OPINION. C'est un sujet qui a déjà fait l'objet de débats houleux lors des discussions autour de la loi Elan : les contrats de conception-réalisation, aussi appelés "contrats globaux". Récemment, l'avocat spécialisé Cyrille Charbonneau a averti la profession sur le risque que, selon lui, fait peser la multiplication de ce type de contrats sur le secteur.
"Le principe de contrat de conception-réalisation (CR) est en train de tuer la construction en France." C'est le constat qu'a fait l'avocat Cyrille Charbonneau, du cabinet Aedes juridis, le 15 février 2019 lors d'une conférence organisée par l'association Justice construction. Il s'exprimait sur les enjeux et les risques juridiques liés à la maquette numérique. Estimant notamment que cet outil, basé sur l'idée de transversalité entre les acteurs, pourrait "sauver" le secteur face aux dangers des contrats globaux. Ceux-ci, pour rappel, ont récemment été encouragés par la loi Elan, votée fin 2018, un texte largement critiqué par les TPE/PME et les architectes.
Les propos de Cyrille Charbonneau rappellent ceux de Francis Soler, grand prix national de l'architecture, fin 2018 : "Il va falloir circonscrire les contrats en conception-construction qui sont un vrai massacre." Et résonnent également avec ceux de Renaud Marquié, délégué général du Syndicat national des entreprises de second œuvre (SNSO) : "La loi Elan est une attaque frontale contre les PME et les artisans", assurait-il l'an dernier. "S'attaquer à la loi Mop, ce n'est pas seulement s'attaquer aux architectes. Ce texte permet un point d'équilibre entre les différents acteurs de la construction."
"Ce n'est pas parce qu'on est un gros acteur qu'on est capable de penser des immeubles"
Pour rappel, les contrats de conception-réalisation visent à inclure l'entreprise de construction dès la phase conception, sous forme d'exception à la loi Mop - celle-ci prévoyant de distinguer le travail sur la conception de celui sur la réalisation. Originellement, deux motifs sont prévus pour avoir recours à la CR, comme nous l'expliquait récemment DS avocats : lorsque l'ouvrage présente une "technicité particulière" ou lorsque l'ouvrage a fait l'objet "d'un engagement contractuel d'amélioration de l'efficacité énergétique". Naturellement, ce type de contrats est dévolu aux gros acteurs du BTP, ayant assez de voilure pour intervenir en conception et en réalisation.
L'an dernier, la loi Elan a encouragé et élargi le recours à ce type de contrat, au grand dam des architectes (1). "Cette évolution se fera au détriment des architectes mais également des acteurs essentiels du milieu de la construction, les artisans et PME", concluait DS avocats.
La maquette doit-elle être gérée par la maîtrise d'œuvre ?
Les critiques formulées par l'avocat Cyrille Charbonneau viennent ainsi à la suite de ces débats pré-loi Elan. "Il faut arrêter de penser que parce qu'on est un très gros acteur, et qu'on sait couler du béton, on est capable de penser des immeubles", a-t-il asséné durant le colloque de Justice construction. "Cela n'est pas vrai. Et si on donne en plus au concepteur-réalisateur la maîtrise de la maquette numérique, jusqu'où irons-nous ? A ce rythme-là, le concepteur-réalisateur deviendra aussi maître d'ouvrage !"
Si la maquette numérique peut permettre de limiter cette 'prise de pouvoir' des contrats globaux, c'est parce qu'elle est fondée sur l'idée même d'un travail transversal, et qu'à ce titre, pour l'avocat, elle doit être en toute logique gérée par la maîtrise d'œuvre, "seul acteur du projet à avoir une vision globale". "La conception-réalisation ne devrait pas exister", assure-t-il même. "C'est une confusion des genres et de la temporalité d'une opération, une incohérence intellectuelle qui génère plus de difficultés qu'elle n'en résout."
Une maîtrise d'œuvre "dépecée"
Comment serait-il possible d'articuler un projet en CR avec la maquette numérique ? "En conception-réalisation, il devient impossible de séquencer la réalisation de la maquette selon les étapes habituelles ; on se retrouve nécessairement en 'fullbim'. Mais quid du rôle de la maîtrise d'œuvre dans la maquette, dans la détermination de la convention Bim, alors qu'elle est dépecée par le principe même du recours à la CR ? Or, l'architecte doit bien être présent puisqu'il n'a pas encore été touché à son monopole pour obtenir un permis de construire..." On finirait par frôler l'abus de pouvoir jusqu'à vider de son sens même le concept de maquette numérique. "Elle deviendrait un outil de gestion pour le concepteur-réalisateur, visant à baisser ses coûts, réduire les marges des acteurs en-dessous de lui..." Mais l'avocat l'espère : "Un jour, on viendra rappeler qu'il est impossible qu'un acteur soit à la fois maître d'ouvrage, maître d'œuvre et réalisateur."
(1) Comme nous l'expliquait récemment DS avocats : "D'une part, la loi Elan pérennise l'autorisation des bailleurs sociaux et autorise jusqu'en 2021 les centres régionaux d'œuvres universitaires et scolaires (Crous) à disposer librement de la procédure de conception-réalisation pour les marchés portant sur la construction de logements sans avoir à justifier d'une technicité particulière de l'immeuble à construire. Cette possibilité, introduite par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009, avait été reconduite une première fois pour les bailleurs sociaux jusqu'au 31 décembre 2018."