Plus de 40 ans après son édification, l'une des deux oeuvres religieuses de l'architecte franco-suisse Le Corbusier, le couvent dominicain de La Tourette, à 25 km de Lyon, classé monument historique en 1979, souffre des ravages du temps et d'une construction à l'économie.

D'un des trois puits de lumière éclairant l'église du couvent dégoulinent des gouttes d'eau sur un autel. Sur les façades de ce quadrilatère de béton posé sur un flanc de colline en pleine campagne, les fissures sont nombreuses. Quant aux joints des verrières, certains s'effilochent, laissant passer les courants d'air.

Durant la construction, le chantier avait été arrêté par deux fois en raison du manque d'argent. Commencé pour les plans en 1953, ce "couvent de rude béton", comme le qualifiait l'architecte, sera béni le 19 octobre 1960, soit cinq ans avant la mort de Le Corbusier.

Ses propriétaires, les Dominicains, ordre mendiant historiquement urbain porté notamment vers le prêche et la réflexion, n'ont guère plus d'argent aujourd'hui qu'à l'époque de la construction.

Pour financer "une campagne de restauration d'envergure", dont l'Etat et le conseil général apporteront 60% des fonds, les frères font appel à la générosité publique. Un dépliant aux accents dramatiques est diffusé depuis quelques mois. La Tourette est "aujourd'hui en danger" en raison de "dégradations majeures", peut-on y lire.

Le prieur de la communauté, le Frère Jean-Pierre Olivier, se montre moins alarmiste que dans la brochure. "Le bâtiment lui-même n'est pas en péril", tempère-t-il, évoquant une "vieillesse normale". "L'entretien ordinaire aurait sûrement dû être mieux fait, mais nous n'avons pas d'argent", poursuit-il.

Le plus urgent porte sur les normes de sécurité. "Nous sommes sous une menace de fermeture depuis juillet 1999, c'est surtout cet aspect-là qui est pressant", indique le prieur. Car le couvent, qui héberge un centre culturel consacré à l'architecture, au patrimoine, aux sciences humaines et aux arts, accueille régulièrement des rencontres et des colloques. Les dons affluent, "certains extrêmement modestes, de 20 euros". "C'est très émouvant", dit le Frère Olivier.

La communauté des Dominicains compte également sensibiliser celle des architectes, mais apparemment les disciples de Le Corbusier, architecte controversé à son époque, sont plutôt rares en France. La plupart des grands architectes, qui ont apporté leur soutien à la "campagne de sensibilisation", viennent de l'étranger, notamment du Japon, où Le Corbusier a construit le Musée d'art occidental à Tokyo.

Pour l'instant, le montant des travaux nécessaires n'est pas encore connu, dans l'attente d'une étude préalable menée par l'architecte en chef des monuments historiques.

François Bougon


La Tourette, l'un des deux sites religieux de Le Corbusier

Dans l'oeuvre de l'architecte franco-suisse Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier (1887-1965), qui n'était pas croyant, le couvent de La Tourette (1959) occupe une place toute particulière.

C'est l'une de ses deux réalisations religieuses, avec l'église de Ronchamp (1955). Celle de Firminy Vert, dans la Loire, près de Saint-Etienne, est restée inachevée, les travaux ayant été interrompus en 1974.

Pour André Malraux, "Corbu" l'agnostique avait construit "l'église et le couvent les plus saisissants du siècle". "Il disait, à la fin de sa vie: j'aitravaillé pour ce dont les hommes ont le plus besoin, le silence et la paix", ajoutait l'homme de lettres et ministre de la Culture.

Pour l'un des frères de la communauté qui y vit, "Corbu, lui le non-croyant, aimait cette église". D'ailleurs, à sa mort, conformément à son souhait, son corps avait reposé pendant une nuit sur le sol de l'église, où les dominicains avaient prié pour le repos de son âme.

"C'est l'un des bâtiments les plus beaux du monde", affirme le prieur de la communauté d'une vingtaine de religieux, le Frère Jean-Pierre Olivier.

Chaque année, 13.000 visiteurs, venus du monde entier, notamment du Japon et des Etats-Unis, viennent s'en convaincre.

De "couvent d'études" pour une centaine de religieux, fermé au public, La Tourette s'est transformé, après mai 1968, en lieu ouvert avec une communauté d'une vingtaine de frères, où les étrangers, amateurs de quiétude spirituelle ou amoureux de Le Corbusier, peuvent loger dans les cellules (45 euros, 295 F, la pension complète).


Site internet de La Tourette

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