«C'est beau, la campagne russe, non'», lance ironiquement Sergueï, en montrant le chantier de construction abandonné où il a investi dans un appartement imaginaire. Sergueï est l'une des dizaines de milliers de victimes d'escroqueries immobilières en Russie.

Le président Vladimir Poutine a lancé, à grand renfort de publicité à l'automne dernier, un grand projet national sur le logement. Objectif: créer une classe moyenne de propriétaires fonciers, alors que seule une minorité de familles russes ont les moyens aujourd'hui d'acheter un appartement.

Mais de l'aveu même des autorités, il faut être téméraire pour s'aventurer sur le marché immobilier, où les escroqueries, très fréquentes au début des années 1990 dans la foulée de la chute de l'URSS, font à nouveau parler d'elles. «Les citoyens sont mal protégés contre la fraude», peut-on lire sur le site officiel consacré au logement.
En 2003, Sergueï a déniché un «petit coin de paradis» à dix kilomètres au sud de Moscou et acheté comptant un deux-pièces de 38.000 dollars avant même qu'il ne soit construit.
Le logement est en crise, ce sont donc les promoteurs immobiliers qui dictent les règles du jeu alors que les prix de l'immobilier flambent à Moscou. Le projet prévoyait huit immeubles, deux écoles, un centre commercial et un complexe sportif. Mais en 2004, la construction s'est arrêtée.

L'appartement de Sergueï, vendu deux fois, n'existe que sur le papier car son immeuble n'a jamais dépassé le 2e étage. Et cette année, le promoteur s'est déclaré en faillite. Aujourd'hui, le chantier, partiellement pillé, est loin de la «maison du futur» promise dans la publicité. Et Sergueï n'a guère d'espoir d'emménager un jour, ni d'être indemnisé.
Le jeune consultant moscovite a donc décidé de consacrer son temps libre à la défense des victimes d'escroquerie immobilière et organise régulièrement des manifestations dans la capitale russe. Affirmant avoir été menacé, il préfère que son nom de famille ne soit pas publié.
Il faisait partie des quelques centaines de propriétaires dupés qui avaient planté leurs tentes la semaine dernière au pied du siège du gouvernement avant d'être dispersés.
«J'ai perdu tout mon argent et je suis à la rue» confiait parmi eux, la larme à l'oeil, Tatiana Kondratieva. Cette enseignante de 59 ans, qui a vendu son ancien appartement (dont elle était devenue propriétaire à la chute de l'URSS comme nombre de Russes) pour en acheter un neuf, «squatte» dans quatre endroits différents depuis deux ans.
Ilia et Tatiana Gaintz ont pris un crédit de 20.000 dollars à 18% pour acquérir un appartement «fantôme» dans la banlieue de Moscou. «Plus de 1.000 dollars par mois sont engloutis dans la location d'un autre appartement et le remboursement du crédit, merci Poutine!» lance Ilia.
D'après Sergueï, il y a trois types d'«arnaques».La première consiste à créer une fausse société immobilière, qui obtient un minimum d'autorisations en payant des bakchichs aux autorités locales, clôture un champ, y vend quelques dizaines d'appartements virtuels, puis disparaît. La seconde réside dans la double vente d'un appartement, une fois avant les travaux pour en financer la construction et une deuxième fois à la fin, à un prix bien plus élevé. Le premier «pigeon» ne recouvre jamais sa mise. La troisième manoeuvre consiste quant à elle à stopper artificiellement la construction pour réclamer sans cesse plus d'argent à l'acheteur.
Beaucoup de victimes de duperie accusent aussi les autorités locales, chargées de contrôler les différents stades de la construction, de ne pas remplir leurs obligations. Alexandre Ourmanov, porte-parole de la commission des lois au Parlement russe, juge la spéculation immobilière difficilement contrôlable à Moscou. «Ce qui se passe entre les bureaucrates et les constructeurs est parfois un mystère», reconnaît-il.



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