RAPPORT. Pour la Cour des comptes, l'efficacité des dispositifs de soutien à l'investissement locatif, comme le Pinel, est loin d'être prouvée. L'institution en appelle même à sortir progressivement de ce type de politiques.
Les professionnels de la construction et de l'immobilier sont-ils en situation "d'addiction" par rapport aux aides fiscales de type Pinel ? C'est en tout cas ce qu'affirment des experts consultés et cités par la Cour des comptes dans un courrier transmis au premier ministre et rendu public le 10 avril 2018. Celui-ci dresse un bilan très négatif des dépenses fiscales en faveur de l'investissement locatif des ménages (Scellier, Duflot, Pinel...).
D'après Didier Migaud, signataire de la missive et premier président de la Cour, il n'y a qu'un seul domaine où l'utilité du Pinel est prouvée : c'est en tant qu'élément intégré dans la stratégie économique des opérateurs du secteur de la construction (constructeurs, promoteurs, banques). Plusieurs experts consultés par la Cour évoquent ainsi "un phénomène d'«accoutumance», voire d'«addiction» des acteurs à ces aides fiscales", peut-on lire dans le texte.
La portée de l'aide difficile à circonscrire
Mais sur les objectifs d'intérêt général, ces dispositifs ne convainquent pas les sages de la rue Cambon. Ainsi, le Pinel est censé accroître l'offre de logements locatifs, notamment dans les zones les plus tendues. D'après la Cour, il est impossible de conclure définitivement sur la réalité des apports de cette aide, et même d'affirmer qu'elle a ne serait-ce qu'un effet positif sur le marché.
Par ailleurs, les outils tels que le Pinel ne semblent pas avoir pour vertu de limiter l'augmentation des loyers, comme on pourrait l'espérer. "La Cour a, au contraire, relevé de nombreux indices qui suggèrent le caractère potentiellement très limité de cet effet modérateur, par exemple : le faible volume des logements aidés produits chaque année au regard du parc locatif existant (de 30.000 à 50.000 pour un parc de plus de 5,8 millions d'unités, soit entre 0,5% et 0,8%) ou la faible présence de ces logements aidés dans les zones les plus tendues [entre 2013 et 2015, un tiers en zone très tendue, 50% en zone tendue et 15% en zone relativement détendue, NDLR]."
Un coût de 1,7 milliard d'euros en 2016
Et, alors même que l'efficacité de ces dispositifs n'est pas prouvée, ils coûtent de plus en plus cher à la collectivité et ne bénéficient pas en premier lieu à des ménages dans le besoin. Ainsi, entre 2009 et 2015, le montant annuel des réductions d'impôt sur le revenu consenties à des bailleurs individuels est passé de 606 millions d'euros à 1,717 milliard d'euros.
"Ces aides sont principalement destinées à des ménages dont les revenus sont relativement élevés, et même parfois importants", ajoute par ailleurs la Cour. "Ainsi, 45% des ménages bénéficiaires se situaient en 2013 dans la tranche d'imposition comprise entre 27.000€ et 71.000€ ; près du quart appartenait à la tranche comprise entre 71.000€ et 151.000€, qui ne représentait alors que 2,3% des foyers imposés." Autre élément qui chiffonne les auteurs : aucun contrôle systématique n'est effectué pour s'assurer de la droite utilisation de ces financements.
Une "sortie progressive et sécurisée" des dispositifs
En conséquence, Didier Migaud invite les pouvoirs publics à "mettre en œuvre des dispositions transitoires permettant une sortie progressive et sécurisée des dispositifs récemment reconduits" et "mettre en place des mesures visant à renforcer la place des investisseurs institutionnels dans la construction et la location de logements privés".
Pour rappel, le Gouvernement a prolongé le Pinel jusqu'au 31 décembre 2021, mais l'a recentré sur les zones A, A bis et B1 et dans les communes couvertes par un Contrat de redynamisation du site de défense (CRSD).