Alors qu'un projet de loi visant à réformer la sous-traitance est actuellement en cours de discussion, Didier Ridoret, président du Conseil national de la sous-traitance du bâtiment de la FFB, fait le point sur cette pratique.

Pensez-vous que la sous-traitance progresse sur les chantiers ?

Je ne suis pas persuadé qu'on ait vraiment les bons indicateurs pour répondre à cette question. Je pense que cela évolue selon le type de chantiers et selon l'importance de la demande. Il y a plusieurs types de sous-traitance.

Pour la sous-traitance de capacité, vous n'arrivez pas à faire face à votre propre production, donc vous demandez à des collègues qui ont la même compétence que vous d'assumer une partie de vos travaux.
Vous avez également la sous-traitance de spécificité, lorsque vous ne savez pas faire quelque chose qui est demandé à votre marché. Aujourd'hui, certains maîtres d'ouvrage ont du mal à trouver des corps d'état spécifiques, je pense à la serrurerie, et ils ont tendance à grouper ce genre de corps d'état avec les menuisiers. Ces derniers se retrouvent avec une partie de serrurerie à faire dans leur lot, ils ne savent pas faire, et ils sous-traitent.

Et puis vous avez la sous-traitance qui, j'espère, diminue, c'est celle du prix, c'est à dire, que vous avez traité à un mauvais prix et vous ne savez pas comment faire pour assumez à l'intérieur de votre prix de revient cette prestation, et vous cherchez un collègue qui a moins de travail que vous qui va être en mesure de le faire pour le prix que vous souhaitez.
Ce que l'on sait, c'est qu'en matière de délivrance de marchés, aujourd'hui les entreprises générales régressent d'une façon globale. Ainsi, on peut penser que si l'entreprise générale - qui est généralement une grande pourvoyeuse de sous-traitance - est en diminution, la sous-traitance diminue.

A quels facteurs, pensez-vous ce que soit lié ?

Je pense qu'il y a eu des pressions de la part des entreprises de second oeuvre. Dans certains cas, elles ont du mal à remettre des prix corrects à leurs donneurs d'ordres, ce qui a poussé certains maîtres d'ouvrages publics à diminuer le nombre de marchés en entreprise générale.

D'après vous, les artisans sous-traitent beaucoup ou laissent passer des marchés ?

A ma connaissance, peu d'artisans ont cette démarche de sous-traiter leurs propres travaux. Je pense que quand ils prennent un marché, c'est qu'ils sont en mesure de la faire eux-mêmes. Je pense donc que cette pratique est très rare.

Pensez-vous que la reprise de l'activité ait changé les comportements des entreprises en matière de sous-traitance ?

Oui. Forcément, puisque les carnets de commandes des entreprises sont assez chargés et ques les plannings sont certainement très difficiles à tenir. Certains corps d'état sont aujourd'hui, en capacité, prêts à exploser (je pense notamment à la maçonnerie). Il y a donc beaucoup de retard sur les plannings de chantiers et on se retrouve souvent dans l'obligation de réaliser des travaux sans vraiment les avoir prévus. C'est donc à ce moment-là que vous cherchez partout des collègues qui eux, peuvent réaliser ces travaux à votre place. Mais globalement, c'est plutôt valable pour les grandes entreprises.

Que pensez-vous de la loi de 1975 ?

En matière de protection du sous-traitant, elle a été une loi extrêmement intéressante. On peut dire qu'elle a protégé énormément d'entreprises. C'est une loi qui a fait sortir la sous-traitance des ténèbres : l'obligation de faire accepter son sous-traitant, la responsabilisation de la maîtrise d'ouvrage en matière de marchés privés dans le non-paiement des sous-traitants, etc. Tout cela a eu un impact considérable sur les entreprises. Mais comme toute loi, elle a vieilli. C'est vrai que l'on sentait que le gouvernement avait envie de toiletter cette loi. Mais on était loin d'imaginer qu'il allait le faire au pas de charge.

Pensez-vous que les modifications à la loi de 1975 prévues dans la loi MURCEF soient de nature à assainir la sous-traitance ?

Cette loi est retournée aujourd'hui à l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Donc rien n'est encore acquis. On a vu que lors de la première lecture, le Sénat a apporté pas mal de modifications. L'Assemblée nationale en rajoute en deuxième lecture. Nous restons donc très attentifs à ce qui se passe, à la manière dont les choses peuvent évoluer.

Des idées sont intéressantes, telle que la désignation des sous-traitants. En matière de marchés publics, le sous-traitant devrait être désigné, enfin, pas le sous-traitant auquel il va faire appel, mais un des sous-traitants, en termes de nom. C'est à dire que l'entreprise principale sera obligée de donner plusieurs noms, ce qui est un progrès intéressant, tout en ayant la possibilité de désigner les sous-traitants en cours d'exécution. C'est un bon point.

Un point me semble beaucoup moins intéressant. C'est le paiement des sous-traitants des rangs N et quelque chose. La loi prévoit le paiement direct pour les sous-traitants titulaires du marché (de rang 1). Par la suite, j'ai peur que le système envisagé, c'est à dire le cautionnement ou la délégation de paiement soit très difficile à mettre en oeuvre. A ce moment-là, à mon avis, on va faire entrer dans l'ombre beaucoup de sous-traitants.

