EXPLICATIONS. Les salariés du BTP peuvent-ils faire jouer leur droit de retrait du fait du coronavirus ? Comment un salarié peut-il garder ses enfants ? Batiactu répond à toutes ces questions que se posent les chefs d'entreprise, grâce à l'analyse de Michel Ledoux, avocat spécialisé dans les questions de droit social.
Un salarié peut-il, du fait de la crise du coronavirus, exercer son droit de retrait ? Comment un travailleur peut-il justifier le fait de rester chez lui garder ses enfants ? Le coronavirus peut-il être reconnu comme accident du travail ou maladie professionnelle ? Réponse à ces questions avec Michel Ledoux, avocat fondateur du cabinet éponyme, spécialisé dans les questions de santé au travail.
Un salarié peut-il exercer son droit de retrait à cause du coronavirus ?
En quoi consiste exactement le droit de retrait ? "Il peut s'exercer si un salarié estime que sa santé et sa sécurité sont en jeu, s'il se retrouve face à un danger grave et imminent", rappelle Michel Ledoux, contacté par Batiactu. Ce droit, exercé dans les bonnes conditions, peut permettre au salarié de ne pas effectuer une tache demandée sans se voir infliger une sanction disciplinaire ou une retenue sur salaire.
Le risque d'une contagion au coronavirus constitue-t-il un danger grave et imminent ? Pour l'avocat, le taux de mortalité du virus étant, pour le moment, assez faible, le critère de gravité ne peut pas être caractérisé. Quant à la dimension d'imminence, elle pourrait avoir du sens si, par exemple, l'acte professionnel demandé avait lieu dans l'une des zones les plus à risque de France (par exemple, l'Oise).
Le chef d'entreprise doit donc agir avec mesure dans ce qu'il demande à ses salariés, en fonction des zones de travail et des éventuels problèmes de santé dont il a connaissance chez eux - dans le respect du secret médical. "Si un employeur décide d'envoyer l'un de ses salariés en Chine, ou dans l'Oise, il y a une possibilité pour que le salarié exerce son droit de retrait", illustre Michel Ledoux, "mais cela restera des cas bien particuliers". C'est du bon sens : une femme enceinte, ou une personne atteinte d'une pathologie, d'un handicap, doit évidemment éviter d'être contaminée et à ce titre éviter les zones géographiques à risque. Cela implique aussi que les salariés doivent, toujours dans le respect du secret médical, indiquer à leurs responsables que leur santé est plus ou moins fragiles face à l'épidémie. "Les mesures prises doivent être proportionnelles aux risques identifiés pour la santé des salariés", résume Michel Ledoux.
Comment un salarié justifie-t-il le fait de rester chez lui pour garder ses enfants ?
Comme indiqué par le ministère du Travail, le salarié qui doit rester chez lui garder ses enfants doit produire une attestation sur l'honneur à son employeur dans laquelle il assure qu'il n'a pas d'autres moyens de garde. "L'entreprise peut ensuite déclencher un arrêt de travail pour le salarié", complète Michel Ledoux. Dans ce cas, il n'y a aucun délai de carence. L'employeur ne peut pas s'y opposer. L'autre solution est bien sûr, dans la mesure du possible, le télétravail.
Le coronavirus peut-il être reconnu comme maladie professionnelle ou accident du travail ?
Un salarié malade du coronavirus peut-il prétendre à ce que cela soit reconnu comme une maladie professionnelle ? Michel Ledoux précise tout d'abord que cette grippe-là ne dispose pas d'un tableau de maladies professionnelles (c'est-à-dire qu'elle n'est pas précisément identifiée et reconnue par la réglementation de la santé au travail), l'affaire devrait donc passer par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui évaluerait la chose. "Il y a une condition à remplir, le taux d'incapacité du salarié touché doit être supérieur à 25%, cela ne concerne donc que les malades les plus gravement atteints", indique tout d'abord Michel Ledoux. "Il faudrait ensuite prouver, devant la CRRMP, qu'il y a un lien entre l'activité professionnelle et la maladie." Une tâche très difficile, voire impossible, puisque le coronavirus peut s'attraper n'importe où.
Qu'en est-il de la reconnaissance comme accident du travail ? "Imaginons qu'un salarié passe à l'infirmerie de l'entreprise, ressentant des symptômes, et qu'il s'avère qu'il a bien le coronavirus. Si l'infirmier qui l'a ausculté tombe malade dans les jours suivants, et qu'il reste une trace concrète du passage du premier salarié à l'infirmerie, l'infection au coronavirus de l'infirmier pourra peut-être être reconnue comme accident du travail", illustre Michel Ledoux. L'important ici est de disposer d'une preuve matérielle et irréfutable qu'une contamination a pu avoir manifestement lieu au sein de l'entreprise. Si l'un des salariés malades décédait ou gardait des séquelles de sa maladie, et qu'elle soit reconnue comme accident du travail, une rente lui serait versée, ou à ses héritiers, dans le cas où cela aurait été reconnu comme accident du travail.
Les travailleurs détachés doivent être informés dans la langue qu'ils maîtrisent
C'est un point qui a été très tôt soulevé par Patrick Liébus, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) : les salariés détachés qui ne maîtrisent pas le français doivent être informés des gestes barrières dans leur langue maternelle (ou tout du moins dans une langue qu'ils maîtrisent). "Ceci vaut bien sûr pour le cas du coronavirus, mais c'est déjà une obligation pour n'importe quelle consigne de sécurité", rappelle Michel Ledoux. "Si les indications sur un engin de chantier sont écrites dans une langue qui n'est pas maîtrisée par son conducteur, et qu'un accident du travail grave a lieu dans la foulée, cela relève à coup sûr de la responsabilité pénale."
Mettre à jour son document unique d'évaluation des risques (DUER)
L'avocat Michel Ledoux rappelle l'importance, dans les circonstances actuelles, de modifier son document unique d'évaluation des risques professionnels (DUER), dans un premier temps en y inscrivant les 'gestes-barrière' largement diffusés ces dernières semaines. "Il s'agira également de le mettre à jour en fonction de l'évolution de la situation", ajoute l'avocat.