DEBAT. Diminution des moyens de la maîtrise d'ouvrage publique, raréfaction du foncier, spéculation excessive… Face à cette "privatisation accrue", architectes, élus et promoteurs ont échangé sur les spécificités de la commande privée professionnelle. L'opportunité pour l'Ordre des architectes d'Ile-de-France de formuler 20 pistes à la profession, élus et pouvoirs publics.
Modifications structurelles de l'économie, restriction des moyens financiers de la maîtrise d'ouvrage publique et affaiblissement de son savoir-faire, raréfaction du foncier et spéculation excessive... Autant de bouleversements qui ont été débattu, mercredi 10 novembre 2016, dans l'ancien couvent des Récollets, situé à Paris, entre élus, promoteurs et architectes autour d'un sujet épineux : la rentabilité et la qualité architecturale dans le cadre de la commande privée professionnelle.
Le triptyque "architectes-élus-promoteurs"
A cette table ronde, organisée par l'Ordre des architectes d'Ile-de-France et introduite par son président, Jean-Michel Daquin, s'exprimaient sans détour : Gilles Bouvelot, directeur général du Grand EPF Île-de-France, Willem Pauwels, directeur de Paris Sud Aménagement et enfin, Christian Robache, maire de Montévrain (Seine-et-Marne), trésorier de l'Association des Maires de l'Île-de-France (AMIF).
"Architectes= hommes de l'art, maîtres d'ouvrages privés = hommes d'affaires obnubilés par la rentabilité"
Au-delà du triptyque "architectes-élus-promoteurs", la commande privée professionnelle* regroupe une diversité d'acteurs et d'approches. Pour les uns, "les architectes sont des hommes de l'art, dont ils reconnaissent la créativité, mais dont le peu de fiabilité et de structuration professionnelle sont perçus comme des facteurs anxiogène". Alors que pour les autres, "les maîtres d'ouvrages privés sont des hommes d'affaires obnubilés par la rentabilité, sacrifiant sans scrupule la qualité d'usage pour conserver leur marge."
Un architecte parisien : "Je suis autant promoteur qu'entrepreneur"
Au sujet de la question épineuse de la rentabilité sur la commande privée professionnelle, de nombreux architectes ont pris la parole. Parmi eux, un architecte parisien interroge réagit dans la salle : "Faire tourner des bilans, c'est l'objectif du promoteur !" Il demande alors: "Mais pourquoi on ne tournerait pas avec vous dans la cage à hamster ?".Il y a une chose à dire : sur le foncier, c'est l'élu, l'aménageur, qu'il faut mettre dans le dialogue", ajoute-t-il.
Et de lancer : "Je suis autant promoteur qu'entrepreneur." "On a tué le juste prix depuis trente ans, on est dans cette logique absurde où le juste prix n'existe pas. Et dans la foulée, on nous dit que l'architecte ne chiffre pas", dit-il amer. Avant de pointer du doigt les promoteurs : "Est-ce bien raisonnable que les promoteurs margent sur des opérations privées sur deux dizaine (Ndlr: en pourcentage, en l'occurrence 20 ou 30 % a-t-il glissé.) ?"
De son côté, Christian Robache, maire (LR)de Montévrain (Seine-et-Marne) et trésorier de l'Association des Maires de l'Île-de-France (AMIF), reconnait que "les architectes ont un rôle à jouer sur la commande privée professionnelle." "Encore une fois, l'élu n'est pas un urbaniste, sociologue, professeur des écoles, ajoute-t-il. Lorsqu'on est élu, on doit apprendre tout sur le tas au cours du mandat pour gérer un dossier comme un Plan local d'urbanisme (PLU) ou un Schéma de cohérence territoriale (SCOT)", signale-t-il.
La simplification et l'excès de normes au cœur des inquiétudes des collectivités
Avant de conclure auprès des architectes que globalement : "les maires se donnent des moyens pour mobiliser les architectes." Interrogé par plusieurs acteurs de la maîtrise d'œuvre sur le choc des simplifications et la "flopée de normes", Christian Robache réagit : "Sur le sujet de la simplification et l'excès de normes et de labellisations -comme la RT 2012, le BEPOS, et la procédure HQE- il est important que l'on comprenne la notion de coût d'investissement pour construire un équipement public. Pour nous, cette labellisation nous impacte sur le budget au moment même où il y a une baisse des dotations."
20 propositions pour donner des clés aux acteurs de la commande privée
Fort de ces nombreux échanges, le "Laboratoire des marchés privés", crée en 2014 par l'Ordre régional d'Ile-de-France, a formulé 20 propositions, à destination de la profession, des maîtres d'ouvrage et des pouvoirs publics.
"Celles-ci ont fait l'objet d'une communication de l'Atout Architecte N°2 qui a été présenté dans la foulée du débat", nous explique ce mercredi soir Marine De La Guerrande, vice-présidente du CROAIF. Ces 20 propositions concrètes s'inscrivent dans des actions à court et moyen termes." Il s'agit selon elle de "donner des clés pour une meilleure collaboration entre les acteurs de la commande privée au bénéfice des usagers, des habitants, des professionnels, dont les architectes."
Cette feuille de route établie vise un double objectif : comprendre les attentes et les spécificités de la commande privée et formuler des propositions pour permettre aux architectes de mieux y répondre.
A cette fin, Marine De La Guerrande avec Jean-François Authier et Benjamin Colboc tous trois conseillers ordinaux ont mené une centaine d'entretiens avec des architectes, des maîtres d'ouvrages, des élus et d'autres acteurs de la commande privée : "Globalement, même si les clichés ont la vie dure, il ressort de ce travail que les architectes ont une bonne image. Ce sont des professionnels reconnus pour leur créativité et leur savoir-faire, à condition de s'adapter aux contraintes des marchés privés", nous confie-t-elle.
Et de conclure sur la question de la rentabilité : "La question économique est centrale, mais ce n'est pas la seule façon de voir les choses. Il faut dépasser le simple clivage rentabilité versus qualité architecturale en amont et en aval."
Découvrez, les 20 propositions du "Laboratoire des marchés privés", crée par l'Ordre des architectes d'Île-de-France
Qu'est-ce que la commande privée professionnelle ?
Le paysage de la commande privée professionnelle regroupe des grands groupes côtés en bourse, des locomotives adossées à des entreprises de construction, de promoteurs familiaux, des groupes régionaux, des foncières, de "petits opérateurs locaux", de
"sociétés qui agissent pour leur compte". Il faut donc "distinguer ceux qui ont une approche patrimoniale ou industrielle, c'est-à-dire d'investissement, de ceux qui ont une approche commerciale, à savoir de rentabilité ponctuelle", nous explique-t-on à l'Ordre des architectes d'Ile-de-France.