ENTRETIEN EXCLUSIF. Après 4 ans à la tête du Conseil national de l'ordre des architectes, Catherine Jacquot s'apprête à quitter ses fonctions. A cette occasion, elle nous a accordé sa dernière interview en tant que présidente du CNOA.

En novembre 2014, Catherine Jacquot était élue présidente du Conseil national de l'ordre des architectes. Une élection particulière puisqu'elle est la première femme à occuper ce poste prestigieux. Une mission qu'elle a occupée avec beaucoup de ferveur et qui lui a valu d'être élevée cette année au rang de chevalier de la Légion d'honneur. Quelques jours avant l'élection du nouveau président (ou présidente), elle nous a reçu dans ses bureaux du 47e étage de la Tour Montparnasse.

 

Batiactu : Après 4 ans à la présidence du CNOA, vous vous apprêtez à passer la main à un ou une président(e). Quel bilan en faites-vous ?

 

Catherine Jacquot :
Cela a été passionnant. C'est l'esprit léger que je pars même si j'avoue avoir un peu d'appréhension face à ce grand agenda avec plein de blanc maintenant. Mais je suis très heureuse de retrouver mon agence et mes fonctions d'architecte conseil de l'Etat. J'ai d'ailleurs été très bien accueillie dans la région Auvergne Rhône Alpes où je vais prendre de nouvelles fonctions à partir de janvier 2018. Donc, tout va bien, je ne quitte pas l'architecture.

 

Batiactu : De quel combat êtes-vous la plus fière ?
Catherine Jacquot :
J'en ai déjà beaucoup parlé mais c'est surtout la loi Liberté de création, architecture et patrimoine (LCAP) qui a été pour moi l'événement le plus important. Précédé de la Stratégie nationale pour l'architecture et du rapport de P. Bloche, nous avons construit une politique publique de l'architecture, 40 ans après la loi de 1977. Je n'oublie pas non plus les autres, les consultations privées, le concours d'architecture, l'engagement des architectes dans la transition écologique...

 

Batiactu : Que voudriez-vous que les générations futures retiennent de votre action ?
Catherine Jacquot
 : (sourire) Je ne sais quoi vous dire. Peut-être les acquis de la loi LCAP en faveur de l'architecture du quotidien, et de l'aménagement des territoires. Cette loi a été un combat intéressant parce que tout d'un coup l'architecture, la qualité du cadre de vie était en débat à l'Assemblée Nationale. Les députés, sénateurs et le gouvernement parlaient de qualité architecturale et urbaine. Il y a eu de nombreux débats, parfois virulents, mais la loi a été votée et j'ai été très heureuse de voir ces sujets portés sur la place publique.

 

Mais il y a encore beaucoup à faire, en premier lieu, ne pas perdre les acquis de la loi, et pour aller plus loin, nous avons fait 21 propositions à l'occasion de l'élection présidentielle.

 

Batiactu : Vous avez rencontré la ministre de la Culture, quels sujets avez-vous abordé ensemble ?
Catherine Jacquot
 : Nous sommes souvent en contact avec le ministère de la culture et nous avons en ce moment un sujet très important qui est celui du logement et de sa qualité architecturale. Le concours d'architecture est le premier combat que j'ai mené, en 2014 au moment de la transcription de l'ordonnance européenne sur les marchés publics et où à l'époque le ministère des finances, souhaitait faire disparaître le recours obligatoire au concours. Et nous avons réussi, grâce à une mobilisation générale des architectes et à des arbitrages gouvernementaux favorables, à le maintenir. Cela a été une première grande victoire. Il faut savoir que le concours d'architecture français est une procédure qui a une renommée internationale et que les architectes européens nous envient.

 

"J'insiste, la qualité architecturale est un droit pour tous", Catherine Jacquot

 

Batiactu : A ce propos, vous nous disiez récemment que vous craigniez que la réforme du logement et notamment celle concernant les bailleurs sociaux menace le concours d'architecte. Pourquoi ?
Catherine Jacquot
: Oui, nous craignons que le concours pour les bailleurs sociaux soit à nouveau menacé. Pour les équipements publics c'est acquis. En revanche, la loi Lcap parmi les avancées qui ont pu être votées a imposé le recours obligatoire à tous les bailleurs sociaux. Et cela nous paraît une avancée fondamentale pour la qualité architecturale pour les plus démunis. Je me réfère d'ailleurs au discours du Président de la République de Tourcoing (le 13 novembre) où il dit que les quartiers ne sont pas des quartiers à part, qu'ils ont le même droit à la culture que chaque citoyen de la République. Le logement n'est il pas une première expression de la culture ? J'insiste, la qualité architecturale est un droit pour tous. Je pense que c'est le rôle de l'État et des bailleurs sociaux de prendre cette dimension culturelle à bras le corps pour les plus démunis. Le concours d'architecture parce qu'il est le choix d'un projet concerté avec les élus, est la procédure qui promeut la qualité des logements, c'est vraiment un enjeu de société.

 

Aujourd'hui, il est menacé au nom d'arguments technocratiques. Une loi a été votée il y a un an et je pense que ce serait un très mauvais signe du Gouvernement et du Président de la République de revenir sur cet acquis culturel. Pour des raisons purement pratiques, techniques, certains bailleurs ne souhaitent pas se donner la peine d'organiser un concours, ce serait une régression absurde pour notre pays.

