REPRISE. Une deuxième réunion s'est tenue ce 30 avril entre les représentants des principales fédérations du BTP et plusieurs membres du gouvernement. Le but : permettre au secteur d'exposer plus en détails ses propositions et arguments pour accélérer et soutenir la reprise de l'activité, à court et moyen terme.
Les chantiers ne reprennent pas assez vite. C'est, selon nos informations, le constat que ferait l'État, comparant la situation française à celles observées dans d'autres pays européens. Mais pour le BTP, la reprise n'est pas si simple à mettre en œuvre. Il y a quelques jours, les principales fédérations du BTP, Capeb, FFB et FNTP, ont d'ailleurs remis au gouvernement une liste des freins rencontrés, après l'arrêt brutal dû à la crise sanitaire, et ont formulé plusieurs propositions pour faciliter cette relance, à court et à moyen terme.
Ce 30 avril 2020, les présidents des organisations professionnelles ont pu préciser leurs pensées et leurs arguments, lors d'une réunion avec plusieurs ministres et des représentants des collectivités locales. C'est la deuxième qui se tient sur ce thème. Autour de la table virtuelle : la ministre du Travail Muriel Pénicaud, le ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire, la ministre de la Transition écologique et solidaire Élisabeth Borne, le ministre de la Ville et du Logement Julien Denormandie, les secrétaires d'État Emmanuelle Wargon et Olivier Dussopt, côté exécutif. Côté fédérations, Jacques Chanut et Olivier Salleron assistaient à la réunion pour la FFB, Bruno Cavagné pour la FNTP, ou encore Patrick Liébus pour la Capeb.
Un report des délivrances d'autorisations d'urbanisme ?
"C'est à la demande de l'État que se tiennent ces réunions", explique Jacques Chanut à Batiactu. L'occasion pour les professionnels de faire passer leurs messages en haut lieu. Le premier, est de faire comprendre que les surcoûts liés au covid, que le président de la FFB évalue à 10-15%, constituent le premier frein à une vraie reprise. "Ils ne pourront certainement pas être intégralement absorbés par les clients", remarque-t-il. Viennent ensuite la possible responsabilité du chef d'entreprise face à un cas d'infection au covid sur un chantier, et le report de la fin de la période d'urgence sanitaire jusqu'au 24 juillet. "Cela peut reporter la délivrance de certaines autorisations administratives, et nous avons évoqué le fait que selon les territoires, selon les collectivités, le traitement des dossiers ne se fait pas sur un même rythme", explique Jacques Chanut.
"Nos entreprises ont besoin de chiffres et de faits pour tenir, sans attendre"
Plus généralement, sur la relance du secteur, les entreprises aimeraient, au-delà des discours qui ont le mérite d'être rassurants, des actes et des paiements. "Nous échangeons beaucoup avec les bailleurs sociaux, les promoteurs, les collectivités locales, certains parlent déjà du plan de relance... Mais nous n'en sommes pas encore là : aujourd'hui, nos entreprises ont besoin de chiffres et de faits pour tenir, sans attendre", assure Jacques Chanut. "Afin que le coût pour l'État du chômage partiel cesse de croître, il faut que l'activité redémarre et que l'on sache qui paiera, et combien." Pour la FFB, cela ne pourra devenir réalité que par un geste fort du Gouvernement, à savoir la publication d'une ordonnance fixant les règles du jeu pour les marchés publics et privés. "Nous voulons des règles fermes, précisés et opposables", martèle Jacques Chanut. Un point positif toutefois, à retenir de cette deuxième réunion : le sujet de l'approvisionnement des entreprises en masques semble être en voie de résolution.
L'urgence est de mettre en œuvre les conditions d'une reprise pérenne, "en rétablissant la chaîne d'approvisionnement et de production, en soutenant à la fois l'offre et la demande, et en apportant rapidement une solution au problème des surcoûts sur les contrats en cours", comme le résume un document diffusé par la FNTP ce 30 avril juste avant la réunion.
Qui prend en charge les surcoûts
Ces surcoûts sont liés non seulement aux arrêts de chantiers, mais aussi à la mise en œuvre des mesures de protection sanitaire et à la baisse de la productivité. Selon les premières évaluations des professionnels, ces surcoûts représentent 5 à 15% supplémentaires. Deux solutions seraient envisageables pour les professionnels du BTP. La première consiste en la prise en charge partielle ou intégrale de ces coûts supplémentaires par le maître d'ouvrage. Si ce n'est pas le cas, les entreprises dont les marges sont souvent faibles seraient pénalisées, et elles pourraient être amenées à résilier les contrats et à ne pas reprendre les chantiers.
