COMMANDE PUBLIQUE. Fin mars, le gouvernement a publié six cahiers des clauses administratives générales (CCAG) à destination des acheteurs publics. La nouveauté réside dans la création d'un CCAG-Maîtrise d'œuvre, demandé de longue date par la profession. Décryptage.
Les acheteurs publics ne bénéficiaient pas jusqu'à présent d'un CCAG spécifique pour leurs marchés de maîtrise d'œuvre et devaient, plutôt par défaut, se contenter d'un CCAG-Prestations intellectuelles (CCAG-PI), qui n'était pas, selon le Cnoa, "pleinement adapté". Le Conseil national de l'Ordre des architectes, qui réclamait, avec les autres acteurs de la maîtrise d'œuvre, de longue date un CCAG spécifique, se satisfait de la publication, le 30 mars, de celui-ci, par arrêté.
Constitué de 35 articles, ce CCAG a vocation à s'appliquer aussi bien aux opérations de bâtiments que d'infrastructures, qu'elles soient soumises aux règles du livre IV de la deuxième partie du code de la commande publique (codification de la loi Mop) ou non. Entré en vigueur le 1er avril, les acheteurs peuvent déjà décider d'y faire référence dans leurs marchés.
Rééquilibrage contractuel
L'Ordre retient surtout de ce nouveau CCAG les "importantes mesures allant dans le sens de rééquilibrage contractuel entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre". Pour Pierre Chomette, membre du bureau de l'Unsfa, le principal syndicat d'architectes, contacté par Batiactu, "ce CCAG contribue à instaurer de meilleurs échanges et un dialogue qui sont indispensables avec nos maîtrises d'ouvrages publiques". Il "salue" la sensibilité de Bercy aux enjeux propres à la maîtrise d'œuvre et la concertation qui a eu lieu, même si celle-ci "aurait pu être plus conséquente".
Pour le Cnoa, ce rééquilibrage tient à ce que le maître d'œuvre peut suspendre les prestations en cas de retard conséquent de paiement (trois mois) et engager une démarche de résiliation si le paiement n'intervient pas dans les six mois (25.1). Un autre point positif est la possibilité de mettre fin au marché par le maître d'ouvrage, qui est circonscrite à des évènements exceptionnels. Le mécanisme d'arrêt technique de la mission, persistant dans le CCAG-Prestations intellectuelles, ne figure pas dans ce CCAG-MOE. En outre, le maître d'œuvre peut solliciter la prolongation de ses délais d'exécution, si sa demande est exprimée dans les 30 jours après l'apparition d'une cause extérieure (15.2.2). Enfin, en cas de défaillance du maître d'œuvre, le maître d'ouvrage dispose d'un mécanisme d'exécution aux frais et risques à son encontre (Article 34).
Modifications du marché
Le CCAG-MOE permet aussi une meilleure prise en compte des modifications du marché, en lien avec des évènements affectant l'opération. Pour L'Unsfa, c'est le premier motif de satisfaction. Ainsi, l'article 15.3.5 prévoit une clause de revoyure lorsque la prolongation du chantier est supérieure à 10% de la durée prévue dans le marché de maîtrise d'œuvre ou à défaut, celle résultant des marchés de travaux. Les parties doivent se rapprocher pour identifier les causes du retard et déterminer la nécessité d'une rémunération complémentaire du maître d'œuvre pour faire face à ce dépassement. "Combien de litiges a-ton vu, avec des groupements de maîtrise d'œuvre qui se sont retrouvés avec des prolongations de chantier qui n'étaient pas de leur fait et en ont subi des conséquences financières graves. On peut espérer que nos maîtres d'ouvrage seront sensibilisés grâce à ce document", explique Pierre Chomette.
L'article 26 prévoit de son côté une clause de réexamen générale, en cas de circonstances imprévues modifiant de manière significative les conditions d'exécution du marché. Enfin, le régime de propriété intellectuelle a été clarifié et surtout unifié, fondé sur la concession à titre non exclusif des droits patrimoniaux sur les résultats et réaffirmant le respect des droits moraux nés du marché (Articles 22, 23 et 24).