"Nous ne pouvons pas faire la rénovation de ces millions de logements simplement en les revêtant de polystyrène"

 

Batiactu : La ministre de la culture a présenté sa stratégie pour le patrimoine. C'est un sujet qui vous est cher, on le sait. Que pensez-vous des mesures ?
Catherine Jacquot :
Voici un autre champ que j'ai essayé de faire progresser pendant ces quatre années : la réconciliation entre patrimoine et architecture contemporaine. A cela plusieurs raisons. L'enjeu écologique en est une des premières. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, en fixant des objectifs très ambitieux, pose que le bâtiment est au cœur de cette transition. Il faut rénover 20 millions de logements dans les décennies qui viennent. Bien sûr la construction neuve est importante mais elle ne représente que 1% du parc de logements renouvelé chaque année. La réhabilitation du parc existant reste le grand chantier. Nous ne pouvons pas faire la rénovation de ces millions de logements simplement en les revêtant de polystyrène, ça ne va pas être possible. Donc, il faut y réfléchir afin d'améliorer l'usage, le confort et la valeur patrimoniale du bien.

 

Batiactu : Cette notion de valeur verte est d'ailleurs mise en avant notamment par le Plan bâtiment durable. Cela est encourageant.
Catherine Jacquot :
En effet, cela évolue, Il y a quatre ans, l'Ademe pensait que les architectes n'avaient pas grand-chose à faire dans la rénovation écologique et énergétique. Maintenant, l'Ademe a bel et bien inversé son propos et désormais nos arguments sont repris. Et notamment notre proposition consistant à dire que toute réhabilitation est un projet d'architecture qui nécessite une étude de maîtrise d'œuvre avant travaux. Une intervention sur le bâti est l'occasion de prendre en compte d'autres usages, permettant une évolutivité du logement.

 


"L'avenir de l'architecture, c'est aussi le patrimoine", Catherine Jacquot

 

Depuis la loi pour la transition énergétique nous réclamons qu'un diagnostic global soit toujours établi avant tous travaux. Et nous avons enfin été entendus. L'Ademe demande d'ailleurs que ce diagnostic, soit éligible au crédit d'impôt. C'est une avancée. Pour cela, il n'est pas utile de créer de nouveaux métiers. Les ingénieurs, les architectes, les maîtres d'œuvre, ont toutes les compétences pour assurer ces études, ces diagnostics et l'accompagnement des travaux qui va avec.

 

L'avenir de l'architecture, c'est aussi le patrimoine. Dans les années à venir, il y aura un énorme travail à faire sur le bâti existant, qu'il soit ou non classé. Autre point, il est indispensable que nous revitalisions nos centres villes et nos centres bourgs. C'est aussi un patrimoine. Cela ne se fera pas sans une approche spécifique à la fois économique, juridique et architecturale et urbaine. Patrimoine et construction neuve y sont intimement liés.

 

Batiactu : L'une des mesures de la stratégie patrimoine, prévoit des modules obligatoires pour les étudiants architectes sur la question du patrimoine, qu'en pensez-vous ?
Catherine Jacquot
: Il faut que dans les écoles, on prépare les jeunes architectes à cette nouvelle commande. Ceux de ma génération étaient essentiellement formés à la construction neuve. C'est un domaine passionnant de reprendre un bâtiment et d'en changer la fonction, l'aspect, de l'adapter aux usages d'aujourd'hui. Et cela nous enseigne qu'en construction neuve, il faudra également intégrer l'idée d'évolutivité et d'adaptation dans le temps du logement et des bâtiments en général.
La ministre de la Culture est très attachée à ce que la culture architecturale soit enseignée dès l'école. Et, nous y sommes également particulièrement favorables.

 

Batiactu : Le gouvernement doit présenter son projet de loi Logement d'ici à la fin de l'année. En attendant, il consulte le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), présidée depuis peu par Thierry Repentin, et donc vous faites également partie. Il est annoncé une simplification du code de la construction. Comment abordez-vous ce chantier titanesque ?
Catherine Jacquot
: Sur la loi logement, nous avons plusieurs sujets. Notre 1er enjeu, est le concours d'architecture dont j'ai parlé plus haut. Mais il y aussi un 2e enjeu : le permis de faire. Tous les acteurs de la construction étaient d'accord pour favoriser l'expérimentation grâce au permis de faire tout en respectant les objectifs sous-jacents au code de la construction. Un premier décret précise son encadrement général et le déroulement de son instruction par des experts. Le texte dit aussi que les expériences réussies sont réplicables. C'est une nouvelle façon d'écrire la norme par l'expérience. Et cela avait emporté l'adhésion de tous.

 

"Modifier le code de la construction n'est pas simple car les enjeux sont considérables", Catherine Jacquot

 

Aujourd'hui, nous attendions un deuxième décret élargissant les champs d'application trop limités du premier décret, aux champs environnementaux, à l'acoustique, au réemploi des matériaux. Le Gouvernement propose d'abroger le décret signé et d'assouplir et d'ouvrir largement le permis de faire , cela crée un sentiment d'insécurité chez les professionnels et chez les assureurs , nous sommes donc inquiets sur l'avenir du permis de faire inscrit dans la loi LCAP et très prometteur pour faire évoluer par l'expérimentation le carcan des normes.

 

Modifier le code de la construction n'est pas simple car les enjeux sont considérables, qu'ils soient sociaux, économiques, de santé publique, de sécurité... Le permis de faire était un bon moyen, une bonne base pour regarder quelles étaient les règles que l'on pouvait faire évoluer, c'était une autre façon de réécrire la norme. Quand on interroge pour le moment les services de l'Etat sur la façon de procéder, on est encore un peu dans le vague. Pour le moment, il y a cette volonté mais il faut se donner des moyens et le faire avec beaucoup de rigueur.


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