CULTURE. La galerie de l'Architecture, à Paris, met à l'honneur le travail des architectes Emmanuelle Marin-Trottin et David Trottin à travers une exposition et un ouvrage. La volonté d'explorer à plusieurs les champs du possible de la construction de bâtiments est magnifiée dans cette installation de maquettes et photographies.
Une exposition épurée, qui retrace le travail d'un grand duo d'architectes français. Voilà ce que promet en ce moment la galerie d'Architecture, logée au cœur de Paris, dans le quartier du Marais. La galerie donne un coup de projecteur à la longue carrière d'Emmanuelle Marin-Trottin et de son mari David Trottin, tous deux cogérants de l'agence Marin+Trottin, fondée en 1994. Visible jusqu'au 17 juillet prochain, l'exposition "Ensemble" accueille une collection de maquettes et de projections photos des projets qu'ils ont menés ces vingt dernières années.
Pour la troisième fois, la galerie d'Architecture expose les conceptions des cofondateurs du collectif Périphériques, créé dans les années 1990. La dynamique collective est mise en lumière dans cette exposition, prouvant que l'architecture peut s'imaginer à deux comme à trente. "Ensemble", ce n'est pas seulement une exposition, c'est aussi un livre, intitulé "Architectures périphériques" qui découpe en sept thématiques l'importance des rencontres et du partage à coconstruire un bâtiment. De l'ouvrier au photographe, qui immortalise le bâtiment une fois terminé, chaque acteur donne une lecture différente des projets.
Des projets aux mêmes racines
"Ensemble" illustre les différentes échelles, temporalités et phases d'évolution des bâtiments sur lesquels ils ont collaboré. "L'idée de l'exposition vient originellement de l'ouvrage que nous avons réalisé", affirme Emmanuelle Marin-Trottin, lors d'une visite de l'exposition à laquelle Batiactu s'est rendue. "Il dépeint comment des projets, à l'apparence différente, possèdent les mêmes racines, sociales et environnementales."
Marin+Trottin élabore actuellement trois projets, que le duo qualifie "d'atypiques" en termes d'échelle, de taille et de temporalité, notamment pour la gare Châtillon-Montrouge du Grand Paris. Le chantier de ce projet remporté en 2012 vient à peine de débuter. En parallèle, les architectes préparent depuis quatre ans la Cité du Théâtre, située à Paris. Celle-ci réunit la Comédie-Française, le théâtre national de l'Odéon et le Conservatoire national supérieur d'art dramatique. Cet ouvrage collaboratif est mené par une équipe plurielle, avec des associés espagnols. "L'idée est ici de valoriser une architecture existante tout en apportant une contemporanéité", souligne Emmanuelle Marin-Trottin. "L'exposition et l'ouvrage montrent notre capacité à travailler ensemble et à plusieurs, en mutualisant les compétences de chacun."
Coconstruire, une évidence
Pour David Trottin, cela résonne comme une évidence. Il voit l'architecture comme de la création qui ne peut que se faire à plusieurs. "Elle inclut d'autres architectes, d'autres bureaux d'études, des ouvriers. Ce qu'on souhaite, c'est partager chaque projet porteur d'une identité." Outre le particularisme même de chaque projet, Emmanuelle Marin-Trottin visualise leur approche comme une façon de se concentrer sur "un concept, des besoins et la manière dont l'utilisateur s'emparera de ce projet et le transformera".
Lors de l'exposition, les architectes tiennent à discuter de la gare Châtillon-Montrouge, située dans le département des Hauts-de-Seine, et notamment de leur collaboration avec un artiste, auteur d'une œuvre représentant un ciel, sur un plafond suspendu. "Il a fallu réfléchir à la façon d'induire un travail artistique qui ne soit pas rapporté mais intégré, pour que l'œuvre de l'artiste soit indissociable de l'architecture", raconte David Trottin. L'œuvre a été imprimée sur les trois côtés de chaque lame de plafond, afin d'avoir une vue d'ensemble parfaite de cette image.
Des habitations qui dépassent l'idée de projection sociale
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Le duo a également imaginé des habitations, notamment pour une opération particulière où 36 architectes étaient invités, il y a une dizaine d'années, à concevoir un modèle de maison individuelle alternative, à un prix raisonnable. Le but : fonder un lotissement. À l'époque, le duo s'était déjà penché sur un autre projet, "l'envers des villes", qui les avait amenés à trouver l'antithèse de la maison individuelle française. "C'est celles que l'on peut trouver en Australie, là où des habitants vivent confortablement dans des maisons construites avec trois bouts de tôles, sur des plages incroyables", témoigne David Trottin.
Ils ont gardé cette idée de logement pour le projet des 36 maisons françaises, toutes du "locatif social", et ont bâti la maison de plain-pied appelée "pique-nique". "On a fait venir le jardin au pied de la maison. Celle-ci est entourée de buttes végétalisées, elle ressemble à un logement de vacances. Elle n'a pas besoin d'être un lieu de projection sociale mais de plaisir", explique Emmanuelle Marin-Trottin.
"Recoudre l'ensemble des urbanismes environnants"
Un processus de conception de logements différent de celui-ci a aussi été, en partie, supervisé par le couple. Il s'agit de parcelles d'habitations, conçues dans le XVIIème arrondissement pour Paris Habitat. "Les parcelles carrées étaient de 20 x 20 mètres. Une dizaine d'architectes était sélectionnée pour imaginer la ville à travers deux parcelles côte à côte, à travers un travail collectif", raconte David Trottin. Le bâtiment s'est imaginé comme un "cadavre exquis", en confrontant l'architecture à elle-même. "Certains ont joué le jeu en mixant certains projets, ils ont fait des escaliers communs, par exemple", s'amuse Emmanuelle Marin-Trottin.
Au fond de la galerie, des maquettes représentent la Cité du théâtre. "L'enjeu de ce site est de recoudre l'ensemble des urbanismes environnants", décrypte Emmanuelle Marin-Trottin. Ainsi, ils inventent la Cité dans les ateliers Berthier, et lui offrent une scène, une agora et un lieu de rencontre. Ils ont également prolongé le jardin et proposé 5.000 m2 constructibles en plus du programme donné. Ici, la ville est imaginée comme un théâtre, avec sa scène et son jardin.
Placer l'habitant au centre des projets
D'autres maquettes retracent les années de collaborations des architectes, qui s'assurent de rester "une petite agence" pour conserver leur "échelle d'artisans". "Notre équipe a sa place dans chaque projet et est valorisée", confie David Trottin. Ils ont acheté, voilà maintenant dix ans, une machine de découpe laser pour fabriquer des maquettes plus rapidement. "Plus qu'avec un plan, tout le monde peut se projeter et comprendre une maquette. À l'agence, les nôtres sont des patrimoines vivants. Elles ne sont pas protégées et sont posées sur des étagères en tôles noires."
La cofondatrice de l'agence considère ne pas avoir d'approche plasticienne dans cette exposition, elle préfère que cette installation se lise comme une analyse urbaine. "Notre recherche, c'est donner la place à l'habitant."
Exposition "Ensemble"
11 rue des blancs manteaux, 75004 Paris