RÉACTIONS. Quelques jours après l'annonce subite de la diminution immédiate des aides de l'Anah pour "Habiter mieux agilité", les délégataires en certificats d'économie d'énergie (CEE) se montrent plutôt compréhensifs.
"La décision de l'Anah est compréhensible au regard de la nécessité de lutter contre la surfacturation des travaux liée au cumul des aides." C'est le groupement des professionnels des certificats d'économie d'énergie (GPCEE) qui l'affirme auprès de Batiactu, une semaine après l'annonce inattendue de l'Anah : le plafonnement des aides "Habiter mieux agilité" est drastiquement réduit à effet immédiat (de 20.000 à 8.000 euros). Les pouvoirs publics affirment en effet avoir observé des augmentations déraisonnables de tarifs, notamment pour les pompes à chaleur (Pac) air-eau. Il s'est alors agi de mettre un coup de frein pour éviter la surchauffe.
"Certaines offres vont devenir impossibles" à monter
Le GPCEE insiste toutefois sur l'importance d'offrir de la visibilité aux professionnels afin que les filières aient le temps de se structurer - ce qui n'est pas le cas ici, puisque le mécanisme qui vient d'être amputé existe tout juste depuis janvier dernier. Et appelle à maintenir les offres à 1 euro, "un reste à charge de quelques centaines d'euros étant déjà trop élevé pour les ménages en situation de précarité énergétique". Nicolas Moulin, fondateur du délégataire en CEE Vos travaux éco, souhaite lui aussi qu'une visibilité à moyen terme soit assurée. Mais ne se dit pas surpris par l'annonce de l'Anah. "Elle répond aux abus qui ont pu être constatés ici ou là", explique-t-il à Batiactu. Entre l'envie de massifier les actions de rénovation, et le risque de voir se multiplier les fraudes, "c'est le 'stop and go' permanent", note-t-il. "Mais il est clair que cette diminution des plafonds rend certaines offres moins intéressantes, voire impossibles à monter."
Les pouvoirs publics veulent prioriser les ménages précaires, mais ils mettent en danger les offres à un euro, ce qui peut sembler paradoxal. "La filière ne pourra pas absorber le delta après cet abaissement des plafonds, et il y a un risque de coup de frein important en 2020", continue Nicolas Moulin. Celui qui avait été parmi les premiers à alerter sur les fraudes aux CEE, ne se montre pourtant pas tant attaché que cela aux offres à 1 euro. "Cela a tout d'abord le défaut de créer des effets d'aubaine. Pour les plus précaires, il faut probablement un reste à charge nul ou quasi-nul. Mais pour les ménages qui ont davantage de moyens, pourquoi ne pas maintenir un reste à charge de quelques centaines d'euros ? Au moins, il y a un acte commercial, de la concurrence... Choisir la gratuité, c'est prendre le risque de dévaloriser les travaux." Il regrette également le fait que certains artisans installateurs tirent de ces opérations des marges anormalement hautes, "parce que les primes énergies ont doublé" du fait du cours élevé du CEE. "L'Anah veut canaliser et n'a pas tout à fait tort !"
"J'ai eu un mois de septembre hallucinant"
Une chose est sûre, ces offres à 1 euro ont le pouvoir de déclencher un nombre d'opérations défiant la commune mesure. D'où leur intérêt mais aussi leur faiblesse. "J'ai eu un mois de septembre hallucinant", reconnaît Nicolas Moulin. Les prises de commandes actuelles ont pu jouer dans la réaction de l'Anah, qui voit arriver la dynamique et les montants potentiels en jeu. "Mais peut-être qu'il faudrait faire moins d'opérations, pour plus de qualité ? J'avoue avoir par exemple un doute sur la qualité de certaines pompes à chaleur à un euro qui vont être installées."
Quant à évaluer les conséquences de cette décision sur l'avenir du marché, le GPCEE se déclare sur le qui-vive. "Nous appelons de nos vœux une montée en gamme de tous les acteurs de la filière de la rénovation énergétique, y compris les fabricants et les artisans, afin de pouvoir garantir des prestations de qualité au meilleur prix."
La Fédération Soliha demande des compensations
Pour la fédération qui aide les ménages modestes à l'amélioration de leur habitat, la revue à la baisse du programme Habiter mieux agilité aura un "impact considérable pour des milliers d'entre eux". "Cela va induire pour ces ménages une perte moyenne de 2.000 euros, perte pouvant s'élever, en cas de travaux significatifs, jusqu'à 6.000 euros", craint Soliha dans un communiqué. Son vice-président Christian Nicol estime que l'Anah aurait eu les moyens de répondre à toutes les demandes, si l'intégralité du produit de la vente des quotas carbone était reversée à l'Agence nationale de l'habitat, un souhait réitéré par Soliha dans son communiqué. Cela constituerait, selon elle, une recette totale de 920 millions d'euros "qui pourrait également être très utilement mobilisée vers le parc locatif privé, angle mort actuel de la politique du logement".
Contacté par Batiactu, le Syndicat des énergies renouvelables (Ser) voit dans cette décision la preuve que "l'Anah n'a plus les moyens de financer le dispositif sur les mois restants de l'année", comme l'analyse Alexandre Roesch, son délégué général. "Ceci ne fait que renforcer le message que l'on portait, à savoir que les moyens de l'Anah doivent être renforcés d'ici janvier prochain pour assurer le transformation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en prime."