EXPOSITION. Le Pavillon de l'Arsenal propose, en cette période confinée, une visite virtuelle de l'exposition "Intelligence artificielle et architecture", inaugurée le 27 février. Des origines de la modularité dans les années vingt-trente, aux incroyables possibilités offertes par les programmes en développement à Harvard, Berkeley ou au MIT aujourd'hui.
"L'intelligence artificielle (IA) a déjà investi nombres d'industries et de disciplines en leur donnant les moyens de relever des défis jusque là inédits et en rendant possible des opérations trop complexes. Son utilisation dans le domaine de l'Architecture en est encore à ses débuts, mais les premiers résultats obtenus sont prometteurs et les perspectives nombreuses". C'est ce postulat de départ qui a conduit Stanislas Chaillou, architecte et chercheur à Harvard, à monter l'exposition IA & Architecture, au Pavillon de l'Arsenal, à Paris. L'établissement d'urbanisme et d'architecture de la capitale propose, en ces temps de fermeture de tous les musées, une visite virtuelle de l'exposition (à retrouver ici), dans le cadre de son programme Architecture à la maison.
Tout commence, selon l'exposition, au début du XXe siècle, avec les études sur la modularité. Point de départ de la systématisation de la conception architecturale, la grille modulaire, théorisée au Bauhaus par Walter Gropius dès 1920, porte l'espoir d'une simplicité technique et la promesse d'une architecture économique. Elle sera appliquée à la maison Dymaxion (1929-1946), qui pousse à l'extrême le logement modulaire, et s'avère "la première démonstration probante du concept pour l'industrie". Cette normalisation est développée plus tard par le Modulor (1945) de Le Corbusier, et influe même la planification urbaine au tournant des années soixante, lorsque des projets tels que Plug-in City d'Archigram (projet théorique, 1964) ambitionnent de créer des villes entièrement modulaires.
Modularité, conception assistée par ordinateur, paramétrisme et intelligence artificielle. Un siècle d'avancées technologiques dans l'architecture nous sont présentées par le Pavillon de l'Arsenal.
La Conception assistée par ordinateur (CAO), à partir des années soixante, va autoriser, par la puissance de calcul inédite désormais accessible, "la systématisation de la conception architecturale, fondée sur des règles strictes". Christopher Alexander, architecte lui-même et professeur à la California University (Berkeley), établit l'un des principes clés de la conception informatique : l'"Object-Oriented Programming". Les principes qu'il définit dans ses publications constituent, aujourd'hui encore, les fondements essentiels de la programmation informatique. Dans ses pas, "une génération entière d'informaticiens et d'architectes crée un nouveau champ de recherche".
Zaha Hadid, pionnière du paramétrisme
Troisième étape du voyage proposé par le Pavillon de l'Arsenal : le paramétrisme. Celui-ci apparaît dans les années quatre-vingt-dix et permet d'éviter les tâches répétitives imposées par les applications de la CAO, tout en maîtrisant mieux les formes complexes. Grâce à ce dispositif de conception, "chaque tâche est rationalisée en un ensemble de règles simples, constituant une procédure. Cette procédure peut être encodée dans le programme par l'architecte de sorte à automatiser une exécution, auparavant manuelle et fastidieuse", explique le commissaire d'exposition. Mais, tout en lui permettant d'encoder une procédure donnée, "le système l'autorise à isoler d'emblée les paramètres clés ayant une incidence sur le résultat. L'architecte est alors en mesure de faire varier ses propres paramètres afin de produire différents scénarios : formes ou options générées instantanément par la simple modification des paramètres préalablement définis".
Zaha Hadid (décédée en 2016) est à la pointe de cette démarche. Architecte et mathématicienne irakienne formée au Royaume-Uni, elle conjugue ces deux domaines par le biais de la conception paramétrique. "Ses travaux résultent généralement de règles, encodées directement dans le programme, permettant un niveau de contrôle sans précédent sur la géométrie des bâtiments. Chaque décision architecturale se traduit par un réglage donné des paramètres, qui donne en retour une forme spécifique au bâtiment", explique l'exposition. Les logiciels Sketchpad, Pro/Ingeneer, Grasshopper, dans les années 2000, puis Revit, principal outil du BIM aujourd'hui, sont les outils qui ont accompagné cette montée en puissance, jusqu'à devenir incontournable, du paramétrisme dans l'architecture.
L'intelligence artificielle et ses débouchés
On en arrive enfin l'intelligence artificielle. Celle-ci représente une nouvelle vague technologique qui "complète la pratique de l'architecte en l'assistant du point de vue de l'expertise architecturale et enrichit son expression. Aujourd'hui, les résultats de la recherche, académique et privée, font apparaître les premiers résultats de cette évolution. Les techniques de l'IA dite 'générative' - c'est-à-dire à même de créer des formes, et non uniquement de les analyser - sont récentes. Depuis trois ans, elles ouvrent de nouveaux champs d'expérimentation".
Le Pavillon de l'Arsenal explore les échelles actuelles d'expérimentation : plans, élévations, structures et perspectives, dans lesquelles l'IA pourrait déjà apporter une contribution, réelle ou spéculative. Stanislas Chaillou, commissaire d'exposition, a mis les travaux de sa thèse à Harvard à disposition du Pavillon de l'Arsenal. D'autres chercheurs en pointe sur la question, du Berkeley Artificial Intelligence Research (BAIR) Lab, ou du Digital Structures Lab au MIT (Massachusetts Institute of Technology), ont prêté leurs travaux.
Avancée décisive
Les "réseaux de neurones génératifs adverses" constituent l'un des champs de l'IA les plus prometteurs, et "une avancée conceptuellement décisive". Explication : combinant deux modèles, le générateur et le discriminateur, ces réseaux de neurones "procèdent d'une analogie similaire à la relation entre l'élève et l'enseignant" : le générateur (l'élève) cherche à générer des images ressemblant à celle d'une base de données définie par l'utilisateur. Le discriminateur (l'enseignant), lui, donne une note au générateur pour chaque nouvelle image générée par ce dernier. Cette note juge la vraisemblance de l'image créée. En fonction de ce résultat, le générateur s'adaptera pour améliorer sa performance, tout comme un élève travaillerait pour obtenir de meilleures notes".