ANALYSE. En France, les cas d'incendie de grande ampleur sur des bâtiments, tels que celui qui a touché une tour d'habitation, à Londres, restent heureusement rares. Pourquoi ? Selon plusieurs experts, c'est le résultat de l'édifice réglementaire, très pointu et parfois contraignant, mais de l'avis de tous efficace.
Dans la nuit du 13 au 14 juin, un immense incendie s'est déclaré dans la Grenfell Tower, à Londres, une tour de 27 étages. Des victimes sont à déplorer. Les causes du drame ne sont pas encore connues. Mais une chose est sûre, en France, ce genre de sinistres est très rare. Un état de fait qui est très probablement la conséquence de l'édifice réglementaire qui régit ce domaine de la construction.
Outre-Manche, le risque est analysé au cas par cas
Jean-Charles Du Bellay, expert reconnu de la réglementation incendie, chef du département sécurité incendie de la Fédération française du bâtiment, rappelle ainsi à Batiactu que la réglementation incendie fonctionne, outre-Manche, de manière très différente qu'en France. "Au Royaume-Uni, l'analyse de sécurité incendie se fait projet par projet", nous explique-t-il. "Pour chaque bâtiment est nommé un préventeur incendie qui analyse le risque. L'un des défauts de cette manière de faire, c'est que sur des ouvrages bon marché, il n'y a pas forcément d'ingénieurs missionnés pour cette tache." La Grenfell Tower abritait des logements sociaux. Y a-t-il eu négligence sur la sécurité incendie lors de la conception ? L'enquête le dira. Mais les éléments ne sortiront pas tout de suite, car il y a eu des victimes. "Dans ces cas-là, l'omerta règne", précise l'expert. "Il faut toutefois rappeler que l'histoire de la ville de Londres se caractérise par la fréquence de grands incendies."
Jean-Charles du Bellay rappelle également que la réglementation anti-incendie française, si elle embête parfois les architectes par sa rigidité, est l'une des plus saines au monde. "Pour preuve, le maire de New York, lors de l'inauguration de la Freedom tower, construite sur l'emplacement des Twin Towers, a bien précisé qu'elle avait été construite en suivant les prescriptions françaises. Notre réglementation a été traduite en plusieurs langues, comme le russe ou le finlandais. Ici, à chaque occurrence d'un sinistre, nous faisons une analyse de cas. Résultat : les incendies majeurs dans les bâtiments restent très rares."
La réglementation incendie française, "un trésor que nous avons"
Même son de cloche du côté de la Fédération française des métiers de l'incendie (FFMI). "En France, le cadre est très prescriptif et contraignant", explique à Batiactu Régis Cousin, président de la FFMI. "Il y a des sinistres, comme celui à La Haye-les-Roses en 2005, mais ils ne sont pas d'une telle ampleur. Nous sommes donc relativement à l'abri de ce type d'événements. C'est pourquoi la réglementation anti-incendie française doit être perçue comme un gain, et non pas comme une contrainte : c'est un trésor que nous avons !"
Certains architectes sont d'ailleurs bien conscients de cela. "L'environnement réglementaire français, en matière d'incendie, est très complexe, il nous use un peu, mais il faut reconnaître qu'il a une certaine logique. La réglementation s'est construite à la suite de grands drames, comme l'incendie du collège Edouard Pailleron ou de la boîte de nuit du 5-7", explique Pierre Boudon, architecte à l'agence Canale 3 et membre de la commission technique de l'Unsfa. "Aujourd'hui, ces prescriptions ont pris une importance primordiale, au point que nous ne commençons pas un projet sans nous être penchés sur la réglementation incendie. C'est vraiment à la base de nos conceptions, notamment en logement."
Le professionnel a récemment achevé la réhabilitation et la mise aux normes incendie d'un IGH tertiaire dans Paris. "Nous avons dû remplacer toute les menuiseries en mettant des ouvertures en aluminium, et respecter les mesures en termes de transmission des flammes d'un étage à un autre", explique Pierre Boudon. "Il faut notamment faire valider par la préfecture de police les matériaux mis en place pour l'isolation thermique par l'extérieur." Une démarche chronophage et administrative, mais qui a le mérite d'encadrer la responsabilité de l'architecte en cas de sinistre. "Il faut savoir que s'il y a le moindre problème, vous pouvez vous retrouver au pénal dans les trente ans qui suivent votre intervention. Et là, vous êtes bien content d'être sous l'égide de ces textes", affirme Pierre Boudon.
Les risques liés à l'isolation thermique par l'extérieur
Autre élément que l'on connaît sur l'incendie de cette tour à Londres : une isolation thermique par l'extérieur avait été récemment réalisée sur le bâtiment, d'après des médias britanniques. Un sujet sur lequel la France est justement en train de travailler. "Toute la filière va se réunir, fin juin, pour valider les essais de sécurité incendie dans le cadre d'une ITE", explique Jean-Charles Du Bellay. "Nous en tirerons un guide et un arrêté."
"Le drame de Londres nous rappelle toutefois que ce genre d'incendies peuvent arriver même dans un pays développé", conclut Régis Cousin (FFMI). "En France, il semble que nous ayons trouvé une réponse adéquate à ce risque. Gardons-nous donc d'alléger la prescription !" Pour rappel, la réglementation incendie a été retouchée, à la marge il est vrai, par le "choc de simplification" qui avait été lancé par l'ex-président de la République, François Hollande.