Caractère spécifique enfin reconnu
S'il est bâti sur l'architecture préexistante du CCAG-Prestations intellectuelle, le clausier dédié à la maîtrise d'œuvre intègre de nombreuses stipulations mettant en avant son caractère spécifique, se félicite le Cnoa. Premier signe de cette spécificité, les définitions métiers ont été intégrées dans ce CCAG-MOE : l'acheteur public est désigné comme un maître d'ouvrage et le titulaire du marché comme le maître d'œuvre (Article 2). De manière inédite dans un texte lié à la commande publique, les éléments clés d'une démarche BIM, le cahier des charges et la convention, sont définis expressément dans ce CCAG-MOE (et repris dans le CCAG-Travaux).
Des clarifications ont été apportées sur l'admission des prestations de maîtrise d'œuvre, distinguées de la notion de réception qui s'applique aux travaux. En matière de définitions, l'Ordre des architectes "regrette que la notion d'ajournement (qui permet au maître d'ouvrage de demander au maître d'œuvre de reprendre ses études) revête une signification différente pour la maîtrise d'œuvre par rapport à celle du CCAG-Travaux (qui correspond à l'arrêt des travaux décidé par le maître d'ouvrage)".
Le mécanisme de substitution en cas de défaillance finalement pas retenu
Un autre regret anime le Cnoa, qui concerne la cotraitance. Si le CCAG tient naturellement compte de l'organisation de la maîtrise d'œuvre en équipe, la solution qui avait été proposée par les organisations professionnelles durant la concertation, à savoir "un mécanisme de substitution permettant de pallier la défaillance d'un membre du groupement", n'a pas été retenue dans la version finale du cahier des clauses administratives. Il reviendra donc, explique le Cnoa, "aux acheteurs de prévoir cette situation, malheureusement fréquente, dans les documents particuliers du marché".
En raison des enjeux de responsabilités propres à la maîtrise d'œuvre, les clauses d'assurance ont largement été détaillées par rapport à celles qui pouvaient exister dans le CCAG-PI. L'article 9.1 détaille ainsi les assurances obligatoires ou facultatives du maître d'œuvre et l'article 9.2 renforce les obligations d'information du maître d'ouvrage sur les assurances qu'il a contractées ou qu'il contractera.
Montant des avances et des pénalités de retard
Le CCAG contient deux options concernant les avances (article 11.1), l'option A portant le taux à un minimum de 20 % pour les TPE/PME et l'option B renvoyant au taux minimal réglementaire défini dans le code de la commande publique. "Afin de tenir compte de la durée longue des marchés de maîtrise d'œuvre, l'option A apparait comme la plus appropriée" pour garantir un montant d'avance pertinent au maître d'œuvre, prévient le Cnoa.
Par ailleurs, comme pour l'ensemble des CCAG, les pénalités de retard sont plafonnées à un seuil de 10% du montant initial HT du marché. Ce dispositif de plafonnement ne concerne que les pénalités de retard, à l'exclusion des éventuelles pénalités associées à des absences ou des manquements contractuels. Les clauses relatives aux primes ont été détaillées, le CCAG-MOE évoquant la possibilité pour un maître d'ouvrage d'introduire des primes de performance financières liées aux engagements du maître d'œuvre dans les documents particuliers du marché (article 17).
"Beaucoup de chantiers connaissent des dérives sur la durée et des difficultés, très souvent celui qui en pâtie le plus est la maîtrise d'œuvre, qui s'engage pour 10 ans. Peu de métier ont de telles responsabilités aussi longtemps", rappelle Pierre Chomette. "On peut espérer que ce CCAG dédié à la maîtrise d'œuvre facilite le bon déroulement des opérations et permettent à la profession de jouer pleinement son rôle au bénéfice du projet et de l'architecture". L'Unsfa organise une conférence sur le sujet le mardi 13 avril.