ENTRETIEN. Un mois après la parution du guide de l'OPPBTP, le directeur général de l'organisme, Paul Duphil, revient pour Batiactu sur la reprise des chantiers dans le secteur et les futures évolutions de l'outil.

Batiactu : Le guide de préconisations covid-19 de l'OPPBTP est paru il y a quasiment un mois. Votre organisme s'est retrouvé, comme jamais, au centre de l'attention. Comment avez-vous vécu cette période ?

 

Paul Duphil : La pression a tout de même diminué après la parution du guide, le 2 avril. Dans un premier temps, certains acteurs se sont plaint du fait qu'ils n'avaient pas été concertés pour sa réalisation, notamment du côté de la maîtrise d'œuvre - même si en fait tous les acteurs l'ont été de manière formelle via le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE). Quoi qu'il en soit, ces dernières semaines, j'ai eu l'impression que le guide faisait l'objet de fortes appréciations positives. Nous pouvons dire que le secteur a disposé très tôt d'un outil, ce qui n'est pas le cas de tous les autres. Certes, des points pourront évoluer, mais je trouve que nous sommes parvenus au bon niveau de détails : il y en a assez, de manière à fournir une base de préconisations solide, mais le guide n'est pas non plus trop détaillé et trop prescriptif, ce qui aurait eu pour effet de le rendre peu adaptable à chaque situation.

 

Batiactu : Ce guide permet en tout cas, on le voit depuis quelques semaines, une reprise d'activité en mode dégradé...

 

P.D. :
Effectivement, même si tout n'est pas facile pour les entreprises, qui doivent déjà se mettre d'accord avec leurs maîtres d'ouvrage et d'œuvre, puis réussir à se procurer les équipements dont ils ont besoin. Ils doivent également répondre aux exigences de leurs compagnons qui ne veulent reprendre leur travail qu'en toute sécurité, ce qui est bien sûr compréhensible et indispensable.

"Entre ce que l'on a écrit et la réalité, il y a des différences."

 

Batiactu : Qu'en est-il de l'application concrète des mesures préconisées par le guide ? Les entreprises ont-elles réussi à les transposer de la théorie à la pratique ?

 

P.D. :
La mise en œuvre de la théorie à la pratique n'est pas toujours simple. Entre ce que l'on a écrit et la réalité, il y a des différences. Nous devons donc apporter un éclairage plus précis, plus adapté. J'invite d'ailleurs les professionnels à aller visiter notre foire aux questions sur le site de Prévention BTP, qui apporte ce type de précisions régulièrement.

 

 

Batiactu : L'académie de médecine a commenté le guide de l'OPPBTP, et préconise un renforcement de ses prescriptions, comme par exemple par le fait d'instituer une distance physique de deux mètres plutôt que d'un. Allez-vous en tenir compte ?

 

P.D. :
Je dirais tout d'abord que les avis de l'académie de médecine ne sont pas tous retenus par les pouvoirs publics. Elle se positionne parfois différemment que le conseil scientifique sur lequel s'appuie le Gouvernement. Mais il est tout à fait logique qu'elle se préoccupe des conséquences du retour au travail de plus d'un million de salariés. Cela peut avoir un impact sanitaire majeur si cela n'est pas fait en suivant des règles de prévention - c'est d'ailleurs pourquoi les acteurs du BTP avaient décidé spontanément d'arrêter les chantiers dans un premier temps.

 

Distanciation physique : "Nous nous en tenons aux préconisations données par les autorités sanitaires françaises"

 

Quant aux préconisations concrètes proposées par l'académie de médecine, je note qu'un grand nombre d'entre elles sont déjà dans notre guide, notamment en ce qui concerne l'hygiène. Sur la distance de sécurité à deux mètres plutôt qu'un, nous notons que la distance d'un mètre est reconnue comme suffisante par l'Organisation mondiale de la santé et l'État français. Bien sûr, dans d'autres pays, c'est deux mètres, mais nous nous en tenons aux préconisations données par les autorités sanitaires françaises. L'académie souhaiterait aussi le port systématique du masque anti-projections, ce qui remet en cause les positions prises par l'État sur le sujet - le conseil scientifique n'a en effet pas retenu le port systématique du masque dans l'espace public. Ensuite, je lis qu'il faudrait faire "tester tout travailleur présentant des signes évocateurs de l'infection Covid-19 et organiser son retour immédiat à son domicile". Nous disons bien dans le guide que les salariés qui reprennent le travail doivent répondre à un questionnaire sur leur état de santé. Les prises de températures par l'employeur sont possibles.

 

Quant à l'interdiction de boire, fumer, manger sur le lieu de travail, nous considérons cette directive peu applicable dans le BTP. Nous avons ainsi appelé au maintien des réfectoires, déjà pour ne pas que les salariés mangent sur le chantier, mais aussi parce que cela permet de maîtriser l'hygiène dans le lieu de restauration (mise à disposition de lingettes, etc.). Enfin, sur la question d'utiliser au travail des vêtements différents que ceux utilisés pour se rendre au travail, encore une fois, les autorités sanitaires n'ont pas retenu cette possibilité.

 

De telles prises de position de l'académie de médecine ne vont certainement pas faciliter la tâche pour trouver un accord unanime de reprise des chantiers en toute sécurité. Cela dit, je rappelle que le guide de l'OPPBTP a été établi par la branche, l'organisme étant paritaire, et validé par quatre ministères. De quoi sécuriser la situation.

 

CSPS et référent covid : "C'est au client de juger ce qui est le plus approprié"

 

Batiactu : Le débat sur la possibilité pour un CSPS d'être référent covid n'est pas tranché sur le terrain. Quelle est la position de l'OPPBTP ?

 

P.D. :
Les acteurs ont des points de vue différents. Pour certains, il n'est pas souhaitable que l'on soit référent covid du maître d'ouvrage et CSPS. A mon sens, la réglementation ne l'interdit toutefois pas. Dans certains cas, si le CSPS est en capacité de le faire en tant que mission complémentaire, pourquoi pas ? C'est à chaque acteur de s'assurer qu'il est en mesure d'effectuer toutes ses tâches sans que l'une empiète sur l'autre. Au client de juger ce qui est le plus approprié.

 

Batiactu : Le guide va-t-il continuer à vivre, à être mis à jour, dans les semaines à venir ?

 

P.D. :
Nous allons continuer à examiner l'ensemble des mesures préconisées pour améliorer le guide. Nous avons déjà apporté, çà et là, des compléments plus adaptés aux situations réelles. Nous avons le souci de son effectivité, et nous savons que des questions se posent encore. Par exemple sur la prise de température des salariés, nous devons compléter le guide pour les entreprises qui souhaitent le mettre en place. Si, dans les semaines à venir, les masques deviennent facilement disponibles pour les entreprises, nous ferons aussi évoluer cette partie-là. Mais les bases du guide resteront les mêmes.

 

"Nous parviendrons à concilier protection sanitaire et activité économique"

 

Batiactu : Comment qualifieriez-vous la reprise d'activité dans le secteur ? Est-elle prononcée ?

 

P.D. :
Les reprises de chantier s'organisent de façon responsable et sérieuse. Mais cela ne va pas encore très vite. Nous savons en effet que la chaîne logistique est ralentie, notamment par les modalités mises en œuvre par le guide de sécurité de la fédération du négoce. Cela ne permet pas, pour l'instant, de répondre suffisamment à la demande. Mais soyons optimistes : nous parviendrons à concilier protection sanitaire et activité économique.

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