ARNAQUE. Les pouvoirs publics s'inquiètent d'une hausse des fraudes liées aux Certificats d'économies d'énergie (CEE). Des millions d'euros sont ainsi détournés par des escrocs, agissant seul ou en réseau, notamment depuis le lancement d'une campagne de rénovation des combles à un euro en 2016.
Les pouvoirs publics s'inquiètent de la montée en puissance des arnaques concernant les certificats d'économies d'énergie (CEE). "Le nombre de dossiers de ce type augmente fortement depuis ces deux, trois dernières années", explique à Batiactu la direction générale des douanes, confirmant une information parue le 27 novembre 2017 dans Le Parisien. "Les montants ne sont pas gigantesques, mais il y a un grand nombre d'affaires et cela mobilise nos enquêteurs. C'est différent du cas de la taxe carbone, où quelques entreprises seulement étaient impliquées sur de très gros montants." Des dizaines de millions d'euros seraient en jeu, et la société Primes Energie, spécialisée dans le financement des travaux d'économies d'énergie, a déposé deux plaintes contre des concurrents.
D'après le quotidien, deux types de fraudeurs ont été identifiés par les pouvoirs publics. D'une part, le faux artisan qui "antidate ou exagère les travaux qu'il a réalisés, voire édite de fausses factures". D'autre part, le réseau structuré d'entreprises montées dans le seul but d'obtenir illégalement des CEE. D'après Nicolas Moulin, fondateur de Primes énergie, la situation a empiré depuis un an. "En mars 2016, le ministère de l'Ecologie a lancé des dispositifs d'isolation des combles à un euro, pris en charge par les pollueurs à travers les CEE. Les escrocs ont flairé la bonne affaire. Car avec de fausses factures ou des travaux surévalués, la marge est énorme ! A ce moment-là, alors que nous étions une petite dizaine d'intermédiaires sur le marché, 50 structures sont apparues comme par magie."
"Il faut que les pouvoirs publics se saisissent de ce problème", P. Liébus (Capeb)
L'existence de ces fraudes n'étonne pas, en tout cas, Patrick Liébus, président de la Capeb, contacté par Batiactu. "Ce genre d'escroqueries abîme l'image des artisans qui font bien leur travail", regrette-t-il. "Nous souhaitons que les pouvoirs publics prennent ce problème à bras-le-corps, réunissent les acteurs autour de la table pour trouver des solutions. Il faut réaliser davantage de contrôles, et en les ciblant sur les sociétés au profil suspect. Quand vous voyez, par exemple, une entreprise avec deux salariés qui pose des kilomètres d'isolation, vous vous doutez bien que quelque chose ne va pas..." Pour Patrick Liébus, cette question est d'autant plus urgente à gérer que le ministre de la Transition écologique et énergétique, Nicolas Hulot, vient d'annoncer que 6 milliards d'euros seraient consacrés aux CEE durant le quinquennat. De quoi donner quelques idées à certains...
"J'ai également remarqué que certaines sociétés ayant eu recours aux CEE faisaient parfois des travaux sans respecter les règles de l'art", nous informe Patrick Liébus. "Nous le paierons un jour. Aujourd'hui, il est finalement assez simple de contourner le système : vous montez une société, vous louez le matériel, vous bâcler le travail et vous récupérez des certificats indûs. Il nous faut résoudre ce problème avant que son existence menace la pérennité des CEE."
Racheter une société RGE en faillite
Pour bénéficier du label RGE, indispensable pour faire bénéficier les clients des CEE, certains escrocs n'hésitent pas à racheter des sociétés labellisées en situation de faillite. Ce qui laisse penser que l'arnaque est assez structurée.
Mais là où le bât blesse, c'est que l'Etat n'a pas forcément les moyens de contrôler d'assez près les dizaines de milliers de dossiers qui lui passent entre les mains chaque année. D'après Le Parisien, seulement une petite dizaine d'agents sont chargés des contrôles au sein du Pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE). Un rapport de la Cour des comptes, datant d'octobre 2013, anticipait déjà sur cette question, mais n'a visiblement pas été entendu.
Des "circuits de fraudes plus complexes"
L'institution pointait notamment un type de fraude par l'usage de faux documents, "soit pour rendre éligible au dispositif une opération d'économie réelle mais inéligible (fausses justifications de rôle actif et incitatif, fausses signatures, documents antidatés : quelques dizaines de cas), soit pour demander des CEE pour une opération inexistante". La Cour se demandait alors si les quelques cas constatés ne constitutaient pas la seule partie émergée de l'iceberg. "L'existence de ces tentatives de fraudes simples détectées par le pôle national des certificats d'économies d'énergie par des contrôles documentaires de premier niveau peut légitimement faire craindre l'existence de circuits de fraudes plus complexes, exigeant une complicité entre professionnels et bénéficiaires, dont la détection ne pourrait venir que de contrôles a posteriori approfondi."
Etait également identifié, dès 2013, la problématique du manque de moyens de contrôles. Et la nécessité de privilégier les audits a posteriori. "La gestion matérielle des CEE, effectuée par le pôle national des certificats d'économies d'énergie, est d'une grande lourdeur. Appliquant strictement les textes en vigueur, il effectue des contrôles documentaires a priori qui permettent d'identifier erreurs et tentatives simples de fraude. Mais, absorbé par ces tâches matérielles répétitives, il a accumulé un retard important dans le traitement des demandes, et n'a pu mettre en place des contrôles approfondis a posteriori. Cette situation ne peut se poursuivre plus longtemps." Elle semble pourtant avoir perduré jusqu'à aujourd'hui.
Un sujet qui pourrait gagner en importance dans les années à venir
Avant que les pouvoirs publics ne prennent enfin le taureau par les cornes ? "Nous avons fait passer le message aux services ministériels", nous explique la direction générale des douanes. "C'est à présent au législateur de décider s'il faut revoir les textes. Mais il faut savoir que même si la loi est modifiée demain, il restera beaucoup de travail aux enquêteurs. Le sujet pourrait encore prendre de l'importance dans les années à venir."
"Sur les CEE, l'Etat n'a mis en place aucun contrôle", Elisabeth Chesnais (UFC-Que choisir)