ANALYSE. C'est un paradoxe : les Français sont sensibilisés à l'intérêt d'effectuer des travaux de rénovation énergétique, mais dans le détail leur niveau de connaissance du dispositif technico-financier est faible.
Les Français réalisent l'intérêt qu'il y a d'effectuer des travaux de rénovation énergétique. Mais leurs connaissances dans ce domaine restent floues, et pour beaucoup ils ne sont pas passés à l'acte et ne comptent pas le faire dans un futur proche. C'est du moins le constat guère enthousiasmant que l'on peut effectuer sur la base des résultats d'une étude Teksial-OpinionWay (1), dont les résultats ont été présentés ce 21 octobre 2021 lors d'une conférence de presse.
La "valeur verte" des biens, une notion en progression
Premier enseignement, les atouts de la démarche sont bien identifiés. Ainsi, les sondés estiment que la réalisation de travaux de rénovation énergétique leur permettrait de réduire leur facture énergétique (184 euros en moyenne) pour 66% d'entre eux, de gagner en confort (64%) et d'augmenter la valeur de leur patrimoine (55%). L'idée de 'valeur verte' d'un bien immobilier tend ainsi à s'installer. Et les personnes interrogées, à 48%, estiment que des travaux seraient nécessaires dans leur logement (59% pour les locataires, 43% pour les propriétaires), à plus forte raison chez les ménages populaires (58%). Ils se déclarent même, à 52%, en faveur de l'entrée en vigueur de l'obligation de rénovation - y compris les propriétaires, à 49% favorables à cette idée. Un niveau d'adhésion que l'on pourrait presque qualifier de militant au vu de la dimension polémique de l'idée d'obligation de travaux, après le mouvement des Gilets jaunes. Pour rappel, cette direction a été quoi qu'il en soit actée par la loi Climat et résilience, qui instaure un calendrier d'interdiction de louer les logements les plus énergivores. Enfin, seulement 7% des sondés associent l'expression "rénovation énergétique" à une idée négative telle que "arnaque", "connerie" [sic], "pipeau" ou "coûteux".
66% des Français ne peuvent pas citer le nom d'une aide à la rénovation
Tous les voyants semblent donc être au vert pour engager un peu plus la population dans un mouvement de rénovation énergétique. D'autres résultats de l'étude vienne pourtant montrer que la connaissance du sujet est très faible, et que lorsqu'il s'agit de passer à l'acte, l'enthousiasme est moins marqué. Ainsi, malgré toute la communication effectuée par les pouvoirs publics et de nombreux acteurs privés, les aides publiques sont largement méconnues : MaPrimeRénov' (MPR), qui rencontre pourtant un certain succès, n'est cité que par 11% des personnes interrogées ; les aides de l'Anah (fusionnées en partie avec MPR) émergent à 4%. Quant aux certificats d'économie d'énergie (CEE), ce dispositif brassant des milliards d'euros mais ayant, depuis sa création l'étonnante particularité d'évoluer incognito, alors que son coût est supporté par les Français via leurs factures d'énergie, n'est cité que par 4% des sondés, pêle-mêle avec le chèque énergie. Enfin, les deux tiers des sondés ne sont pas capables de citer un seul de ces dispositifs. Seulement 3% citent les offres à un euro, qui ont pourtant fait grand bruit. D'après l'étude, les Français semblent également avoir du mal à hiérarchiser les actes de rénovation en fonction de leur efficacité énergétique réelle.
56% des sondés n'ont pas fait de travaux de rénovation énergétique depuis deux ans, et n'envisagent pas d'en réaliser dans les deux années à venir
Le seul DPE, semble-t-il, a été intégré et compris par la population, probablement du fait de sa haute visibilité sur les annonces immobilières et de sa lisibilité immédiate. Ainsi, dans la perspective d'acheter un logement, 76% des Français seraient attentifs à son classement DPE. Ce diagnostic constitue d'ailleurs un outil raisonnablement respecté par les Français, qui estiment à 56% qu'une bonne notation garantit une facture de chauffage soutenable. Mais, nouveau paradoxe : 58% des sondés ne connaissent pas l'étiquette de leur propre logement. Ici aussi, un écart persiste entre les intentions générales et l'attitude concrète et individuelle - ce qui est peut-être, tout simplement, un trait humain. Cette tendance se confirme avec ce chiffre qui ne ravira pas les professionnels du secteur : 56% des sondés n'ont pas fait de travaux de rénovation énergétique depuis deux ans, et n'envisagent pas d'en réaliser dans les deux années à venir (alors qu'une part importante d'entre eux, on s'en souvient, se déclarent favorable à l'obligation de rénovation pour tous...). Le cas échéant, il affecteraient un budget moyen de 2.546 euros pour des travaux d'isolation. Tous types de travaux confondus, s'ils devaient passer à l'acte, 33% affecteraient un budget de 100 euros ou moins, 6% entre 100 et 1.000 euros, 22% entre 1.000 et 2.000 euros. On le voit, les Français ne semblent pas bien se représenter ce que coûte une intervention de rénovation énergétique.
L'importance de disposer d'un interlocuteur unique, de A à Z
Quoi qu'il en soit, les freins identifiés pour le passage à l'acte sont multiples. Au premier rang vient bien sûr le budget, cité par 49% des sondés. Puis viennent une série d'inquiétudes que l'on pourrait résumer en disant que les Français ont besoin de disposer d'un interlocuteur unique, du début à la fin de l'opération, qui les mette en confiance. Le gouvernement, qui a voté le principe d'un accompagnateur rénov' dans la loi Climat et résilience, a ainsi probablement touché juste, même si les contours précis du dispositif ne sont toujours pas connus. "Sur le papier, les décisions de l'État vont dans le bon sens", réagit Jean-Baptiste Devalland, directeur général de Teksial, auprès de Batiactu. "Mais si l'on entre dans le détail, des questions se posent. Nous avons quand même un dispositif des CEE qui évolue dans le sens de financer beaucoup moins d'opérations uniques [lire notre article ici, NDLR]. Et, ce que l'on voit sur le terrain, c'est que beaucoup de professionnels du bâtiment s'inquiètent d'une chute assez importante des opérations, avec notamment un gros coup de frein sur l'isolation. Nous sommes pourtant loin d'avoir isolé tous les logements en France..." Quant à l'accompagnateur rénov', "nous ne disposons d'aucune information sur 'qui fera quoi'", observe-t-il.
La société spécialisée en rénovation énergétique préconise plusieurs moyens pour dynamiser le marché : rendre l'audit énergétique plus systématique en le faisant éligible aux CEE ; s'appuyer sur la carnet d'informations du logement créé récemment par la loi, mais dont les modalités sont pour l'instant inconnues ; améliorer les dispositifs de financement bancaire (tels que l'éco-PTZ) en améliorant les bonifications, introduisant une garantie de l'État, ou en rendant ces éco-prêts éligibles aux CEE ; enfin, rehausser le niveau d'aides pour l'isolation. "Certains Français n'ont pas les moyens d'effectuer des rénovations totales en une seule fois", rappelle Jean-Baptiste Devalland. Le reste à charge, pour des rénovations globales, est en effet beaucoup plus élevé.
(1) Étude réalisée auprès d'un échantillon représentatif de 2013 personnes de plus de 18 ans, du 22 au 27 septembre 2021.