Parce qu'une entreprise qui sous-traite va devoir fournir une caution, une délégation de paiement dont on ne sait pas aujourd'hui comment on est en mesure de la faire fonctionner, et parce qu'il y a beaucoup de zones d'ombre... je suis pas vraiment persuadé que ce soit une bonne chose. Nous avons toujours milité pour que tous les sous-traitants, quel que soit leur rang, soient payés directement par la maîtrise d'ouvrage.

L'administration a préféré partir vers une facilité en limitant au premier rang. C'est une facilité qui risque de coûter très cher à beaucoup d'entreprises dans l'avenir. C'est vrai que ce n'est pas évident, parce que quand la maîtrise d'ouvrage se retrouve avec un grand nombre de sous traitants en cascade. Ceci dit c'est extrêmement rare. On est plutôt dans la configuration de sous-traitant de rang N+2 ou N+3.

Le seul point positif qui se dégage est qu'on a pu impliquer le maître d'ouvrage public dans la surveillance de la délivrance de la caution. C'est un excellent point qui permettra de mettre la pression sur le maître d'ouvrage et qui l'incitera à connaître les sous-traitants qui interviennent sur le marché. Car s'il y a un crash, on pourra l'appeler en responsabilité.
L'administration n'a pas voulu se donner les moyens d'une réflexion, d'une étude longue.

Ce point précis du paiement nous chagrine. Et on est en train d'éviter, j'espère, la fourniture de la caution lorsque le sous-traitant veut être payé. Dans un projet développé en première lecture, il était question que le sous-traitant qui sous-traitait remettait une caution et devait justifier de la remise de cette caution. Les sous-traitants n'auraient jamais pu remettre cette caution en tant et en heure. Quand vous voyez aujourd'hui, le nombre d'entreprises dites importantes qui n'arrivent pas à fournir la caution à leurs sous-traitants dans les marchés privés, c'est impressionnant. Il n'y a guère que les majors qui le font. Toutes les autres entreprises de moyenne importance passent soit par la délégation de paiement, soit ne respectent pas la loi de 1975. Je n'y crois pas du tout. Ce qui va se passer, c'est qu'on va avoir tendance à laisser les sous-traitants dans l'ombre en disant, " comme ce n'est pas possible de leur donner une caution, on les fait quand même travailler et on ne dit rien. "

Quel est le calendrier de ce projet de réforme ?

Ce projet de réforme nous est tombé un peu sur le nez. C'était parti sur les chapeaux de roues et on devait boucler le sujet à la fin juin. Or, on va se retrouver à l'automne et ce projet sera sans doute voté au mois d'octobre. On verra s'il n'y a pas de nouveau décalage.

La loi sur la réduction du temps de travail ont-elles eu des conséquences sur la sous-traitance ?

Oui, c'est possible, parce que l'on réduit nos capacités de production, donc forcément, nous avons tendance à vouloir dégager chez des confrères. Du moins, pour les entreprises qui ont pu prendre des marchés lorsqu'ils étaient à 39 heures et qui se trouvent actuellement à 35 heures. Cela concerne plutôt les entreprises déjà passées aux 35 heures, donc plutôt les PME.

Quels conseils peut-on donner aux entreprises artisanales susceptibles d'intervenir en tant que sous-traitantes ?

Il faut qu'ils se fassent connaître. La première action que doit avoir un sous-traitant qui intervient sur un chantier est de dire au maître d'ouvrage " bonjour, je suis là ". C'est la meilleure des garanties pour lui. Un sous-traitant qui joue incognito prend de grands risques. La loi prévoit qu'il appartient à l'entrepreneur principal de faire accepter son sous-traitant. Le problème, c'est que bien souvent, l'entreprise principale ne le fait pas et le sous-traitant laisse courir. S'il sent qu'il y a un souci sur le chantier ou qu'il risque d'avoir un problème avec son donneur d'ordre, la meilleure défense est de se faire connaître sur le chantier, d'envoyer un courrier au maître d'ouvrage.

Ce n'est pas pour autant qu'il sera agréé, mais cela impliquera la maîtrise d'ouvrage d'intervenir auprès de l'entreprise principale pour lui dire " attention, vous avez un sous-traitant. Donnez-moi une demande d'acceptation ". Et à ce moment-là, sa responsabilité est mise en oeuvre. Cette position n'est pas toujours évidente pour les sous-traitants parce qu'ils montent au créneau contre leur donneur d'ordre. C'est un moindre mal.

En fait, tout est une question de relation avec son client. Si l'artisan a un doute, il vaut mieux qu'il se manifeste auprès de la maîtrise d'ouvrage, même s'il risque de perdre son client à l'avenir. Cela étant, s'il a un doute, il vaut mieux qu'il ne prenne pas le chantier.

En ce qui concerne la maison individuelle, on sait que les artisans interviennent souvent sur ces chantiers. Or, la volonté des constructeurs de maison individuelle est de ne pas mettre en avant leurs sous-traitants, essentiellement pour une question d'image. L'artisan qui est payé de manière moins régulière, il a donc intérêt à se faire connaître et à être toujours être en alerte.

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