REPORTAGE. Depuis le drame de la rue d'Aubagne à Marseille, le fléau de l'habitat indigne semble avoir suscité un électrochoc au niveau de l'Etat, tout comme en Seine-Saint-Denis, où se concentre cette problématique. Une prise de conscience qui s'est faite ressentir dans le quotidien du service d'hygiène et de salubrité de la ville de Pierrefitte-sur-Seine.

"Entre ceux qui pleurent et ceux qui sourient, on ne fait pas de différence", lance fermement Thomas Salmon, directeur du développement urbain, au détour d'une conversation téléphonique. L'adage vaut également pour la lutte contre l'habitat indigne, qui anime quotidiennement la commune de Pierrefitte-sur-Seine.

 

Nichée entre Saint-Denis et Stains, la ville de Pierrefitte-sur-Seine a récemment pris la lumière lorsque les ministres de la Justice et du Logement ont décidé d'en faire une estrade pour dévoiler leur nouvel arsenal contre l'habitat indigne.

 

Mais pour Thomas Salmon, qui officie depuis 3 ans à Pierrefitte, c'est bien la date du 5 novembre qui a marqué au fer rouge la lutte contre l'habitat indigne. Au lendemain de l'effondrement de deux immeubles à la rue d'Aubagne à Marseille, l'urbaniste assiste à un "véritable big bang, notamment auprès des élus", sur la question de l'habitat indigne.

 

"Mauvais gestionnaire"

 

Ces dernières semaines, la mairie a dépêché les 3 inspecteurs de son service hygiène et salubrité dans le Petit Pierrefitte. Entre petites maisons ouvrières et constructions d'entre-deux-guerres, quatre bâtiments qui traversent une avenue centrale sont dans le collimateur de la municipalité.

 

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Habitat indigne - Pierrefitte-sur-Seine © LT pour Batiactu

 

Dans l'un des immeubles, évacué le 16 avril dernier, une façade peut en cacher une autre. Côté rue, un mur défraichi tranche avec l'aspect très dégradé de sa partie arrière, vue depuis une rue perpendiculaire. "On est devant le cas du très mauvais gestionnaire qui n'entretient rien, pas même le minimum", relate Thomas Salmon tout en décrivant les multiples portraits du marchand de sommeil. Du plus extrême, "celui qui loue des minutes de sommeil dans un lit", au plus inattendu des "retraités qui peinent à joindre les deux bouts et louent leur cabanon ou cave".

 

Sur le portail bâché de l'immeuble verrouillé, une enfilade de documents placardée fait foi de l'arrêté de péril imminent qui pèse désormais sur l'édifice. Principaux motifs de l'évacuation : une "surcharge des planchers" et de "nombreuses infiltrations structurelles".

 

Au-delà du vocabulaire jargonneux, cet arrêté était surtout évitable pour le coordinateur du pôle de développement urbain qui ne cache pas son agacement. "Tout est parti de la gouttière où se sont accumulés les détritus", peste-t-il, tête levée vers l'ouvrage où la nature a repris ses droits depuis quelques temps. "Le paradoxe, c'est que le propriétaire se targue de repeindre les murs à chaque relocation alors qu'ils sont gorgés d'eau depuis que la gouttière est bouchée", s'étouffe Thomas Salmon.

 

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Habitat indigne - Pierrefitte-sur-Seine © LT pour Batiactu

 

Astreintes

 

Venu prouver l'avancement des travaux d'urgence, Mr.B qui possède le bâtiment et ses dix logements depuis 15 ans déplore, presque candide : "c'est la flotte qui a tué cet immeuble". Au vu de l'étendue des travaux, on devine que la rénovation est un exercice auquel le propriétaire a peu goûté. Entre la cave et le rez-de-chaussée soutenus par des étais, il se lamente auprès de son interlocuteur à la mairie, quant à la facture finale de ces travaux qui lui "font perdre de l'argent".

 

Mais la note aurait pu être bien plus salée. Dès lors que des travaux d'urgence ne sont pas réalisés dans les temps, la mairie, l'intercommunalité ou la préfecture peuvent imposer des astreintes journalières aux propriétaires. S'étonnant de la réactivité de Mr.B à lancer la réhabilitation de son immeuble, Thomas Salmon appuie "le succès par A+B de la menace des astreintes".

 

Pour le directeur du développement urbain, le langage qui prévaut est celui du "bâton et de la carotte, surtout quant il faut taper au portefeuille", reprenant l'antienne du ministre du Logement lorsqu'il évoque la lutte contre les marchands de sommeil.

 

Le permis de louer, arme discrète contre les marchands de sommeil

 

Le propriétaire, lui, n'est pas encore au bout de son chantier. Avant de pouvoir réintégrer les anciens locataires ou de signer de nouveaux baux, il aura à se frotter au permis de louer. Créé par la loi Alur, cet outil de repérage des logements avant leur mise en location s'est répandu comme une trainée de poudre dans les communes de Seine-Saint-Denis, Pierrefitte en tête de peloton.

 

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Un inspecteur de la mairie de Pierrefitte-sur-Seine en visite de terrain. © LT pour Batiactu

 

Mais la ville pionnière, qui a appliqué le dispositif en octobre 2017, n'a pas trop souhaité colporter la nouvelle car elle voit dans le permis de louer une arme discrète pour le repérage des logements indignes. Pour une location signée après l'entrée en vigueur du dispositif, l'amende s'élève à 5.000 euros, et se voit triplée en cas de récidive. Loin derrière ses voisines Saint-Denis ou Aubervilliers, Pierrefitte enregistre à ce jour 40 demandes de permis de louer (dont 10 refus et 3 signalements), et pourrait "certainement" être la ville "d'où sortira la première amende", se félicite Thomas Salmon.

 

Si la chasse aux marchands de sommeil fait rage, le temps le plus complexe de la résorption de l'habitat indigne est bien celui du relogement. "Parfois, on n'en dort pas pendant des semaines", confie le chef du développement urbain de Pierrefitte-sur-Seine, où seulement 50 logements sociaux sont attribués chaque année, contre 7.000 demandes en moyenne.

 

 

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