À NE PAS MANQUER. Qui était Iannis Xenakis ? Compositeur de musique contemporaine, mais aussi architecte, ingénieur et féru de mathématiques comme d'informatique, celui qui invitait à vivre "l'inouï", était à la fois un et multiple. L'exposition "Révolutions Xenakis" au Musée de la Musique, nous révèle l'homme Xenakis, entre ses traits.
Court-circuit. Lumière stroboscopique. Lignes et courbes. Son... non... musique ! Partir à la rencontre de Iannis Xenakis, c'est vivre une expérience multi-sensorielle, visuelle et sonore. Souvent, c'est le compositeur de musique contemporaine que l'on connaît, et encore. Plus de nom que sa musique ! Apanages de certains connaisseurs, souvent radicales et expérimentales dans leur approche, ses compositions et ses expériences proposées au public ont jusqu'à scandalisé les classiques radicaux, comme effrayé les oreilles sensibles. C'est pourquoi il est essentiel de se rendre à au Musée de la Musique de la Philharmonie de Paris, qui propose à l'occasion de son centenaire, une exposition intitulée "Révolutions Xenakis." Et ce, afin de découvrir l'homme, ses engagements et ses convictions, qui fut autant musicien qu'architecte, mais aussi ingénieur, fou de mathématiques et d'informatique.
"Nos choix ont été guidés par de grands principes : ne pas présenter Xenakis en tant qu'architecte puis compositeur, mais jamais l'un sans l'autre, toujours l'un avec l'autre", car le comprendre, c'est l'aborder dans son entièreté, rappelle Thierry Maniguet, co-commissaire de l'exposition. Et c'est notamment grâce à Mâkhi Xenakis, la fille de Iannis, qui s'est plongé dans les archives de son père pour en révéler toutes les facettes, que la magie opère. "Prônant les alliages entre arts et sciences, comme il les qualifiait lui-même, son œuvre musicale et architecturale est le reflet de ces différentes disciplines, fortes de dynamiques complémentaires," est-il ainsi rappelé dans la présentation de l'exposition.
"J'avais dix ans. Mes parents m'avaient emmené à l'Exposition universelle de 1958 à Bruxelles. […] Comme tous les enfants, j'étais impressionné par l'Atomium, excité par le téléphérique qui survolait le site de l'Expo, amusé par les bateleurs et les fanfares du quartier de la 'Belgique joyeuse'. Mais, en dépit de mon jeune âge, rien ne me fascina davantage que le pavillon Philips, oeuvre commune de Le Corbusier et de Iannis Xenakis. Je peux même dire, sans exagération, que cette visite me marqua à vie, qu'elle fut pour une bonne part à l'origine de ma vocation d'architecte et enfin qu'elle décida aussitôt et pour toujours de mon goût pour la musique contemporaine." Extrait de Dictionnaire amoureux de l'Architecture, Jean-Michel Wilmotte, Éditions Plon, 2016.
"Cette exposition s'appelle 'Révolutions', mais je l'appelle pour ma part 'Révélations', confie Jean-Michel Wilmotte, qui en signe la scénographie. L'architecte, urbaniste et designer a en effet une histoire personnelle avec Iannis Xenakis : la visite et le choc que lui procura le Pavillon Philips, œuvre architecturale réalisée avec Le Corbusier lors de l'exposition universelle de Bruxelles en 1958. Découverte alors qu'il n'est âgé que de 10 ans, elle "fut pour une bonne part à l'origine de [sa] vocation d'architecte" et décida de son goût pour la musique contemporaine, comme il le raconte dans son Dictionnaire Amoureux de l'Architecture (éditions Plon, 2016). De découverte en découverte, il lui rend ainsi la pareille, en proposant une scénographie qui lui rend un magnifique hommage.
