AUDITIONS. L'enquête publique sur l'incendie de la tour Grenfell est en cours. Tous les acteurs impliqués sont auditionnés les uns après les autres. Chacun a logiquement tendance, au vu des enjeux, à délimiter le champ de ses responsabilités et suggérer que la faute décisive n'est pas de son fait.
L'enquête publique portant sur l'incendie de la tour Grenfell, qui a fait plus de 70 morts il y a près d'un an à Londres, est en cours. Ses évolutions peuvent être suivies via un site dédié mis à jour régulièrement. Les principaux acteurs impliqués dans la réhabilitation du bâtiment, achevée en 2016, dont les nombreuses malfaçons ont conduit au drame, ont communiqué par écrit les arguments qu'ils souhaitent faire entendre pour défendre leur position.
"Le client n'est pas censé être un spécialiste dans les techniques de conception"
Les regards se tournent naturellement vers le maître d'ouvrage, le gestionnaire local des logements sociaux de Kensington et Chelsea (KCTMO), très critiqué depuis le drame, notamment accusé d'avoir fait pression sur les acteurs pour diminuer les coûts. Le KCTMO avance plusieurs éléments pour se défendre, au premier rang desquels le fait que "le client n'est pas censé être un spécialiste dans les techniques de conception et de construction", notamment en ce qui concerne la sécurité incendie. Ainsi, faire baisser les coûts, dans l'esprit du client, ne revient pas forcément dans son esprit à diminuer le niveau de sécurité des habitants, considéré comme un acquis du fait que les solutions proposées doivent forcément respecter la réglementation en vigueur.
Par ailleurs, les produits installés lors de l'ITE, pointés du doigt par des rapports d'experts pour avoir permis une rapide propagation du sinistre en façade (voir ci-dessous la vidéo révélée lors de l'enquête), auraient été choisis par l'agence d'architecture Studio E, "après consultation avec d'autres professionnels de la construction". "L'usage de ce type des matériaux a été envisagé dès le début du projet en 2012, au vu et au su de toute une série de corps professionnels impliqués, dont certains ayant une responsabilité spécifique en matière de contrôle et de sécurité incendie", ajoute l'organisme.
Enfin, comme d'autres, le TMO précise que la réglementation incendie dans les bâtiments d'habitations tels que la tour Grenfell n'était visiblement pas assez exigeante, comme l'a depuis assuré le rapport Hackitt commandé outre-Manche à la suite du drame.
La "faible résistance des fenêtres et des cadres de fenêtres"
L'industriel qui a produit les panneaux en aluminium composite-polyéthylène (ACMPE), Arconic, a également fait parvenir des éléments en vue de l'enquête. La société y rappelle notamment que des incendies de façade ont eu lieu, du même type que celui de Grenfell (notamment récemment à Dubaï), sans pour autant provoquer de victime. "L'une des caractéristiques notables de cette tragédie [de la tour Grenfell] a été le manque de résistance au feu des fenêtres et des cadres de fenêtres, que le sinistre passe de l'intérieur vers l'extérieur ou de l'extérieur vers l'intérieur", avance Arconic. L'industriel estime ainsi que son produit n'a constitué "qu'un facteur ayant contribué au feu". "Les panneaux n'ont pas rendu inévitable la catastrophe qui s'est déroulée", résume-t-il.
Le point de vue du laboratoire d'essais Efectis qui a mené des tests sur des répliques de la tour Grenfell, était assez proche.
Des failles dans la réglementation
Le fabricant des cadres de fenêtres, CEP, a pour sa part indiqué qu'il ne s'avancerait pas avant d'avoir eu accès au site pour mener ses propres investigations.
Autre acteur qui a fait l'objet d'attaques outre-Manche, le contractant général, Rydon. Qui, pour sa défense, s'appuie lui aussi en toute logique sur le rapport Hackitt qui pointe des failles dans la réglementation au moment où la réhabilitation de la tour Grenfell a été menée. Rydon rappelle également que des centaines de bâtiments existent où ont été installés le même genre de panneaux de façade qu'à Grenfell. "De tels systèmes de façade ont été conçus et prescrits par des consultants réputés, et inspectés et validés par des professionnels chargés de leur validité au regard des la réglementation", rappelle Rydon.
L'enquête devrait durer jusqu'à la fin de l'année 2018, et de nombreux acteurs doivent encore être audités.
Dans le cadre de l'examen de l'article 10 du projet de loi Elan, instaurant les immeubles de moyenne hauteur, le député LR Thibault Bazin a sollicité le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, au sujet des suites en France du drame de Grenfell. "En juillet 2017, monsieur Mézard, vous aviez affirmé que les pouvoirs publics réaliseraient un audit pour connaître, en France, le nombre de bâtiments présentant des fragilités face au risque d'incendie similaires à celles de la tour londonienne. Cela fait bientôt un an, et nous n'avons aucune trace de cet audit. La rédaction est-elle achevée ?", a demandé le parlementaire. A quoi le ministre a signalé avoir sollicité les préfets pour effectuer ce "recensement précis du nombre d'immeubles concernés". "C'est un sujet important que nous n'avons pas oublié et qui appellera vraisemblablement des modifications réglementaires", a conclu Jacques Mézard.