ENTRETIEN. La Capeb se félicite, par la voix de son président Jean-Christophe Repon, des dernières annonces gouvernementales sur la rénovation énergétique. Mais les artisans du bâtiment demandent à ce que l'accès au label RGE soit simplifié par la méthode de "l'audit au coup par coup".
Les artisans du Bâtiment comptent bien profiter des budgets mis sur la rénovation énergétique dans le cadre du plan de relance. Mais ils demandent une fois de plus aux pouvoirs publics de créer des dispositifs simples à comprendre et à utiliser, tout en ouvrant largement aux TPE l'accès au label Reconnu garant de l'environnement (RGE). Explications avec Jean-Christophe Repon, président de l'organisation professionnelle.
Batiactu : Les pouvoirs publics viennent d'en dire plus sur la future mouture de MaPrimeRénov. Êtes-vous satisfait de ces annonces ?
Jean-Christophe Repon : Les arbitrages qu'Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, a présentés à la presse, correspondent en partie à nos demandes. Nous avons bénéficié d'une écoute attentive de sa part concernant le versement de la prime à toutes les catégories de ménages et l'augmentation du financement de cette prime porté à 1,7 milliard d'euros pour 2021. Soyons attentifs maintenant aux débats parlementaires. Pour que le plan de relance soit une réussite, nous rappelons toujours que la simplification des dispositifs de soutien est indispensable. Il faut bien comprendre que lorsqu'un artisan montre à son client le tableau des aides financières MaPrimeRénov + certificats d'économie d'énergie (CEE), ce dernier, le plus souvent, n'y comprend pas grand-chose. C'est très complexe. Beaucoup de freins sont mis à l'utilisation simple et efficace de ces aides et du coup, on ne décaisse pas. Et si l'on ne décaisse pas, les pouvoirs publics risquent de revenir vers nous en disant que "notre filière n'est pas au rendez-vous de la rénovation énergétique", que "les artisans n'ont pas fait le boulot, que l'on ne parviendra jamais à massifier avec nous"... Ce n'est bien sûr pas le cas, les entreprises artisanales du bâtiment sont professionnelles et tout à fait en mesure de répondre aux objectifs de rénovation énergétique du Gouvernement. Mais l'artisan est ainsi fait que si un marché lui semble trop complexe, et qu'il ne lui permet pas de gagner sa vie, il n'y va pas : c'est bien compréhensible. C'est ce qu'il se passe actuellement avec les travaux de rénovation énergétique et le RGE. Il y a quelques temps, 65.000 artisans étaient labellisés RGE ; aujourd'hui, ils ne sont plus que 45.000. Pourquoi ? L'artisan préfère faire une ristourne à son client plutôt que de perdre trop de temps dans de l'administratif pur.
"Je fais mon boulot et je le prouve, et si j'ai plusieurs chantiers, je deviens RGE."
Batiactu : Que proposez-vous pour faire évoluer le RGE ?
J-Ch. R. : L'État doit dynamiser le marché de la rénovation énergétique en permettant pour le RGE ce que l'on permet pour les professionnels du gaz (PG) et de l'électricité (Consuel) : l'audit au "coup par coup". L'artisan réalise un chantier qui est contrôlé au final, c'est crédible et sécurisant. Si dans l'année, l'artisan a plusieurs chantiers de ce type, il aura alors intérêt à devenir, ou redevenir, labellisé RGE. Cette nouvelle manière de faire va être lancée avec les pouvoirs publics, c'est ce que l'on nous a promis et nous nous en réjouissons car il s'agirait d'une réelle avancée. La philosophie serait : "Je fais mon boulot et je le prouve, et si j'ai plusieurs chantiers, je deviens RGE."
Batiactu : La rénovation énergétique a été présenté comme l'un des grands axes du plan de relance. Cela vous réjouit-il de voir un marché détenu en grande partie par les artisans être mis autant en avant ?
J-Ch. R. : Que le plan de relance soit majoritairement tourné vers la rénovation, c'est un signe fort pour nos entreprises artisanales. Ce marché correspond à une majorité de nos entreprises, qui maillent l'ensemble du territoire, il s'agit de notre cœur de métier - même si nous n'oublions pas le neuf. J'en profite ici pour éclaircir un point : il n'y a pas de "métier de la rénovation énergétique", il n'y a que les "métiers du bâtiment", qui, parfois, doivent acquérir une compétence complémentaire en matière énergétique. Ce que nous demandons à l'État consiste à faire en sorte que les ménages modestes soient le plus proche possible d'un reste à charge "zéro", sinon les travaux ne se feront pas. Nous devons aider les plus précaires qui vivent trop souvent dans des passoires thermiques.
"Nous souhaitons une prise de parole forte du Gouvernement sur le travail détaché."
Batiactu : Les pouvoirs publics attendent des entreprises des contreparties, en échange des financements supplémentaires de France relance. Allez-vous vous engager à embaucher davantage de compagnons ?
