ASSURANCES. Les chiffres communiqués par la SMABTP sont sans équivoque : la crise économique débutée en 2008 a eu pour conséquence de faire exploser la sinistralité dans le secteur de la construction. Et les relations sur les chantiers se sont tendues.
Depuis 2008 et la crise économique, les non-qualités se font de plus en plus fréquentes dans le BTP et les acteurs du secteur ne se font pas de cadeaux pour résoudre les litiges. Voici peut-être les principaux enseignements que l'on peut tirer des chiffres sur la sinistralité communiqués par la SMABTP, le 11 octobre lors d'une conférence de presse.
Entre 2008, début de la crise économique, en 2016, les sinistres ont explosé, notamment en termes de coûts. Ainsi, en matière de risque en cours de travaux, la charge passe de 194 millions d'euros en 2008 à 332 millions d'euros en 2016 (+71%) - alors même que le nombre de sinistres sur la période a baissé de 14% (23.575 à 20.400). En stock de sinistres, l'augmentation en nombre de faits est de +41% (de 28.400 à 38.900) pour un montant passant de 911 millions d'euros à 1,6 milliard d'euros (+75%). Ces chiffres sont d'autant plus étonnants que le nombre de chantier a fortement diminué, crise oblige, sur la période. Quant aux risques après réception, concernant la décennale, la tendance est la même : +42% de charge sinistre entre 2008 (222 M€) et 2016 (316 M€), et un stock lui aussi en expansion, à +69% (847 M€ en 2008, 1,4 milliard en 2016). Des chiffres qui donnent le tournis.
"Des prix bas, donc baisse des marges, donc baisse de la qualité"
Ces tendances s'expliquent notamment par les tensions économiques auxquelles les acteurs du BTP ont été soumis durant la crise. Chacun d'entre eux a en effet été soucieux de préserver sa santé financière en limitant ses coûts et maximisant son chiffre d'affaires, qu'il soit maître d'ouvrage ou entreprise. "La crise a entraîné une augmentation de la concurrence, donc une baisse des prix, une baisse des marges, et en fin de compte une baisse de la qualité", résume Bertrand Lotte, directeur des réglements chez la SMABTP. La hausse des défaillances d'entreprise a également contribué à alourdir la charge financière.
Les relations sociales entre partenaires sur les chantiers se sont grandement dégradées, comme en témoige l'augmentation des assignations immédiates, aux dépends des procédures à l'amiable. "Les sinistres contentieux ont un coût 7,5 fois plus important en moyenne que les sinistres amiables", rappelle la SMABTP. Les maîtres d'ouvrage se sont faits visiblement plus exigeants avec les entreprises.
Le travail détaché illégal concerné
De nombreux autres facteurs ont été identifiés par la SMABTP pour expliquer cette augmentation vertigineuse des non-qualités. Il y a notamment le surenchérissement des normes et de la réglementation (sismique, thermique...). Mais aussi l'exigence des clients qui peut entraîner de nombreux coûts supplémentaires. La SMABTP rappelle également le rôle qu'a joué le secteur du photovoltaïque dans le nombre de sinistres observés sur la période (il y en a eu pour plus de 100 millions d'euros pour l'assureur), ainsi que la sous-traitance et le travail détaché illégal.
L'évolution du paysage de l'assurance, au plan européen, a également contribué à alourdir les dommages. La libre prestation de service (LPS) a ainsi le vent en poupe. Elle permet à un assureur agréé dans un pays de l'espace économique éuropéen d'offrir ses services dans un autre état. Et c'est l'autorité du pays d'origine qui est responsable de la supervision de l'assureur, notamment de sa bonne santé financière. "Mais chaque pays applique-t-il avec la même diligence les instructions européenne sur le sujet ?", s'interroge Pierre Esparbès, directeur général délégué de la SMABTP.
Des dizaines d'assureurs européens ont fait faillite
Au vu du nombre de faillites de sociétés exerçant en LPS, on peut sincèrement en douter. Une dizaine ont été recensées. Et l'assureur Elite insurance company a arrêté en juillet 2017 toute nouvelle souscription dans l'Union européenne. Ces sociétés n'avaient visiblement pas les reins assez solides pour exercer en toute sécurité financière leur métier d'assureur.
"Les assureurs LPS ont eu pendant la crise une croissance moyenne de 30% alors que le marché était en recul pour atteindre 200 millions d'euros et 10% de part de marché", remarque pourtant la SMABTP. Ainsi, le recours à certaines formes d'assurance peut-être moins chère n'a pas été sans dommages. Et c'est toute la filière qui en paie le prix. "La faillite d'un assureur impacte directement la charge des sinistres des autres assureurs par la difficulté à obtenir des recours mais impacte surtout les entreprises qui sont privées de sécurité financière", précise la SMABTP. Et la charge financière supplémentaire est in fine répercutée sur les clients.
Les propositions de la SMA-BTP
La SMABTP est en passe de faire plusieurs propositions aux pouvoirs publics pour contrer cette explosion des sinistres. "Il y a des dérives ces dernières années. Nous devons responsabiliser les acteurs pour qu'il réintègrent les bons comportements", explique Pierre Esparbès, directeur général délégué. "Quand par exemple certains maîtres d'ouvrage touchent l'indemnité décennale mais ne font pas les travaux ensuite, cela pose question." La société en appelle également à soumettre les sous-traitants à l'obligation d'assurance, ainsi que les fabricants de procédés. "Il faut mettre ces derniers dans la chaîne d'assurance, car quand il y a un problème ils ne sont plus là, ou ils ne sont pas assurés sur leurs produits." La SMA va également valoriser les bonnes pratiques à travers son offre, et alerter les pouvoirs publics sur ces assureurs en LPS qui ne respectent visiblement pas toujours les règles de comptabilisation qui sécurisent la profession.
Les non-qualités peuvent également provenir de matériaux contrefaits ou non-performants achetés par les entreprises sur des sites de commerce en ligne plus ou moins crédibles. Un point qui n'échappe pas à la SMABTP. "Parce qu'elles sont en difficulté économiquement, des entreprises vont s'approvisionner sur Internet, sur des sites hébergés dans des contrées exotiques", explique Bertrand Lotten directeur des réglements. "Or, il est difficile d'avoir une traçabilité sur ces produits." La société échange actuellement avec la Fédération française du bâtiment (FFB), notamment pour sensibiliser les entreprises de construction à ces risques.