PATRIMOINE. C'est en compagnie de plusieurs ministres que les architectes en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve et Rémi Fromont ont sélectionné le 5 mars dernier les premiers chênes qui serviront à reconstruire la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les arbres en question proviennent de la forêt de Bercé, dans la Sarthe, mais c'est tout un écosystème qui se mobilise aux quatre coins du pays pour rebâtir l'édifice.
C'est environ un millier de chênes qui seront nécessaires pour reconstruire à l'identique la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris, signée par l'architecte Viollet-le-Duc et qui a été emportée par les flammes de l'accident du 15 avril 2019. Autant dire que les équipes du chantier de restauration auront besoin d'une colossale quantité de matériaux sylvestres pour refaire l'ossature de la flèche, les charpentes du transept ainsi que les travées adjacentes. La récolte de ces bois, programmée cette année, vient de débuter par une nouvelle symbolique : ce 5 mars, les premiers chênes destinés à la reconstruction ont été sélectionnés dans la forêt de Bercé, dans la Sarthe, par les architectes en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve et Rémi Fromont. Ils étaient accompagnés par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, le général d'armée Jean-Louis Georgelin qui préside l'Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale, ainsi que par le directeur général de l'Office national des forêts (ONF) Bertrand Munch et le président de France Bois Forêt Michel Druilhe.
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Dans la foulée de leur identification, qui s'était déroulée de janvier à fin février, les arbres vont donc être récoltés d'ici la fin mars, donc avant leur montée en sève, avant d'être débardés (c'est-à-dire transporter hors du lieu de coupe) et sciés. L'étape d'après consistera à les entreposer de 12 à 18 mois afin qu'ils atteignent un taux d'humidité inférieur à 30%, condition indispensable avant leur mise à disposition des charpentiers pour éviter tout risque de déformation postérieure. C'est vers la fin 2022-début 2023 que les arbres seront ensuite acheminés dans les ateliers attributaires des marchés de travaux. Parmi les éléments sélectionnés, les équipes ont d'ores-et-déjà indiqué qu'elles auraient besoin de huit chênes d'un diamètre supérieur à un mètre et "de plus de 20 mètres de grume utile d'une courbure spécifique" pour réaliser certaines "pièces exceptionnelles pour le tabouret de la flèche". Des arbres pas banals qui peuvent être aisément trouvés dans les massifs gérés par l'ONF, si l'on en croit son directeur général : "Les chênaies domaniales sont vraisemblablement les seules à pouvoir fournir ce type de bois, car cela fait plus de 200 ans que des chênes y sont menés en futaie régulière, une technique qui permet de produire des arbres très élancés", explique Bertrand Munch.
Des chênes qui proviennent de toute la France
Pour repérer les arbres nécessaires au chantier, l'Établissement public chargé de la conservation peut également compter sur la mobilisation de l'interprofession nationale de la filière bois-forêt, qui s'est engagée à fournir "gracieusement" les chênes nécessaires : "Dans le respect d'une gestion durable et responsable, nous nous assurerons de la traçabilité des bois étape par étape, depuis l'origine géographique des arbres jusqu'à la livraison des bois ressuyés aux charpentiers, en passant par leur transformation et leur stockage", assure le président de France Bois Forêt, Michel Druilhe. Au bout du compte, 50% des chênes proviendront des forêts publiques - 32 domaniales et 70 communales - et 50% de 150 massifs privés. Des donateurs étrangers ont aussi proposé des arbres mais ceux-ci se destineront plutôt, compte-tenu des délais et des contraintes techniques et logistiques, à la restauration des charpentes du grand comble, au-dessus de la nef et du chœur. Priorité sera donc donnée aux chênes de l'Hexagone, ce dont se félicitent les acteurs du dossier : "Je me réjouis que des communes, issues de régions de l'ensemble de notre territoire, fournissent gracieusement un ou plusieurs chênes de leur forêt communale", a notamment déclaré Dominique Jarlier, le président de la Fédération nationale des communes forestières. "Cette mobilisation des collectivités va au-delà de la reconstruction d'un monument historique à la symbolique forte : c'est l'unité de la Nation qui se manifeste ainsi, à travers ces institutions de base."
La sélection de ces premiers arbres, "une étape importante sur le chemin de la renaissance de la cathédrale" qui traduit un "remarquable élan de générosité" pour le général Jean-Louis Georgelin, consacre en effet toutes les régions françaises. Même si, en pratique, certaines contribuent plus que d'autres : le Grand Est et le Centre-Val de Loire fournissent ainsi plus de 200 chênes à elles seules, tandis que l'Île-de-France et la Bourgogne-Franche-Comté en alignent entre 150 à 200. La Normandie et les Pays de la Loire apporteront pour leur part entre 50 à 100 arbres. Au final, les 1.000 chênes destinés à Notre-Dame ne représentent toutefois que 0,1% de la récolte annuelle de bois de chêne français dédié à la construction ou l'ameublement. Celle-ci s'élevant en moyenne à 2 millions de mètres cubes par an, les arbres devant servir à reconstruire la cathédrale représentent donc environ 2.000 m3.
Les forêts françaises, héritières de la politique de Louis XIV et de Colbert
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Véritables poumons verts et importants réservoirs de biodiversité comme de matériaux, les forêts de l'Hexagone sont aussi un témoin de l'Histoire, comme le rappelle l'Établissement public chargé de la conservation : "Les forêts d'aujourd'hui sont l'héritage d'une longue histoire marquée notamment par l'action de Louis XIV et de Colbert, qui ont initié une politique de préservation des forêts. En 1857, seuls 13% de la surface française était forestière. Aujourd'hui, on estime que 31% de notre territoire est forestier." L'autre héritage du projet, c'est bien sûr celui de Viollet-le-Duc : décision a été prise à l'été 2020 de reconstruire à l'identique la flèche qu'il avait signé de sa main, en utilisant les matériaux d'origine, à savoir le chêne massif pour la charpente et le plomb pour la couverture. Si "la restitution de la flèche dessinée par Viollet-le-Duc nécessite un travail très précis de documentation et de recherche en amont sur le monument lui-même" selon Rémi Fromont, c'est le "caractère authentique et durable" et la "plasticité" du chêne à "supporter les contraintes de l'édifice" qui a motivé le choix de la reconstruction à l'identique. "La flèche dessinée par Viollet-le-Duc était un ouvrage de charpente complexe, constituée de bois de taille exceptionnelle, que nous devons retrouver aujourd'hui pour assurer sa stabilité", ajoute Philippe Villeneuve.
Culminant à 96 mètres au-dessus du parvis de la cathédrale, la flèche de Notre-Dame reposait sur un tabouret au large empâtement dont les quatre pieds s'appuyaient sur le dessus des quatre piliers intérieurs de la croisée du transept. La souche de la flèche, qui faisait preuve d'une "ingénieuse conception structurelle", formait avec le tabouret un ensemble qui "fonde et 'enracine' efficacement la flèche à son socle de maçonnerie", explique l'Établissement public. Un trésor architectural que nos contemporains vont maintenant tenter de reproduire.