevry Maître d'ouvrage délégué : UCY
Vue du séjour d'un appartement duplex
Orgues de Flandres, rue de Flandres, rue Mathis, rue Curial, rue Riquet et rue Archereau, Paris (19e) - 1967-1976 Martin Schulz Van Treeck, architecte Foyer du Fonctionnaire et de la Famille (FFF) 1950 logements, 4 tours de 25 à 38 étages, 6 appartements par étage, en accession à la propriété.
«Cette pseudo-obéissance aux canons esthétiques s'accommode des grands principes de conception et de valeurs de confort hérités du Mouvement Moderne : hauteur, lumière. Les logements sont traversants et leur plan est fondé sur une combinaison de modules de 65 m2 Equivalent à un 3 pièces. Dans les duplex, le rez-de-chaussée comprend les espaces publics, séjour et cuisine mais aussi une chambre, ce qui garantit l'autonomie du couple, d'un enfant ou encore d'un ascendant», indiquent Monique Eleb et Sabri Bendimérad..
Séjour d'un duplex et sa cuisine-serre
48 logements PLA, Saint Ouen (93) - 1986 Jean Nouvel et Pierre Soria, architectes Réalisation Expérimentale (REX) Anselme-Hermet Maître d'ouvrage : SEMISO
Les dispositifs spatiaux sont aussi atypiques que la taille des logements. Traversants avec des vues obliques pour accentuer les effets de profondeur, ils comportent un minimum d'espaces de transition, qu'il s'agisse des entrées, couloirs et dégagements, ou même espaces extérieurs. Une "cuisine-serre" se situe dans le volume du séjour. Des salles de bains devaient également y être installées mais les architectes ont dû renoncer à des dispositifs trop expérimentaux pour les commanditaires de l'opération. Certains placards ont une profondeur de 90 cm au lieu de 60.
Loggia
Cité Prost, rue de Chanzy, Paris (11e) - 2007 Bernard et Marie Buhler, architectes OPH de Paris 20 logements collectifs sociaux sur 6 étages, du studio au 5 pièces et une crèche Habitat Label RT 2005
La loggia côté rue est plus étroite (1 m) que celle donnant sur le jardin (1,35 m), mais les deux sont très appréciées et utilisées par leurs habitants selon la pièce qu'elle prolonge.
Maison de l'architecture
148 rue du Faubourg St Martin - Paris (10e)
Jusqu'au 23 février 2011
Du lundi au samedi de 10h à 18h30 (nocturne le jeudi jusqu'à 21h)