J-Ch. R. : Les pouvoirs publics, avec leurs financements supplémentaires, devraient créer de l'activité. Mais ce n'est pas pour cela que, mécaniquement et sans attendre, nous allons créer de l'emploi. La situation sanitaire et économique est loin d'être stabilisée. Nous pouvons déjà nous féliciter d'avoir maintenu l'apprentissage en cette rentrée, et l'emploi autant que nous l'avons pu. Si l'activité, grâce au plan de relance, est à un niveau satisfaisant durant plusieurs mois, alors il est probable que nos entreprises embaucheront. Nous souhaiterions aussi que des progrès soient faits en matière de détachement des travailleurs. Le ministre de l'Économie a lancé un appel [lire notre article ici, NDLR], celui de ne recourir à cette solution qu'en cas de manque de main d'œuvre locale, et nous l'avons bien entendu. La Capeb est tout à fait disposée à signer une charte d'engagements, de manière à ce que ses adhérents n'aient recours au travail détaché qu'en cas d'absence de compétences localement. Il serait tout de même dommage que l'argent du plan de relance soit utilisé pour payer de la main d'œuvre détachée. Nous souhaitons une prise de parole forte du Gouvernement à ce sujet.
Batiactu : Un artisan, ancien président de l'Union des entreprises de proximité (U2P), a été nommé ministre délégué aux PME. Qu'espérez-vous de cette promotion ?
J-Ch. R. : Nous demandions un ministère de l'artisanat, la nomination d'un artisan a donc du sens pour nous. C'est quelqu'un qui travaille beaucoup ses dossiers et qui a la volonté d'améliorer le statut des TPE et des indépendants. Nous aimerions également que le Gouvernement se penche une nouvelle fois sur les règles de représentativité patronale, qui déstabilisent notre branche professionnelle. Nous souhaitons rencontrer, à ce sujet, la ministre du Travail Élisabeth Borne.
"Au début du mouvement des Gilets jaunes, de nombreux artisans étaient présents sur les ronds-points."
Batiactu : Comment une organisation patronale comme la Capeb traverse la période actuelle d'urgence sanitaire et de difficultés économiques ?
J-Ch. R. : Nous vivons un moment formidable pour une organisation patronale. Quand tout va bien, force est de reconnaître qu'un syndicat patronal est moins utile. Aujourd'hui, nous devons fédérer, réexpliquer aux entreprises artisanales que c'est quand même mieux d'être avec le copain, dans le collectif. La Capeb doit être, encore plus qu'elle ne l'est actuellement, un lieu d'échanges et de partage d'expériences. C'est toute l'importance de l'animation de réseau, un sujet qui constitue l'une des priorités de mon mandat. Au début du mouvement des Gilets jaunes, de nombreux artisans étaient présents sur les ronds-points. Si on veut de la démocratie et de la stabilité, cela doit se jouer chez nous, par de la convivialité, des moments de partage, et cela doit s'organiser. Si l'on se contente de ne faire que du conseil juridique, de la paie, etc, même si cela est nécessaire, cela ne suffit pas. Remettons l'homme et le métier au cœur de nos organisations professionnelles.
Batiactu : Comment se porte l'activité des artisans du bâtiment en cette rentrée ?
J-C. R. : Il n'y a pas de vision à très long terme. Après un effet rattrapage, les carnets de commandes se reconstituent, et nous n'avons pas, à ce jour, de perte de compétences. Les entreprises artisanales recherchent, en ce moment, à engranger le maximum de chantiers, sans pour autant embaucher à ce stade, le spectre d'un possible reconfinement de la population restant présent. L'activité est donc plutôt favorable, même s'il faut rester très prudent. Nous faisons beaucoup de devis, les Français étant restés chez eux en ont profité pour envisager des améliorations dans leur logement. A cette occasion, ils pourraient embarquer les travaux de performance énergétique. C'est pour ça, d'ailleurs, que je pousse l'élargissement de la TVA à 5,5% à toute la rénovation du bâtiment. Voilà une aide qui serait lisible, simple et efficace. Sachant que cela ne ferait pas augmenter nos prix, nous l'avons d'ailleurs prouvé par le passé.
Taux des prêts garantis par l'État : "La ventilation présentée par les pouvoirs publics nous paraît cohérente."
Batiactu : Lors des rencontres de l'U2P, le ministre Alain Griset a défini les conditions pour les entreprises qui ont pris un prêt garanti par l'État (PGE) : 0,25% pour la première année, possibilité durant les quatre derniers mois de la première année de reporter la fin du prêt jusqu'à 6 ans (cinq années en plus de la première année) ; le taux serait ensuite compris entre 1 et 2,5% sur les années restantes - 1% pour les années 2 et 3, 2,5 pour celui qui va jusqu'au bout. Ces conditions vous satisfont-elles ?
J-Ch. R. : La ventilation présentée par les pouvoirs publics nous paraît cohérente. Nous ne voulions surtout pas que la négociation se fasse d'artisan à banquier. Quoi qu'il en soit, on sait aujourd'hui que les TPE n'ont pas assez eu recours aux prêts garantis par l'État. Il s'agit d'un problème de surface financière : un artisan n'a pas les moyens de négocier avec son banquier, même pour un PGE. Au point que certains établissements financiers nous proposent plutôt une hausse de l'autorisation de découvert qu'un PGE ; quand ce n'était pas, dans les premières semaines du confinement, une caution et des taux variables dans le cadre du PGE - ce qui a été finalement interdit par les pouvoirs publics. Je note toutefois qu'aucun accord n'a pu être signé avec la Fédération bancaire française. Nous resterons ainsi attentifs au strict respect des règles édictées.
Batiactu : Les reports de charge ont cessé en septembre 2020. Craignez-vous une cascade de défaillances d'entreprises artisanales dans la foulée ?
J-Ch. R. : Nous avons un élément rassurant dans le fait que quasiment tous les artisans ont réglé, en septembre, leur cotisation à la caisse de congés payés. Je craignais une série de faillites au moment où les charges reviendraient, pour l'instant ce n'est pas le cas.