Grues immobiles, ouvriers allongés au soleil, un petit millier de manifestants... à Berlin, la grève historique que s'apprête à vivre le secteur du bâtiment débute en douceur.

"Ce chantier est en grève". Sans l'affiche sur la palissade, on croirait un pique-nique à la campagne. L'un prend le soleil, à plat ventre dans l'herbe; deux autres ont sorti les chaises pliantes et lisent le journal.

Mais la réalité, leurs "T-shirts" découpés dans des sacs plastiques la rappellent en lettres rouges: "Nous faisons grève". L'énorme chantier du Palais de la République à l'est de Berlin est entré lundi dans le premier mouvement dur de l'après-guerre du BTP allemand.

L'endroit, à deux pas de la Chambre du peuple de l'ex-RDA, a abrité le Palast-Hotel, qui hébergeait noms illustres des affaires ou du spectacle et hauts responsables du parti ou des services secrets.

Cette vitrine de l'ex-RDA deviendra d'ici 2003 un luxueux complexe, avec hôtel quatre étoiles, bureaux, magasins, appartements pour nantis. Un immense chantier, déserté lundi par ses 120 ouvriers, partis manifester avec quelque 1.000 autres salariés du BTP berlinois.

Une dizaine restent devant les grues immobiles et la grille fermée, pour décourager d'éventuels briseurs de grève pour l'instant invisibles: comme ailleurs en Allemagne, le mouvement a été approuvé à plus de 90% des syndiqués ayant participé à un vote la semaine dernière.

"Les employeurs veulent faire règner la loi du Far-West dans le bâtiment", dénonce derrière ses lunettes de soleil Thomas Baericke. "La coupe est pleine", ajoute ce maçon de 39 ans en avançant pêle-mêle des revendications de meilleures prestations sociales, d'égalisation des salaires et des conditions de travail entre l'est et l'ouest, et notamment de reconnaissance de sa qualification après plus de douze années de travail.

Car plus d'une décennie après la réunification, la question de l'écart de salaires est/ouest reste, avec l'ampleur de la revalorisation globale, une pomme de discorde majeure entre syndicat et employeurs.

IG BAU réclame 4,5%, les employeurs en restent à 3%. Les patrons de l'est arguent pour justifier les écarts des plus grandes difficultés rencontrées par un secteur en crise depuis le milieu des années 1990.

"Ils disent qu'il n'y a plus de travail, mais les chantiers sont là", assure Iliya Stainc, 50 ans, un drapeau rouge à la main. Originaire de Croatie où il "ne gagnait pas assez" pour faire vivre ses deux enfants, il avait trouvé en Allemagne des conditions de travail "bien meilleures". Mais aujourd'hui insuffisantes. "Tout était moins cher à l'époque", justifie-t-il, le conflit salarial est "une simple question de subsistance".

Ils reviendront demain, et les autres jours, tant que l'exigera le syndicat dont le trésor de guerre remplace la paye perdue. "Peut-être une semaine", selon l'un. "Mais", poursuit un autre, "deux, trois, quatre semaines, ça ne serait pas impossible."

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