De 1865 à 1878, Charles Marville est chargé par la Ville de Paris de photographier le Vieux Paris avant, pendant et après sa transformation en ville moderne. Des clichés étonnants, réunis par Patrice de Moncan, qui nous plongent dans une extraordinaire histoire de la capitale.
Un Paris fantasmagorique, vide. Quelques halos lumineux. Une ambiance unique. Lorsque Charles Marville commence à prendre des photographies de Paris, à la demande de la Commission historique de la ville créée par Hausmann, ce média n'en est encore qu'à ses débuts. Alors même que Paris grouille d'une foule constante, point de vie sur les clichés : du fait des temps de pose, les bâtis immobiles apparaissent dans toute leur majesté, tandis que les gens, mobiles, deviennent des fantômes. La ville s'offre ainsi nue à l'œil du photographe et lui permet de témoigner des transformations incroyables qu'elle vivra durant les dix-sept années de grands travaux imaginés par Haussmann.
Marville commence ses photos en 1865, chargé de mettre sur pellicule les rues appelées à disparaître, puis en 1877, les avenues nouvelles, pour l'exposition universelle. En plus de la découverte de ces magnifiques photos, c'est à ce voyage historique incroyable que nous invite Patrice de Moncan, spécialiste de l'histoire de Paris, dans un ouvrage, Paris photographié au temps d'Hausmann, aux éditions du Mécènele et le temps d'une exposition au Louvre des Antiquaires*. Une exposition à voir, un livre indispensable.
b>Un vieux Paris insalubre à qui l'on donne "l'air, la lumière et l'eau"
Nous sommes sous le second Empire, dans le milieu des années 1860. Napoléon III, qui a vécu jusqu'alors à l'étranger, décide de faire de Paris une ville moderne. Il charge Hausmann, son préfet, de "donner à Paris l'air, la lumière et l'eau." "A cette époque, nous explique Patrice de Moncan, le vieux Paris est totalement insalubre, l'on meurt régulièrement du choléra, l'épidémie ronge jusqu'aux beaux quartiers." Cité par l'historien dans son ouvrage, Victor Considérant décrit ainsi "un immense atelier de putréfaction, où la misère, la peste et les maladies travaillent de concert, où ne pénètrent guère l'air ni le soleil. Paris c'est un mauvais lieu (...)".
Il faut construire de nouveaux immeubles, en détruire beaucoup : 20.000 bâtiments disparaissent tandis que 30.000 sortent de terre. Le visage de Paris est totalement transformé, bouleversé également par la construction de grandes artères, telles l'avenue de l'Opéra ou encore la rue de Rivoli. Napoléon III veut offrir aux petits Parisiens des "squares", tels qu'il les a connus à Londres : plus d'un million d'arbres seront plantés dans la capitale. La quantité d'eau potable de la capitale est multipliée par dix et des toilettes publiques sont installées. Tout cela en dix-sept ans ! "Et avec comme seuls outils des pioches, des seaux et des pelles" ajoute Patrice de Moncan. Dans les clichés les plus récents, les personnages apparaissent plus nettement, la technique de la photographie s'améliore et avec elle, le temps de pose...
Aujourd'hui, alors qu'un nouveau projet de Grand Paris se dessine, il est intéressant de se plonger dans cette étape historique de la capitale. Pour l'historien d'ailleurs, le rapprochement est amusant. A l'époque, Paris absorbe de nombreux petits villages voisins, comme Auteuil, les Batignolles, ou Passy, avec des réticences vite étouffées par le pouvoir. "Pour faire Paris, il leur a fallu 17 ans et, lorsque l'on voit que ces dernières années, le même temps aura été nécessaire, par exemple, pour le centre commercial de Boulogne Billancourt, on se rend bien compte que le principal problème du Grand Paris sera politique," s'amuse Patrice de Moncan.
