PROCESS. Réunis lors d'une journée de débats autour du logement, plusieurs architectes ont pu livrer quelques ingrédients nécessaires à la production d'un habitat de qualité. Selon le contexte, les porteurs, la commande, leurs exemples démontrent qu'il reste de la place pour l'innovation.
Quelle méthode, quel process adopter, pour construire du logement de qualité ? Comment faire, aussi, avec la commande, parfois ambitieuse, parfois moins ? C'est la question posée, le 13 janvier, à plusieurs architectes, dans le cadre d'une journée de débats organisée par la Cité de l'architecture et du patrimoine, autour de l'appel à manifestation d'intérêt "Engagés pour la qualité du logement de demain", piloté par le Puca. Cet AMI, lancé conjointement par la ministre de la Culture et la ministre chargée du Logement, vise à "replacer au centre des politiques publiques l'enjeu de la production de qualité d'usage et architecturale du logement à coûts maîtrisés".
Raphaëlle Hondelatte, cofondatrice de l'agence Hondelatte Laporte Architectes, appelle ses confrères et consœurs à "se déplacer" face à la commande. D'adopter cette "posture de contournement de la commande" permet de faire éclore des "alternatives aux modes de production du logement habituels". Dans cette perspective, Raphaëlle Hondelatte considère que le travail le plus intéressant se fait sur la maison individuelle, car "le dialogue direct avec les clients permet d'aller au plus proche des besoins et donc de l'inventivité". "On dit que les gens ont des besoins standardisés mais ils sont partants pour inventer : j'ai récemment conçu des logements sans portes de distribution intérieure, ou avec autant de pièces utiles dedans que dehors". Des choix innovants, réalisés dans le dialogue avec les habitants maîtres d'ouvrage.
L'Etat nous empêche de développer les modes de vie alternatifs, comme les yourtes ou les 'tiny houses'.
Raphaëlle Hondelatte
Pour autant, l'architecte considère que "l'Etat nous empêche de développer les modes de vie alternatifs, comme les yourtes ou les "tiny houses'", par exemple. Heureusement, des programmes "expérimentaux", même si l'architecte "n'aime pas ce mot, car ce sont des vrais logements qui sont construits", existent. C'est le cas d'une opération bordelaise, lancée sous l'égide du Puca, de 121 logements de logements sociaux et en accession, et réunissant une dizaine d'architectes différents. "On nous a demandé de nommer un coordinateur, mais on a dit qu'on ferait le travail ensemble, en définissant une charte", explique-t-elle, pour illustrer comment les architectes peuvent "se déplacer par rapport à la commande", ne serait-ce que dans la méthode.
L'opération a permis de travailler sur "la maison individuelle en secteur de forte densité" : les concepteurs ont donc "travaillé à partir des espaces extérieurs, qui est le marqueur de la maison individuelle". Et ils ont recréé des espaces quasi-pavillonnaires dans un ensemble "à la densité très élevée et avec un coefficient d'occupation des sols similaire au quartier de tours voisin".
Prendre le risque que le résultat ne soit pas aussi satisfaisant qu'espéré
Pour Boris Bouchet (Boris Bouchet Architectes), qui cite un projet de lotissement, "parfois la chaîne de production fonctionne", mais "parfois tout est un peu pourri, [le territoire] va mal, tout le monde a des intérêts qui ne sont pas ceux des habitants… Et au lieu de les oublier, nous les architectes, il faut que l'on prenne le risque de ne pas avoir des résultats aussi satisfaisants que ce qu'on aimerait".
L'architecte doit aussi, parfois, "accepter de maîtriser un peu moins le design" : en Auvergne, il a participé à une opération où "les gens achètent le terrain avec le permis de construire". C'est la mairie qui rémunère l'architecte pour la demande de permis. Et la mission s'arrête là. "Les gens font ensuite comme ils veulent, ce n'est pas exactement comme on l'a dessiné". Pour autant, "l'action menée a eu du sens, sur l'orientation, les volumes…"
Enfin, l'architecte peut aussi faire évoluer les projets, souligne Boris Bouchet. Sur un projet pour le bailleur Aquitanis, à Biganos (Gironde), il a pu convaincre les porteurs de construire en terre crue sans passer par de coûteux Atex. "Rien n'interdit de déroger au DTU", rappelle-t-il, "si on convainc l'assureur". Cependant, pour y parvenir, "il faut un portage politique".