INNOVATION. Les chiffres révélés par l'Inpi dans la foulée de ceux publiés par l'Office européen des brevets, prouvent que le secteur du bâtiment et des travaux publics n'est pas un moteur de la recherche en France. Alors que d'autres secteurs déposent des milliers de dossiers, le "génie civil" qui regroupe les activités du BTP, ne représente que 7 % de l'innovation nationale. Décryptage.
Les chiffres sont clairs : sur presque 15.000 brevets publiés par l'Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi) en 2017, seuls 1.053 portent sur le "génie civil", soit 7 % du total. Cette catégorie artificielle, définie par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), est pourtant particulièrement large puisqu'elle regroupe le bâtiment, l'hydraulique, les fondations, le terrassement, les routes et voies ferrées, les ponts, l'adduction et l'évacuation des eaux, ainsi que tout le secteur des menuiseries et quincailleries (portes, fenêtres, volets, stores, serrures). Et malgré un scope immense, les grands acteurs du BTP sont étrangement absents.
Où sont les majors ?
Bien sûr, le groupe Saint-Gobain trône toujours en tête, puisqu'il se classe 17e déposant de brevets au niveau national cette année (+1 place) avec 139 dossiers. Et, comme les années précédentes, il devance Schneider Electric, qui pointe à la 24e position (-4 places) avec 68 brevets. L'Inpi signale que groupes d'envergure mondiale, ne déposent d'ailleurs que moins de 30 % de ces dossiers auprès de l'institut français et que le reste des demandes est effectué chez d'autres instances internationales équivalentes (DPMA en Allemagne, USPTO aux Etats-Unis, OEB en Europe ou OMPI). En s'en tenant à cette dimension mondiale, alors le groupe Legrand pourrait également figurer en bonne place, puisque le spécialiste des installations électriques a déposé 63 % de ses 73 brevets à l'étranger (en 2016). Du côté des experts de la domotique, Somfy se défend bien, avec 37 brevets enregistrés auprès de l'Inpi. Il se place même à la 37e place du tableau (+3 places), et devance Bubendorff (11 brevets).
Dans le secteur "Génie civil" pur, Soletanche-Freyssinet (groupe Vinci) apparaît être le seul à avoir déposé au moins 5 publications auprès de l'Inpi en 2017 avec une douzaine de demandes. L'immense groupe Lafarge, pourtant numéro un mondial du ciment depuis son mariage avec Holcim, n'aurait déposé que 8 dossiers en 2017 dans le domaine. Dans le zoom effectué par l'Inpi apparaissent également KP1 (béton préfabriqué) et Sateco (banches), avec cinq publications chacun. Deux autres sociétés émergent : Souchier (aération) et KSM Production (portails aluminium). Mais aucun grand groupe ne figure dans les tablettes de la propriété intellectuelle : ni Colas, expert des travaux routiers et ferroviaires, ni Eiffage, spécialiste de la construction métallique… Interrogé, l'Inpi nous répond : "Le nombre de publications est effectivement inférieur à 5 dans le domaine 'Génie civil' pour Colas Rail, Colas SA, Eiffage, Bouygues, le CSTB, l'Ifsttar, le Cerema. Bouygues est présent dans d'autres domaines, relevant par exemple de l'électricité ou de l'optique, et Eiffage en chimie et en génie mécanique".
De l'innovation qui est faite dans d'autres secteurs
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Plus étonnant encore, la forte présence d'entreprises extérieures à la construction, qu'il s'agisse d'infrastructures ou de bâtiment. Le groupe PSA-Faurecia, Renault ou Valeo (le premier déposant français avec 1.110 brevets en 2017 !) font des incursions dans le "Génie civil" avec plusieurs dizaines de demandes chacun. Là encore, les experts de l'Inpi ont une explication : "Il s'agit de brevets concernant en particulier les dispositifs de verrouillage, charnières et serrures adaptées aux véhicules pour PSA, Renault ou Valeo, et de fermetures fixes ou mobiles pour Delphia". Certains géants de l'énergie comme Halliburton ou Total apparaissent également assez actifs dans ce secteur, avec l'innovation liée aux travaux d'exploration et d'exploitation pétrolière.
Comme le révélait déjà le classement de l'Office européen des brevets, le secteur de la construction à proprement parler est donc loin d'être le plus innovant. La véritable innovation se situe désormais dans les systèmes numériques de modélisation ou de pilotage des bâtiments : ce que les économistes nomment la 4e révolution industrielle. Autre tendance, celle qui consiste à investir dans des startup qui ont déjà effectué des recherches sur des nouvelles technologies et déposé des brevets en nom propre.