Plus de 400 clichés
Grâce à la passion de certains, les clichés de Charles Marville nous sont parvenus. Un témoignage capital et magnifique de "la toilette de civilisation" de Paris, comme le raconte Théophile Gauthier, cité également par Patrice de Moncan dans son ouvrage. Plus que pour alimenter les passions des amoureux de l'histoire de la capitale, cet ouvrage et cette exposition nous donnent ainsi à voir les prémisses de notre société moderne et la force de l'urbanisme sur nos vies. Et nous montre également l'importance de "regarder Paris avec ses pieds", tel que le conseille un chroniqueur de l'époque. Un conseil repris par Patrice de Moncan : "Le bruit de la ville qui bouge, le bonheur de marcher dans ses rues, de découvrir ses multiples architectures, ses perspectives, ses commerces. Paris est une somme de quartiers différents. Pour celui qui passe vite, la ville aura un pseudo aspect uniforme, alors que d'un coin à l'autre, elle dévoile des charmes différents. Et puis... ça sent bon le bitume !".
Pour découvrir certains des clichés de Paris, par quartiers, par Charles de Marville, cliquez sur suivant.
*Charles Marville, Paris photographié au temps d'Haussmann (contenant 155 photographies de Charles Marville) - Patrice de Moncan, éd. du Mécène, 2009. 45€
Paris Centre - Cité
Quai des orfèvres 1866
L'Ile de la Cité est à l'époque complètement insalubre et rongée par le choléra. "Ce n'est plus qu'une vaste ruine, tout au plus bonne à loger les rats de l'ancienne Lutèce", selon Napoléon Ier qui souhaitait la détruire, cité par Patrice de Moncan dans son ouvrage. Le Quai des orfèvres quant à lui, accueillait les joailliers et les orfèvres.
Rive gauche et quartier latin
La Place Saint-André des Arts 1865
Sur le cliché, des halos lumineux, on distingue des carioles à l'arrêt. Le temps de pose nécessaire à l'époque au début de la photographie explique l'absence ou la rareté des personnages sur les photos, alors même que Paris grouille de la foule de ses habitants. Il suffit d'un mouvement pour que ces derniers n'apparaissent pas. A moins qu'ils ne prennent la pose...
Quartier Latin
Rue Saint-Etienne-du-Mont 1867
Soufflot
La rue Soufflot en travaux 1876
Paris centre Maubert -Monge-Saint-Séverin
La Place Maubert 1868
Avant d'être un quartier si prisé des étrangers et Parisiens aisés, Patrice de Moncan nous explique que ce quartier n'a été longtemps qu'"un dédale de ruelles sinueuses et insalubres". "La place Maubert a été réduite à l'état de carrefour sous le Second Empire, carrefour formé par le boulevard Saint-Germain (ouvert en 1855), la rue Monge (1859) et la rue Lagrange (1887)."
Paris centre Maubert -Monge-Saint-Séverin
La rue de l'Arbalète 1865
(Actuelle rue Lhomond) Un marché, dit le marché des Patriarches, avait pris place, reconstruit en 1831. "Il était composé d'un corps de bâtiments formant un rectangle complètement couvert, dont on voit une parcelle à gauche de la photo (...). Aujourd'hui le marché a disparu, mais a laissé son nom à une place et les immeubles haussmanniens de la rue Daubenton et de la rue Monge ont remplacé le lavoir et les vieilles constructions médiévales du fond de la photographie."
Ventre de Paris - Halles, Victor Baltard
La Place Sainte-Opportune 1865
Cette rue est située entre les rues des halles, Courtalon et Sainte-Opportune.
Une anecdote amusante nous est contée par Patrice de Moncan sur les Halles. On le sait, elles ont été érigées par Baltard (que l'on connaît aujourd'hui surtout pour un fameux pavillon), en verre et en métal. Mais en réalité, nous explique l'historien, "Haussmann raconte dans ses mémoires que Baltard détestait le verre et le métal. Ce qu'il aimait, c'était la pierre. Il construit ainsi des premières halles avec ce matériau. A leur vue, Napoléon III aurait dit 'mais ce ne sont pas des halles, c'est un fort !' Il aurait demandé à ce qu'on les rase, aurait pris un crayon et aurait dessiné à main levée les halles en métal et en verre. Hausmann aurait alors expliqué à Baltard que s'il voulait resté dans la course, il devrait se résigner à opter pour ces matériaux. Ce qu'il fit. Pour l'église Saint-Augustin c'est la même chose : remarquez comme il a pris soin de cacher la structure métallique !"
