BIODIVERSITÉ. "Il faut intégrer les compétences en biodiversité et en écologie urbaine à tous les niveaux de la fabrication urbaine", défend Marc Barra, écologue, lors d'une conférence d'Envirobat grand Est. La présence de professionnels de la nature dans tous les projets, du diagnostic environnemental à la conception des bâtiments, est "indispensable" pour ne pas répéter certaines expériences "catastrophiques".
Dans le cadre d'une conférence organisée le 8 avril par Envirobat Grand Est et consacrée à la biodiversité et le cadre bâti, Marc Barra, écologue, chargé de mission économie et biodiversité à l'Agence régionale de la biodiversité d'Île de France, auteur du guide "Bâtir en favorisant la biodiversité", a distillé conseils et préconisations aux aménageurs, promoteurs et architectes. Avec un message clé : "il faut intégrer les compétences en biodiversité et en écologie urbaine à tous les niveaux de la fabrication urbaine".
Même lorsque, en accord avec le principe du Zéro artificialisation nette (Zan), on construit en renouvellement urbain plutôt qu'en extension urbaine, on peut altérer la biodiversité, explique l'écologue : le défi est donc de "densifier sans perdre de nature". Et pour cela, conserver le maximum d'espaces naturels et de pleine terre existants. "Les études montrent qu'il faut 1 à 4,4 hectares de nature dans la ville pour accueillir la biodiversité de base dans la ville. Mais cette exigence de surface naturelle ne suffit pas : il faut également organiser la connexion entre les différents espaces naturels. Au-delà de 300 mètres, par exemple, on considère que celle-ci est rompue." Parmi les autres composantes d'un espace naturel riche en biodiversité : la diversité des sols, des plantes, leur caractère local… Des dimensions à prendre en compte bien avant l'arrivée des bulldozers.
Diagnostic environnemental "indispensable"
"La biodiversité, ce n'est pas faire des espaces verts", se plaît à rappeler Marc Barra : "tout ce qui est horticole, ornemental, n'est pas la nature", et a donc assez peu d'intérêt d'un point de vue écologique. Sans compter que "la création et l'entretien d'un gazon, par exemple, sont fortement émetteurs de CO2". La friche naturelle est "bien plus utile à la biodiversité", et, lorsque cette option n'est pas disponible, "le génie écologique, qui consiste à mimer les milieux naturels dans l'espace urbain, et qui demande donc un peu plus de travail que le simple 'laisser faire la nature', fonctionne très bien".
Reste à savoir où et comment, dans un projet urbain, mettre en place ces dispositifs à même de favoriser la biodiversité. C'est là que le diagnostic écologique s'avère "indispensable". Celui-ci consistera à minima : à faire des inventaires écologiques sur et autour de la zone de projet, à cataloguer les pollutions existantes, à analyser les continuités écologiques et les conditions environnementales (ensoleillement, vent, etc., une dimension aujourd'hui acquise), et enfin à procéder à une enquête sociologique permettant de connaître la relation des populations sur place aux espaces naturels dans le périmètre du projet.
Qualité des sols et cycle de l'eau
Ce diagnostic permettra donc, notamment, de connaître les sols. "Une chose qui n'est pas dans les habitudes aujourd'hui. Or, c'est indispensable pour savoir lesquels conserver et lesquels remplacer, lorsque c'est nécessaire". Le but étant, répète Marc Barra, "de conserver le maximum de pleine terre". Mais aussi "le maximum d'arbres existants". "J'ai fait le tour des écoquartiers. Pratiquement aucun n'a de vieux arbres", se lamente Marc Barra. Pourtant, "protéger la biodiversité, ce n'est pas tout couper, même pour replanter plus", car ce qui est perdu mettra des années à se régénérer.
Le cycle de l'eau est également un élément fondamental qui "doit être un élément de référence dans le projet". "En zone humide comme ailleurs", précise Marc Barra, qui se satisfait de ce que "la désimperméabilisation fait son chemin dans les villes". La raison ? "Les solutions fondées sur la nature sont beaucoup moins coûteuses : nous avons comparé, dans le cadre d'une étude, plusieurs solutions de gestion d'une certaine quantité d'eaux de pluie. L'installation de cuves enterrées revient à 583€/m3 ; la création de noues paysagères très travaillées à 231€/m3 ; et enfin, à seulement 75€/m3 pour une noue naturelle". Des solutions naturelles également "moins couteuses en gestion". C'est pour cela que l'Agence de l'eau Seine-Normandie, par exemple, subventionne les aménageurs pour "chaque mètre carré de surface déconnecté du réseau d'assainissement".
"Les toitures végétalisées ne devraient pas se ressembler à Lille et à Marseille"
Du quartier au cadre bâti
Si les choix d'aménagement à l'échelle du quartier ont leur importance, les caractéristiques du bâti ont également un impact majeur. Ce qui fait dire à Marc Barra que "l'architecte a aussi une responsabilité". "Un building en verre, haut et à la surface lisse, va provoquer des collisions lors des migrations d'oiseaux et les empêcher nicher ou se reposer". Avec à la clé l'effondrement constaté du nombre d'oiseaux dans les pays occidentaux ces dernières décennies. Il existe pourtant des solutions, telles que rainures sur les vitres, végétalisation des façades et toits… Marc Barra enjoint donc les concepteurs à "s'appuyer sur les connaissances des naturalistes" afin de ne pas faire "n'importe quoi", même lorsque la bonne volonté est là.
Et l'écologue de citer quelques "exemples catastrophiques", de façades avec nichoirs où "aucun oiseau n'ira jamais nicher" car mal placés, de toitures végétalisées au bilan environnemental très mauvais car "truffées d'aluminium, de feutres, de bacs plastiques, ou avec des besoins en eau énormes", là où certaines solutions "low-tech" rempliraient parfaitement leurs rôles bioclimatique et en faveur de la biodiversité. Pour l'écologue, "les toitures végétalisées ne devraient pas se ressembler à Lille et à Marseille". "Les solutions existent", insiste Marc Barra : du quartier au bâtiment, de nombreux ouvrages, études, retours d'expériences sont disponibles. Aux acteurs de la fabrication de la ville de s'en emparer.