Autre hypothèse : neutraliser les surcoûts pour les parties contractantes. De quelle façon ? Par une compensation indirecte de l'État, qui pourrait prendre la forme d'une exonération des charges patronales pour les entreprises de BTP, aussi longtemps que durera le contexte sanitaire dégradé. "Cette solution aurait le mérite de ne pas modifier l'équilibre économique des contrats, l'ajustement de l'offre et de la demande", en plus de constituer un "très puissant levier de reprise d'activité", font valoir les organisations professionnelles.
Simplification et levée des obstacles administratifs
Plusieurs leviers administratifs peuvent également être actionnés rapidement selon la profession. D'une part, il est possible de simplifier des procédures et de réduire certains délais en adaptant les visas des donneurs d'ordre publics dans le traitement des factures, ce qui permettrait d'accélérer les délais de paiement. Ou encore en prévoyant de redémarrer l'instruction des permis, des délais de recours ou de déféré préfectoral dès la fin du confinement. Ou même en permettant de réduire la durée de suspension des délais d'instruction et de recours pour les autorisations connexes aux autorisations d'urbanisme. Et même de prolonger automatiquement le délai de livraison prévus dans les contrats de construction ou ceux de réalisation des conditions suspensives des contrats immobiliers.
Afin de faciliter la reprise des chantiers mis à l'arrêt, les organisations professionnelles demandent également de lever la procédure d'autorisation préfectorale pour les chantiers de plus de 100 personnes, ou encore de faire en sorte que les maires ne puissent pas empêcher la reprise, ce qui arrive en ce moment en divers endroits. Il serait également nécessaire de permettre l'ouverture d'hôtels et d'une offre de restauration sur réservation pour les compagnons en grand déplacement et intervenant en milieu peu dense par exemple.
Préserver la trésorerie des entreprises
Les fédérations insistent sur le fait que le BTP se trouve en situation "d'extrême fragilité". Alors que l'activité a cessé durant plusieurs semaines, elles estiment que "préserver la trésorerie et les comptes des entreprises est un impératif vital". Si rien n'est fait, le secteur risque de subir "un vrai choc à l'été, lorsqu'il faudra tout absorber", indique un porte-parole de la FNTP à Batiactu.
Pour aider les entreprises, les organisations professionnelles suggèrent par exemple d'annuler les charges fiscales et sociales, et non pas seulement de les reporter comme le gouvernement l'avance jusqu'à présent. Elles proposent également en ce sens de créer des aides pour l'achat d'équipement de protection individuelle, ou encore de "générer un crédit d'impôt" qui permette le report en arrière des déficits qui ne manqueront pas en 2020 sur les bénéfices 2019.
Elles demandent aussi le report de deux mesures, votées en loi de finances pour 2020 et qui doivent entrer en vigueur bientôt. Il s'agit d'une part de décaler de six mois la première échéance de suppression progressive du gazole non-routier, prévue normalement au 1er juillet 2020. Une hypothèse contre laquelle le gouvernement s'est déjà opposé il y a peu, lors des débats sur le deuxième projet de loi de finances rectificative. Deuxième report demandé : celui des plafonnements de la déduction forfaitaire spécifique, qui impacte les charges sur les bas salaires.
Heures supplémentaires et soutien de la commande publique et privée
Pour accélérer la reprise des chantiers, les organisations professionnelles du BTP se disent prêtes à faire travailler davantage leurs salariés. Mais pour cela, il est nécessaire d'augmenter la durée maximale de travail, et les fédérations suggèrent de la portée à 12 heures par jour au lieu de 10, et à 60 heures par semaine au lieu de 48 (portant la durée hebdomadaire moyenne à 48 heures au lieu de 44). Mais elles demandent également que ces heures supplémentaires soient totalement défiscalisées et exonérer des charges patronales.
Cependant, travailler plus ne sera pas nécessaire si la demande n'est pas au rendez-vous dans quelques semaines, une fois que les contrats en cours seront achevés. Aussi, la profession en appelle à un soutien massif des investissements publics comme privés, afin d'éviter un effondrement de la demande qui aurait des conséquences désastreuses sur l'emploi dans le secteur. Pour cela, les professionnels jugeraient utiles de s'appuyer sur des leviers comme le FCTVA, la DETR ou la DSIL et à installer dès que possible les conseils municipaux élus dès le 15 mars 2020, pour favoriser la commande publique locale. Côté marché privé, élargir le champ du CITE ou celui des travaux éligibles à un taux de TVA à 5,5% seraient des idées intéressantes à creuser.
Les idées du secteur ne manquent donc pas pour accélérer la reprise. Reste à savoir quelles propositions seront retenues par le gouvernement. Les discussions ne font que commencer.