Mathématiques et architecture
Nous cheminons donc dans la pensée de Iannis Xenakis, tout au long de six tableaux thématiques et chronologiques. De son amour de la Grèce, où il naît et y développe son amour de la philosophie, son engagement dans la résistance pendant la seconde guerre mondiale et ses blessures, jusqu'à ses œuvres contemporaines. Nous passons ainsi par ses débuts d'architecte aux côtés de Le Corbusier, avec qui il réalise le fameux Pavillon Philips, dont l'imposante maquette nous accueille (voir diaporama). Nous découvrons aussi ses "Polytopes" : œuvres architecturales musicales et sensorielles, où Xenakis s'empare d'un espace dans toutes ses dimensions pour créer des expériences uniques. Après celui de Montréal, réalisé pour l'exposition universelle de 1967, il crée celui de Cluny, à Paris, puis le Diatope de Beaubourg, conçu pour l'inauguration du Centre Pompidou en 1978 (voir encadré). Son travail immense sur l'appréhension de l'espace et de la spatialité, se traduit en de multiples dessins et partitions aux formes géométriques, avant que ne se dévoilent également son amour des machines et de l'informatique. Autant de témoignages de ses "alliages", où les mathématiques, qui ne sont jamais absentes de ses œuvres, se font dessins, architecture ou musique...
Le projet de Ville Cosmique
En 1963, Iannis Xenakis travaille sur un projet inédit : une Ville Cosmique, utopique cité du futur. "Cette ville fantasmée, imaginant des immeubles de 5 km de haut, partait du constat que nos villes prennent trop d'emprise sur la nature, explique le co-commissaire de l'exposition, Thierry Maniguet. Xenakis imagine tout, présente de multiples calculs, du nombre d'habitants jusqu'au poids du béton utilisé. Une modernité qui résonne avec les préoccupations écologiques d'aujourd'hui."
Tandis que nous déambulons, trois installations sonores, "des courts-circuits", nous rappellent enfin que c'est aussi une exposition qui se vit et s'écoute, à découvrir au Musée de la Musique (Philharmonie de Paris) jusqu'au 26 juin 2022.
Découvrez quelques images des oeuvres architecturales de Iannis Xenakis en pages suivantes.
À lire :- Le catalogue de l'exposition Révolutions Xenakis, sous la direction de Makis Solomos, publié en coédition avec les Editions de l'œil et le Musée de la Musique - Philharmonie de Paris, 320 pages, 35€.
- Iannis Xenakis, un père bouleversant, Mâkhi Xenakis, Actes Sud, 2015, réédité pour l'occasion enrichi d'une postface : "J'aimerais partager ce voyage extraordinaire que j'ai pu vivre à la fois dans le temps et dans sa pensée, grâce à la lecture de ses manuscrits qui dévoilent comment en quelques années il a réussi à contrôler le chaos de ses émotions grâce à l'élaboration d'une musique et d'une architecture nouvelle." Mâkhi Xenakis
Iannis Xénakis, l'architecte musicien de l'Atelier de Le Corbusier
Iannis Xenakis est ingénieur polytechnicien, grand connaisseur du béton armé et de sa résistance, sur lesquels il a fait son mémoire de fin d'études. L'exposition rappelle ainsi qu'il a passé douze ans dans l'atelier de l'architecte Le Corbusier. C'est ainsi que l'on doit à Xenakis une grande partie du Couvent de la Tourette, notamment ses fameux pans de verre ondulatoires en façade (voir diaporama). Il collabore aussi à plusieurs oeuvres phares, comme Chandigarh, Firminy, ou encore les unités d'habitation de Marseille ou de Rézé. En 1958, c'est au tour du Pavillon Philips de marquer les esprits. Lors de l'exposition universelle de Bruxelles, la société Philips, souhaitant mettre en valeur son savoir-faire dans le domaine de la lumière et du son, sollicite en effet Le Corbusier. Ce dernier propose un "Poème électronique", alliant architecture, musique et cinéma. Xenakis s'occupe du projet architectural du bâtiment et s'inspire pour ce faire, du manuscrit graphique de son œuvre musicale Metastasis (et oui, il est déjà compositeur !) : un "paraboloïde hyperbolique" - les mathématiques sont toujours là - composé de coques minces en béton dans lequel il imagine des "chemins du son." En parallèle, il compose également une pièce spacialisée "Concret PH" qui sert d'interlude au sein du spectacle d'images et de lumières réalisé par Le Corbusier, sur une musique confiée à Edgard Varèse. Près d'1,5 million de visiteurs sont conquis.