INTERVIEW. Brice Lalonde, président de l'association Équilibre des énergies (Eden) et ancien ministre de l'Environnement, donne à Batiactu son point de vue sur les nombreux dossiers en cours ayant trait à la politique énergétique de la France.
Batiactu : L'actualité sur le front de la politique énergétique de la France est particulièrement riche : Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), loi énergie et climat, future réglementation environnementale… Quel regard portez-vous sur ces multiples chantiers ?
Brice Lalonde : Notre conviction, chez Équilibre des énergies (Eden), c'est qu'il nous faut prioriser la décarbonation pour lutter contre le changement climatique. Tout autre objectif est secondaire par rapport à celui-ci, et doit le servir et non le contrecarrer. Or, quand je regarde la politique de l'énergie, j'ai l'impression que c'est l'inverse qui se produit. Prenons par exemple la réglementation thermique 2012. Elle a deux défauts majeurs : elle ne s'occupe pas du climat et raisonne en énergie primaire plutôt qu'en énergie finale. Or, si l'on ne prend en compte que l'énergie primaire, on est nécessairement opposé à l'électricité - décarbonée - car il faut de l'énergie pour en produire. En France, vous la remplacez donc par le gaz, une énergie carbonée.
"Des logements bien isolés sont considérés comme des passoires thermiques parce qu'ils sont chauffés à l'électricité"
C'est ce qui est en train de se passer : des logements correctement isolés sont considérés comme des passoires thermiques parce qu'ils sont chauffés à l'électricité. Les passer au gaz leur fait gagner une voire deux classes de DPE. L'électricité est ainsi plombée par le facteur de conversion d'énergie primaire fixé de manière toute politique à 2,58. Mais le problème, c'est que l'utilisateur final est otage de cette politique. La seule chose sur laquelle il aurait une maîtrise, c'est en effet sa consommation d'énergie finale. Bref, depuis 2012, la réglementation est sur de mauvais rails : comment voulez-vous y bâtir une politique sérieuse de construction bas carbone ?
Batiactu : Vous demandez donc une modification du coefficient d'énergie primaire pour l'électricité ?
B.L. : J'ai coutume de dire que le 2,58 devrait être aussi connu que le 49.3 ! Heureusement, cette donnée est de plus en plus connue et discutée. De toute manière, l'électricité est le vecteur principal de la transition environnementale, avec la chaleur renouvelable, car elle est produite de manière décarbonée et peut se substituer efficacement aux usages des énergies fossiles.
"Le 2,58 devrait être aussi connu que le 49.3 !"
Le biogaz ? On verra bien, mais ne faisons pas comme si cette énergie était déjà largement disponible. La cuisine au gaz, cela continuera, mais il est absurde de barrer la route à l'électricité. Bien sûr, il y a de l'anti-nucléaire derrière tout ça, en filigrane. C'est tout à fait respectable, mais on ne peut pas être contre l'électricité parce qu'on est contre le nucléaire… Et je pense par ailleurs qu'on a encore besoin du nucléaire.
Batiactu : Le volet environnemental de la RE2020 vous rassure-t-il ?
B.L. : La RE2020, je l'attends ! Ces retards m'interrogent, probablement le résultat du lobbying de groupes de pressions qui n'ont aucun intérêt à voir s'instituer un volet carbone. Il faudrait plutôt se dépêcher à faire entrer en vigueur ces nouveaux textes, et les rendant cohérents avec les outils tels que le diagnostic de performance énergétique (DPE). Il faut le courage politique pour y aller, dire ce que cela va coûter. Le Parlement n'a-t-il pas voté l'urgence climatique ?
"Lançons une réglementation 2020 qui aille au plus simple"
Le problème, en France, c'est que nous avons la manie de faire des choses trop compliquées. Lançons une réglementation 2020 qui aille au plus simple : ce n'est pas grave si elle n'est pas tout de suite parfaite ! Mais au moins, commençons. Et, de grâce, ne multiplions pas les critères. Souvenez-vous de la loi pour la transition énergétique de Ségolène Royal : il y avait au moins cinq critères, carburants fossiles, réduction des consommation, augmentation des énergies renouvelables, baisse du nucléaire, lutte contre l'effet de serre... Mais quand vous réduisez l'énergie primaire, c'est contre l'électricité ; quand vous augmentez les ENR, vous restez dépendants du vent ou de l'ensoleillement ; vous voulez réduire la part du nucléaire, mais il faut conserver des sources d'électricité pilotables… Comme dit le dicton : qui trop embrasse mal étreint.