ANTICIPATION. Fidèle à sa tradition de scénarios prospectifs, l'Ademe a imaginé différentes trajectoires (avec plus ou moins de nucléaire, de renouvelables et de biogaz) pour parvenir à décarboner presque totalement l'électricité française d'ici à 2050 et au-delà. Arnaud Leroy, président du conseil d'administration de l'agence, présente les points les plus saillants de ces travaux.
"Nous avons travaillé avec RTE et la Direction générale de l'énergie et du climat, dans le cadre du débat sur la Programmation pluriannuelle de l'énergie et de la Stratégie nationale bas carbone, avec une approche purement économique, budgétaire", annonce en préambule Arnaud Leroy, qui dirige l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Car se pose la question d'un mix énergétique équilibré pour assurer l'approvisionnement en électricité de l'Hexagone, bien au-delà de 2028. Et, première constatation, une part de 85 à 95 % d'énergies renouvelables est tout à fait atteignable à horizon 2050-2060.
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David Marchal, directeur adjoint Productions & énergies durables, précise : "En 2015, nous avions publié une étude sur un mix électrique 100 % renouvelable. Cette nouvelle étude se penche sur la transition du mix actuel, qui incorpore 75 % de nucléaire, et vers quoi on évolue. C'est donc un horizon de long terme, qui se situe au-delà de l'âge maximal du parc des réacteurs historiques. Il faudra donc les remplacer, mais par quoi ?". Le document, technico-économique, repose sur diverses hypothèses d'acceptabilité des renouvelables et d'évolution des coûts de l'énergie. Sept trajectoires ont été modélisées, avec des variations sur le rythme de déclassement des réacteurs nucléaires, celui de progression du gaz de synthèse et l'entrée en service - ou non - de nouveaux EPR. Les résultats ont été obtenus au moyen d'outils de modélisation fournis par Artelys et généralement utilisés par les gestionnaires de réseaux. "Ceci afin de s'assurer que la production correspondra en tout moment à la demande", ajoute-t-il. D'après le spécialiste, les coûts de production, qui ont déjà fortement baissé, "pourront encore diminuer de moitié pour le photovoltaïque et de -40 % pour l'éolien terrestre". De quoi rendre ces deux sources renouvelables, parfaitement compétitives, sans aucun soutien public, au-delà de 2030. "Nous avons optimisé les scénarios de façon à limiter l'impact budgétaire pour les finances publiques", précise David Marchal, qui ajoute que les investissements pour le stockage et l'adaptation du réseau aux sources intermittentes ont bien été pris en compte. Il explique d'ailleurs que, grâce à sa bonne flexibilité, le réseau français sera parfaitement apte à accueillir davantage d'EnR. "La question de la stabilité du système, qui un argument souvent poussé par EDF, a été adressé", assure-t-il. Pour le stockage, les capacités installées - qui ne se développeront que tardivement, c'est-à-dire après 2040 - oscilleront entre 12 et 18 GW de puissance en 2055-2060.
Un mix électrique sans émissions de CO2… et sans surcoûts
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Pour le consommateur, le tarif de l'électricité pourrait rester stable, voire légèrement décroître, en étant facturé 90 €/MWh HT en 2050, contre 100 €/MWh actuellement. "Lorsque les bâtiments seront mieux isolés et rénovés, il y aura même une autre baisse des coûts pour la collectivité, de l'ordre de -7 %", poursuit le directeur adjoint. Mais quid de la place des réacteurs de "nouvelle génération", évoqués par EDF et Emmanuel Macron ? "Ils ne seront pas nécessaires, et pas économiquement pertinents, y compris avec une baisse des coûts", explique Arnaud Leroy. "Même à 70 €/MWh, ils ne rentrent pas dans l'équation du mix". Selon les experts de l'Ademe, le scénario où des capacités nucléaires de 15 GW seraient remplacées par des nouveaux EPR, aboutirait à un surcoût de 85 Mrds € sur toute la période considérée. Car il est estimé que chaque réacteur bénéficierait d'un soutien public compris entre 4 et 6 Mrds €. Sur le parc historique en revanche, faudra-t-il le prolonger au maximum ou, au contraire, le fermer rapidement afin de laisser la place aux EnR ? Là encore, l'Ademe adopte un point de vue purement économique pour répondre qu'il serait judicieux de fermer le tiers des centrales, en commençant par les plus anciennes, tout en prolongeant l'exploitation des autres. "Il ne faut pas garder un parc trop important. Car les surcapacités font baisser les prix de gros - pas ceux des clients finaux - et déstabilisent le marché des énergies renouvelables", analyse David Marchal. Bonne nouvelle, avec ses sources non carbonées, la France restera à la fois vertueuse et largement exportatrice de courant vers ses voisins, avec environ 100 TWh/an en 2030. "L'électricité sera très compétitive grâce au nucléaire et aux EnR dont les coûts sont assez stables par rapport au courant issu de fossiles, comme le gaz ou le pétrole dont les cours sont volatils", dévoile le spécialiste.
Mais les analystes font valoir que leur travail, purement budgétaire, ne prend pas en compte les aspects socio-économiques des fermetures de réacteurs ou de reconversion de leurs personnels pour préparer un démantèlement qui s'annonce long et complexe. "Avec ces scénarios l'Ademe est-elle idéaliste ou volontariste ?", s'interroge Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'agence. "Nous avons travaillé avec des hypothèses contrariées, et notamment une trajectoire haute des consommations. Et le modèle intègre bien un déploiement massif de véhicules électriques, avec 16 millions de voitures en circulation en 2050. Même si la baisse des consommations tarde à se concrétiser, les résultats restent robustes", répond-il. Quant au rythme de déploiement des renouvelables, il reste "raisonnable", c'est-à-dire dans la limite des capacités observées en France : +2 GW/an pour l'éolien terrestre et +3 GW/an pour le photovoltaïque, par exemple. "Des rythmes validés par la PPE", soutient l'Ademe. Arnaud Leroy conclut : "Il faut sortir de la géopolitique de l'énergie. Nous avons pour ambition de montrer qu'il faudra penser assez rapidement au-delà de 2028. Et nous apportons la première brique qui aidera à la prise de décision sur la construction éventuelle de nouveaux EPR qui devra intervenir en 2021". Le président du conseil d'administration rappelle que le coût du démantèlement des centrales existantes est pour l'heure budgétisé à hauteur de 300 M€/réacteur par EDF, mais que nos voisins européens estiment que les coûts seront bien supérieurs, peut-être le double en Belgique et près du triple en Allemagne. Des incertitudes qu'il faudra lever au-moment de faire le choix entre poursuivre l'aventure de l'atome civil ou s'orienter résolument vers d'autres sources non carbonées.