COLERE. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de Finances 2019 à l'Assemblée nationale, les amendements défendant une réintégration des fenêtres dans le dispositif du CITE ont été écartés en première lecture. Une décision qui provoque incompréhension et colère des professionnels.
Le doute avait commencé à s'installer, mais cette fois c'est officiel : les amendements parlementaires défendant une réintégration des menuiseries extérieures dans le champ d'application du Crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) ont été écartés en première lecture de l'examen du projet de loi de Finances (PLF) 2019 à l'Assemblée nationale, après un premier échec en commission. Pour l'exercice budgétaire de l'année prochaine, le Gouvernement ambitionne effectivement de restreindre le dispositif fiscal en divisant par deux ses fonds : alors qu'ils se chiffraient à 1,7 milliard d'euros en 2017, ils devraient donc être rabotés à quelques 800 millions d'euros en 2019.
"C'est pour cette raison que Nicolas Hulot a claqué la porte"
"Nos propositions claires et équilibrées n'ont pas été entendues, alors qu'elles avaient été pensées pour ne pas casser le marché et ne pas décourager tout le monde", regrette Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, contacté par Batiactu. "Il n'y a pas d'écoute et je dirais même qu'il y a parfois une mauvaise foi caractérisée. L'incohérence est totale entre le discours sur la fiscalité écologique et le fait de diviser par deux le budget du CITE. Soit les objectifs annoncés sont bidons, soit il faut mettre le budget adéquat en face. C'est pour cette raison que Nicolas Hulot [l'ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, NDLR] a claqué la porte en septembre, et les faits lui donnent raison. On en vient même à s'inquiéter du poids du ministère de la Transition écologique dans les arbitrages budgétaires."
"Ceux qui prennent cette décision n'ont aucune idée de l'impact sur les entreprises et l'économie", tacle Patrick Liébus, président de la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), également joint par Batiactu. "Tous les acteurs de la profession jugent cela incompréhensible. On essaye de discuter, de faire avancer les choses, mais on nous répond : 'Ce sera comme ça et pas autrement'. On est à la limite du ridicule. Les technocrates pensent qu'à Paris, on sait tout ; je leur réponds que c'est faux, on ne sait pas tout à Paris."
Des économies à réaliser et des abus à éviter
Les professionnels du bâtiment et les acteurs de la rénovation énergétique sont donc vent debout et promettent de continuer à se mobiliser, rappelant au passage que le remplacement des fenêtres simple vitrage représente un levier d'économie d'énergie incontournable, comme l'avait démontré une étude de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment). Pour un grand nombre de spécialistes du sujet, la décision de l'exécutif est d'autant plus paradoxale que le Gouvernement s'est fixé comme objectif de rénover annuellement 500.000 passoires thermiques. Cependant, ce dernier met en avant plusieurs arguments pour expliquer sa position : d'une part, ce sont prioritairement les ménages aisés qui auraient recours au crédit d'impôt ; et d'autre part, la version précédente du dispositif, établie à 30% sans plafond de remboursement, a pu engendrer des abus, certains particuliers rénovant leurs menuiseries pour des raisons davantage esthétiques qu'énergétiques.
Les ménages modestes et la France rurale pénalisés
"Le problème, c'est qu'on abandonne encore un peu plus les territoires ruraux et péri-urbains", note Jacques Chanut. "Je pose la question : est-ce que les fenêtres à simple vitrage concernent les Français les plus riches ? Ce sont des contre-vérités assénées pour décrédibiliser notre discours de bon sens ! Nos propositions, avec le plafond fixé à 100 €, visaient justement à éviter la surconsommation. Mais le rapporteur [le député LREM Joël Giraud, NDLR] a déclaré qu'il n'accepterait aucun amendement sur le CITE…" Patrick Liébus abonde en ce sens : "La suppression des fenêtres dans le dispositif n'empêchera pas les clients fortunés de faire leurs travaux de rénovation, étant donné que, de base, ils en ont les moyens. Mais c'est l'économie de tout un secteur qu'il ne faut pas mettre à mal. Sur le segment de la rénovation énergétique, les artisans recourent le plus souvent à du sur-mesure, c'est donc un travail qualifié."
Un budget passant de 800 millions à 100 millions
"Nous n'en sommes qu'à la première étape de l'examen du PLF, il reste encore le Sénat puis la seconde lecture à l'Assemblée", tempère Marjolaine Meynier-Millefert, députée LREM de la 10e circonscription de l'Isère et co-animatrice du Plan de rénovation énergétique du bâtiment, contactée par Batiactu. "On a tendance à juger incompatible le principe du crédit d'impôt avec la gestion des finances, mais le Gouvernement et les députés sont restés bloqués à la première version du dispositif, alors que l'amendement présenté chiffre le taux à 15% avec un plafond à 100 €, soit un budget de 100 millions contre 800 millions auparavant…" Reconnaissant que le CITE bénéficie d'abord aux ménages fortunés, la parlementaire insiste toutefois sur la notion d'incitation fiscale, pour mieux orienter les budgets des particuliers : "C'est faux de dire que le dispositif n'est pas vertueux. Certes, pour les plus précaires, d'autres solutions sont à mettre en place. Mais j'estime qu'il y a tout de même une convergence d'intérêts entre l'Etat - sur le plan de la maîtrise de l'énergie -, les professionnels du bâtiment - la rénovation énergétique est un marché porteur - et les acheteurs - qui peuvent améliorer le confort de leur habitat."
Vision comptable de Bercy
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Quoi qu'il en soit, le Sénat déposera de nouveau les mêmes amendements lorsque ce sera au tour du Palais du Luxembourg d'examiner le PLF. Parallèlement, le secteur du bâtiment et les acteurs du dossier entendent poursuivre leur concertation avec les ministres concernés. Car à cet égard, certains déplorent une mauvaise information, entraînant une méconnaissance, voire un discours tronqué sur le sujet. "Les '30% non-maîtrisés', c'est une idée fixe de Bercy, mais nous ne sommes pas du tout sur le même sujet", insiste Marjolaine Meynier-Millefert. "Si nous avons choisi le plafond de 100 €, c'est justement pour éviter la montée en gamme des menuiseries, de manière à ce que leur subvention se cantonne à la performance énergétique. L'éradication des fenêtres simple vitrage est vraiment une priorité."
Les professionnels, eux, confirment poursuivre leur mobilisation : "C'est une décision politique, mais pas budgétaire", souligne Jacques Chanut. "Or, une décision politique engendre une adaptation budgétaire, ce qui n'est pas le cas ici. Il semblerait que la transition énergétique soit un discours, mais pas une ambition. L'engagement est incompatible avec les moyens alloués. Est-ce que la raison va enfin l'emporter au Sénat ?" Dans tous les cas, la profession va continuer à faire entendre sa voix auprès des députés, des sénateurs et même de l'exécutif : "Je vais m'entretenir une nouvelle fois avec Matignon et envoyer un courrier à l'Elysée", précise Patrick Liébus. "Il y a un tel mépris des organisations structurées, et la notion de bon sens semble tellement éloignée du Gouvernement… La situation devient énervante et épuisante."