ÉCONOMIES D'ÉNERGIE. Le "décret tertiaire" vient d'être définitivement enterré par le Conseil d'État. Mais une nouvelle mouture du texte paraîtra d'ici la fin de l'année 2019, appuyée sur l'article 55 de la loi Elan actuellement en discussion. Que propose ce texte en matière d'efficacité énergétique des bâtiments tertiaires ? Décryptage avec Anne-Lise Deloron, directrice adjointe du Plan bâtiment durable.

Il y a près d'un an, le Conseil d'État suspendait le 'décret tertiaire' du 9 mai 2017, qui fixait un calendrier d'objectifs en matière de performance énergétique pour les bâtiments tertiaires et certains bâtiments publics. Sans surprise, le 18 juin 2018, l'institution a porté l'estocade finale en annulant purement et simplement ce texte du fait qu'il "méconnaît le principe de sécurité juridique".

 

C'est en prévision de cette décision que le Gouvernement a, dans l'article 55 du projet de loi Elan, défini les bases du futur décret tertiaire. Le texte, voté en première lecture à l'Assemblée nationale, est aujourd'hui au Sénat. Que prévoit-il ? Quelles modifications ont été apportées au projet par les députés ? Anne-Lise Deloron, directrice adjointe du Plan bâtiment durable (PBD), répond pour Batiactu à ces questions.

 

La notion de "travaux" disparaît de la loi Elan

 

"La raison d'être de l'article 55 est tout d'abord de donner une base légale sécurisée à l'obligation d'économies d'énergie pour les bâtiments concernés", nous explique-t-elle. Pour rappel, le décret du 9 mai s'appliquait "aux bâtiments ou parties de bâtiments existants appartenant à un propriétaire unique, à usage de bureaux, d'hôtels, de commerces, d'enseignement et les bâtiments administratifs, regroupant des locaux d'une surface supérieure ou égale à 2000 m² de surface utile".

 

 

Différence importante entre la loi Elan et le texte de la loi Grenelle 2, sur lequel s'appuyait le décret du 9 mai : la notion de "travaux" disparaît. La loi Elan parle en effet "d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale". "Ainsi, le texte correspond davantage à la réalité des faits : on ne limite pas les économies réalisées aux travaux en 'dur', mais on inclut également la maintenance des équipements, la sensibilisation des occupants et le pilotage des installations", explique Anne-Lise Deloron. "Les travaux à proprement parler sont programmés par les gestionnaires de bâtiments sur un temps plus long, et correspondent davantage à un objectif de valorisation patrimoniale, avec des travaux de rénovation énergétique embarqués."

 

Une exigence maintenue, même si le seuil de 2020 n'est plus

 

La loi Elan maintient en tout cas l'exigence prévue par la loi de transition énergétique de 2015, à savoir de diminuer de 40% les consommations d'énergies en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050 - sur la base de l'année 2010. Seule différence, et elle est de taille, avec le décret tertiaire initial : la disparition du premier seuil de 2020. "Certains parlementaires ont voulu introduire un objectif intermédiaire à 2025, mais cette possibilité n'a pas été retenue", précise Anne-Lise Deloron. Pour rappel, les opposants au décret du 9 mai 2017 pointaient le fait que l'échéance de 2020 était trop proche pour pouvoir être respectée compte tenu de la date de publication du texte au JO (mai 2017, donc). Il semblait donc difficile d'assurer une bonne base légale à ce texte en maintenant l'horizon 2020.

 

Toutefois, dès 2020 - en l'état actuel du texte, qui doit encore passer devant le Sénat puis en commission mixte paritaire -, les propriétaires de bâtiments concernés pourraient être obligés de communiquer leurs données énergétiques sur une plateforme informatique. "Ce qui suppose qu'ils devront faire un audit énergétique", indique la directrice adjointe du PBD. Un premier pas dans le travail qui leur sera demandé sur leurs consommations. "Cette collecte d'informations se fera de manière anonyme, qui plus est, ce qui permettra à chaque acteur de comparer ses performances avec les autres."

 

Certaines dépenses d'énergie pourront être déduites

 

Deux autres éléments, votés par les députés, viennent modifier sensiblement la donne en matière de bilan énergétique. D'une part, la chaleur fatale auto-consommée par les bâtiments (par exemple, l'utilisation de la chaleur diffusée par des serveurs informatiques) pourra être déduite de la consommation générale du bâtiment ; de même en ce qui concerne les consommations énergétiques liées aux infrastructures de recharge des véhicules électriques et hybrides. "C'est une disposition intéressante, car cela considère le bâtiment comme un système, on ne se limite pas à effectuer simplement le relevé de compteur", commente Anne-Lise Deloron.

"La dernière version du texte introduit des sanctions administratives"

 

La dernière version du texte introduit par ailleurs des sanctions administratives en cas de non-respect des objectifs. "Cela va plutôt à l'encontre de l'esprit de collégialité envisagé autour de ce texte. Cette disposition sera réétudiée au Sénat", note le PBD.

 

Vers une "co-construction" du futur décret

 

Les fédérations du commerce et de l'hôtellerie, qui ont obtenu la 'tête' du décret du 9 mai, ont déjà réagi par communiqué. Et demande à être consultées avant l'élaboration du nouveau décret - qui doit paraître dans les un an de la publication de la loi Elan, donc au plus tard, a priori, à l'automne 2019. Un point sur lequel le PBD se veut rassurant. "Nous organiserons dès que possible une réunion avec les signataires de la charte tertiaire et les acteurs concernés, de manière à présenter la version finale de l'article 55 et d'aboutir à une co-construction du texte, qui devra être un texte d'adhésion", nous explique Anne-Lise Deloron.

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