Une anecdote amusante nous est contée par Patrice de Moncan sur les Halles. On le sait, elles ont été érigées par Baltard (que l'on connaît aujourd'hui surtout pour un fameux pavillon), en verre et en métal. Mais en réalité, nous explique l'historien, "Haussmann raconte dans ses mémoires que Baltard détestait le verre et le métal. Ce qu'il aimait, c'était la pierre. Il construit ainsi des premières halles avec ce matériau. A leur vue, Napoléon III aurait dit 'mais ce ne sont pas des halles, c'est un fort !' Il aurait demandé à ce qu'on les rase, aurait pris un crayon et aurait dessiné à main levée les halles en métal et en verre. Hausmann aurait alors expliqué à Baltard que s'il voulait resté dans la course, il devrait se résigner à opter pour ces matériaux. Ce qu'il fit. Pour l'église Saint-Augustin c'est la même chose : remarquez comme il a pris soin de cacher la structure métallique !"
Le style Haussmann
La rue de Rivoli 1877
Sur cette photo, l'on voit à gauche les échafaudages de la reconstruction de l'Hôtel de ville, ravagé par un incendie lors de l'insurrection de la Commune. La rue de Rivoli est l'une des grandes artères nouvelles imaginées par Haussmann. L'on y voit sur la droite un immeuble typiquement haussmannien. Mais qu'est-ce que le style Haussmann ? "Un chroniqueur de l'époque parle de 'cages à poules', ce qui peut paraître étonnant actuellement. "L'immeuble haussmannien, nous explique Patrice de Moncan, est très particulier. Il s'élève sur cinq étages, très rythmés, avec des appartement où tout est au même niveau. C'est là la vraie révolution : l'intérieur, où les parties réception, cuisine et chambres, s'organisent autour de la cour centrale et où apparaissent les couloirs ; une même famille sur un même niveau. Au deuxième étage, un grand balcon linéaire, parfois au dernier également."
Chatelet
L'ancienne Place du Chatelet 1855
La fontaine de la Victoire avant son déplacement. Dans le fond, le haut de la tour Saint-Jacques en cours de restauration.
Rive droite-Opéra
Le percement de l'avenue de l'Opéra 1877
"Vue prise à travers la Butte des Moulins. Au fond, les maisons de la rue d'Argenteuil." L'avenue fut ouverte entre 1864 et 1876. "L'ouverture de cette avenue a fait disparaître en 1875 l'un des quartiers historiques de Paris, celui de la butte Saint-Roch et de la butte des Moulins qui se situait au carrefour actuel de l'avenue de l'Opéra et des rues Thérèse et des Pyramides." L'opéra Garnier est inauguré en 1875 (après la pose de la première pierre en 1862)
Chaussée d'Antin
La rue de la Chaussée d'Antin 1865
L'église de la Trinité, que l'on voit en construction au fond de la photo fut construite entre 1861 et 1867, dessinée par l'architecte Théodore Ballu. Les obsèques de Berlioz y furent célébrées le 11 mars 1869.
Réaumur Turbigo
Elargissement de la rue Réaumur et percement de la rue de Turbigo 1866
Avant qu'elle ne devienne aujourd'hui l'une des rues les plus fréquentées de Paris, à l'époque, s'y trouvait "la tristement réputée Cour des Miracles".
Beaubourg
Rue Beaubourg 1866
Les Tanneurs
Les bords de la Bièvre 1868
La Bièvre était une rivière sur les bords de laquelle les tanneurs exerçaient. Elle entrait au sud de Paris à la Poterne des Peupliers, "pour décrire un grand 'S' dans la prairie située au sud de la Butte aux cailles et remonter en longeant les rues Glacière, Censier et Buffon, jusqu'à l'actuelle Gare d'Austerlitz." Elle a aujourd'hui quasiment entièrement disparue, "car elle a été entièrement recouverte entre 1828 et 1912", à cause des pollutions des manufactures installées sur ses berges.
Les Buttes-Chaumont
Les Buttes-Chaumont 1865
... ou comment Haussmann offrit un magnifique parc aux Parisiens des XIXe et XXe arrondissement, à l'endroit même où se trouvaient des buttes "stériles", un "endroit sinistre par excellence", où le gibet de potence de la justice était établi au XVIIIe siècle. On peut voir l'emplacement du futur lac en bas à droite de la photo.
Alésia
Eglise Saint-Pierre de Montrouge vue prise depuis l'avenue d'Orléans.
La rue d'Alésia est percée de la rue de la Tombe Issoire à l'église, qui vient d'être construite.